Chapitre 3 Rêves antiques et doutes conservateurs

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Lettre VIII Du marquis de Lagandière aux courtisanes du « palais romain »

Courtisanes du domaine de Lagandière,


J'ai l'immense honneur d'inaugurer l'ouverture du palais romain. Ce nom si charmant m'a été recommandé par une inconnue charmante dont je tairais le nom afin de garantir son anonymat et de ne point éveiller trop tôt votre jalousie. Grisettes qui souhaitez participer à ces jeux ludiques, intriguées de découvrir les délices d'un autre monde, sont priées de me faire correspondre leur enthousiasme ainsi que leurs motivations par billet. Afin d'avoir accès au charmant palais romain dont je tairais encore la beauté des lieux, je tiens à vous indiquer quelques précisions concernant votre venue. Avant de pénétrer le sol marbré de vos jolis petons, de simples critères sont requis : je recommande aux mignonnes damoiselles bien faites de leur personne, galantes et ouvertes d'esprit de venir en ce salon. Les sujets nobles et gentils telles que la littérature et la bonne tenue y seront les bienvenus mais le palais romain regorge de discussions plus crues. Il est donc conseillé de ne point avoir l'esprit d'un vieillard aigri, la tête plate et les oreilles saignantes lorsque des discours peu catholiques seront prononcés. Les pieux, les pieuses, les sœurs, les moines, les curés, les prêtres, les papes sont plus qu'avertis s'ils prennent le risque inutile d'être victimes de langues imprudentes. Mesdames les courtisanes, soyez sûres de vous et non outrées.

Nous nous amuserons lorsque les maris ne seront pas là. Certaines ne l'avouent pas mais elles font quelques calinotades que nous mâles tentons de dissimuler derrière une naïveté peu feinte. Infidèles, brigandines, athées, scélérates êtes les bienvenues en ce monde que le paysage bourgeois ne tolérera pas. Vous, jeunes filles à l'éducation fâcheusement niaise, ignorantes du domaine des plaisirs, j'affinerai vos mœurs, vos connaissances et vous ferai assumer vos envies d'aventures. Le corps humain n'aura plus de secrets pour vous et les mâles fripouilles sauront se tenir. Le palais vous accueille les bras ouverts, l'encre et la plume demeurent dans les tiroirs, votre corps, libre et prêt à expérimenter.


Signé le marquis de Lagandière.


Lettre IX Réponse de la comtesse de Parois à l'annonce du marquis de Lagandière


Beau prince du palais romain,


Ce n'est point un billet que je vous délivre mais bien un écrit soigneusement rédigé et réalisé à l'aide du cœur tendre d'une femme sentimentale. Je tenais à vous dire que cette annonce m'a profondément fait réfléchir et que mon intelligente pensée m'avait joué des tours. Lors de l'envoi de votre lettre si bien faite et si bien formée, je me situais dans un de ces salons parfumés et féminins que tout Lagandière affectionne. Les murs blancs, les tableaux de maîtres et cette fraîcheur qui anime les conversations. J'y vais lorsque l'ennui me prend et me tire vers des lieux plus attirants. Mais je me morfonds tout de même. Ainsi, le palais romain me semble un endroit mystérieux et tout aussi exaltant. Mon imagination s'est tout de suite emballée et m'a mené à visualiser ce palais. Connaissant Rome à travers les histoires et les contes, j'ai eu l'exquise idée de m'aventurer dans ce pays envahi de soleil. Les grandes portes de bois sculptées s'ouvrent sur une longue rangée de colonnes décorées de multiples dieux dont nous ignorons encore les pouvoirs. Le sol marbré d'un rose très clair est frais, doux et agréable malgré la froideur de la pierre. Devant moi, une immense fontaine où se dressent les magnifiques statues de déesses. Leurs courbes rendent maladivement jalouses les femmes dont le regard assassin frôle ses femmes immortelles et belles à en mourir.

Une eau claire et pure s'échappe des jets situés au sommet de cette merveille où les hommes assoiffés viennent se recueillir et retournent volontiers aux plaisirs à peine consommés. Autour de cet endroit de plénitude, une multitude de banquettes aux couleurs vives, symboles de gaieté et de débauche. Ici, se plaisent hommes et femmes, prostituées et hommes d'affaires déguisés à l'aide de masques en papier. Une excitation chaude règne dans cette grande pièce transpirante de soupirs et de cris d'amour. Et vous, divin roi de ce palais, êtes nu, couvert de poudre d'or, un long spectre finalement taillé dans une main, observant d'un œil calme toute cette scène de théâtre fort plaisante.

N'est-ce point la plus élégante des descriptions de votre palais ?

Votre regard se poserait sur moi, déesse des femmes, des folles, des renégates, des vierges, le visage couverte d'un masque d'antilope aux cornes noires. Vous saisirez chaque partie de moi, en baiserez chaque recoin et y lécherez chaque carré de peau. Je serais votre maîtresse, votre asservie, la souveraine de vos désirs les plus fantasques. Les flacons de parfum, les robes, les corsets, ces objets de torture faits pour abrutir la femme délivreront mon être afin d'être à vous seul. Il n'y a pas maîtresse plus dévouée, plus passionnée que moi.

Mon arrogance peut vous surprendre mais je défie toute femme se prétendant mignonne de ce puissant seigneur d'être la plus sensationnelle pour son âme royale.


Je voue, Monsieur, un culte à votre personne si précieuse et je promets de conquérir votre impénétrable antre.


La comtesse de Parois.


Lettre X Réponse de la marquise de Souche-Parré à l'annonce du marquis de Lagandière


Honnête homme du monde,


Pardonnez-moi, oui, pardonnez-moi de vous importuner de ma lettre de supplications. Je ne puis faire autrement que de m'excuser de mes paroles qui vous sembleront lamentables. Je vous vois, devant votre secrétaire, parcourir mes lignes d'un air dédaigneux ! Non, je ne vous mérite point Monsieur et mon écrit devrait s'arrêter là. Pourtant, j'ose vous adresser ces mots dont je reconnais le désordre. La structure de la lettre sera des moins compréhensibles et votre esprit s'intéressera à d'autres correspondances.

Voilà que je me présente à vous, pauvre femme désorientée, d'une écriture maladroite et point à votre hauteur. Il faut que je vous avoue. Il y a que je me présente de force. Cette lettre, je l'écris avec automatisme. J'ai parlementé avec l'une de mes grandes amies et conseillères et elle a évoqué un magnifique palais. Vantant ses qualités et celle de son seigneur, elle m'a grondé, fâché, forcé pour que je vienne à vous. Est-il vrai que vous possédez l'art d'écouter les malheurs ainsi qu'une âme responsable ? Vous rirez de ma requête, de ma demande de femme mariée mais vous devez recevoir beaucoup d'écrits pathétiques. Voilà donc ma demande.

En effet, je suis une dame reconnue comme sage, pieuse et peu aventureuse et c'est bien la première fois que j'ose franchir cette limite, celle d'écrire à un inconnu. Je ne sais pas vraiment quelles sont les activités de votre palais : des dîners simples et gentils, des bals charmants où s'uniraient hommes et femmes, du champagne pour embrumer les esprits ? Ces réponses me seraient bien nécessaires afin de connaître l'objectif de votre entreprise, très noble au premier abord. Vous avez l'air d'un homme d'affaires sérieux mais il semble qu'en ce monde, quelques-uns profitent de femmes dépourvues d'esprit. Votre être tout entier me semble rayonnant de confiance, mon mari n'étant pas souvent à mon chevet, je requiers donc plus d'attention que les autres. Me voici désespérée, perdue et preneuse de tout bon conseil d'ami. Avez-vous la volonté du gentilhomme compatissant pour prendre sous votre aile une pauvre femme sans ressources ? J'espère que ces gentilles fêtes que vous organiserez me permettront de me délivrer et de ne plus être considérée comme une veuve d'un mari absent.


Bien à vous, la marquise de Souche-Parré.


Lettre XI Réponse du marquis de Lagandière à la comtesse de Parois


Madame,


Votre demande d'intégration au palais romain est des plus surprenantes. Le programme de bienvenue des dames est fort chargé pour moi et mes collaborateurs mais il faut toujours prendre un certain plaisir lorsque l'on s'adonne à la lecture. Sur plusieurs bureaux, des centaines décrits agréables pour la vue et le coeur. Le contenu n'est malheureusement pas à la hauteur de mes espérances. Non Madame, je ne me prétends point expert en lettres, je me considère plutôt comme un lecteur exigeant dont les attentes ne sont pas satisfaites au vu du talent de l'écrivain. Épuisé par les nombreuses réceptions, il a fallu que ma main frôle votre lettre. Après avoir retiré le cache, l'écriture fine et délicate m'a fort inspiré pour vous répondre. Voilà donc ce que je propose.

Vous avez l'air d'une princesse, d'une grande dame aux allures prétentieuses, un petit bijou brillant de l'égard bienveillant des grands hommes. Je vais donc vous conter le plus exquis des récits, celui que les femmes raffolent au coucher. Il arrive que mon indiscrétion me pousse à écouter les dames et plus particulièrement leurs discussions. Il paraît que les récits orientaux ont leur petit succès et je m'en inspirerai bien pour vous emmener au pays des rêves. En voici le conte.

Le printemps réveille les désirs glacés par une saison froide et humide. Les jardins, couverts d'oiseaux et de chants d'amour parfument les beaux domaines et ravissent les propriétaires. Les domestiques cueillent des bouquets, le doux chant des bonnes résonne dans les pièces. Les damoiselles se dénudent, dévoilent leurs formes. Comme tout homme, mes yeux se portent sur le tableau romantique de la gente féminine et plus particulièrement sur votre allure. Un beau matin de printemps où le vent frais de la mer pique les narines, un landau découvert. Vous paraissez, belle et fraîche, vêtue de vêtements de rendez-vous intime. Les jours et les nuits nous transportent dans des élans d'amour passionnés. Puis au loin, les dunes de sable blanc, la ville aux toits pointus. Les tenues légères où il fait bon s'y loger, les banquettes fraîches où les nuits sont si agréables. Nous arriverons donc dans cette ville aux odeurs sucrées. Là, un palais doré nous attendra, envahi de domestiques en savates, des plats argentés dans les mains. Nous dînerons sur une terrasse de dalles en pierres donnant sur un fleuve à la clarté apaisante.

En Orient, y règnent des dieux puissants, des dieux de la terre qui veillent autant sur les hommes que sur les animaux. La nuit nous couvrira d'une brise tiède marquant la fin d'une journée chaude et harassante pour les paysans, douce et agréable pour les bourgeois de notre race. Le buffet dressé accueillera toutes les merveilles orientales : les pâtisseries au miel croquantes, le thé glacé versé dans de grands verres au pied sculpté. Puis les couvertures colorées, finement cousues, douces au toucher attendront avec impatience la chaleur de deux corps enlacés. La nuit sera belle et pailletée d'étoiles blanches. Dans cette intimité touchante, je lécherai vos doigts encore collants de miel ainsi que votre peau blanche et friande de rayons du soleil. Le soleil dit-on, guérit les maux et donne le sourire aux dames. Le vôtre piquera mon cœur, l'affolera, le rendra autre. Le vent frais du désert caressera nos peaux nues et nous poussera à nous terrer tels des animaux effrayés.

Le lendemain, nous rendrons cette demeure notre propriété, plus qu'un simple hôtel. Je vous nommerai princesse de ce lieu, mais aussi celui de mon être tout entier. On m'appellera prince et les habitants de l'Orient me nommeront seigneur. Malheureusement ma chère amie, je ne puis continuer ce récit idyllique : l'encre s'épuise, ma créativité a ses limites.


En vous souhaitant de savourer cette pâtisserie au goût d'ailleurs,

Le prince d'Orient.

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