Chapitre 1 Les amants ennuyés

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Lettre I Du marquis de Lagandière à la duchesse de Galanta

Il faut l'avouer ma chère amie, nous nous ennuyons. Heureusement, je ne m'embête pas de trop grâce à votre délicieuse compagnie. Les divertissements et les expérimentations y sont multiples. Si je vous rappelais la dernière expérience que nous eussions fait, vous me gronderiez et cela n'est pas le but, même si votre voix de matriarche me donne quelque frisson de délice. Malgré ces belles tapisseries, ces serviteurs silencieux et agissant dans l'ombre, ces bals qui régissent nos douces vies, ne voyez-vous donc pas que les choses semblent lasses ? Il n'est point d'avis pour les dames et les sieurs qui dégustent le quotidien coulant jusqu'à cette fin terrible qu'est la mort. Mais nous, êtres encore pourvus de sentiments, de désirs et d'aventures, la vie n'est-elle pas faite pour découvrir ce que cachent les grands de ce monde ? Moi qui suis encore jeune et vaillant, les grands dîners ne me remplissent plus la panse. Les conversations y sont si lourdes, aussi répétitives que les leçons de mes anciens précepteurs que ma pensée ne peut s'empêcher de s'égarer. Et je vous conte là l'un des banquets les plus pénibles de mon existence. Madame ma mère, une gentille femme au visage d'ange, me regarda d'un de ses airs les plus sévères, celui qui vous transperce l'âme pour vous rappeler à votre devoir, le regard de génitrice qui sait tout. Il fallut moult explications pour la convaincre que les discours de ces grands hommes ne m'intéressaient guère et que moi, je connaissais déjà tout. Du haut de ma jeunesse fulgurante, j'en sais bien plus que ces hommes coincés et sans vergogne !

Je possède la qualité d'observateur, l'observateur qui sait ce qu'il se passe en dessous des jupes, du corset et de la poudre. Madame, n'est-ce point une vertu que vous affectionnez ? Je suis avide de délicieuses découvertes. Expérimenter à deux, voilà qui est bien embarrassant. Pour accomplir une tâche, ne faut-il pas quelques compagnons de plus qui ne connaissent rien en la matière ? Nous serons les maîtres d'école, les précepteurs de ces bonnes gens qui auraient de tout cœur le souhait de se coucher moins bêtas et moins honteux de leurs talents cachés.


Alors ma chère amie, proposez-moi donc une activité divertissante que je finalise les invitations et pour que les personnes honnêtes soient contentes.


Bien à vous, votre compagnon de bataille.


Lettre II Réponse de la duchesse de Galanta au duc de Lagandière


Très cher compagnon de batailles,

2 longues lectures m'ont suffi à comprendre le but de votre écrit. En tant que femme consciencieuse et prudente, je me dois de bien vous répondre car nous savons tous les deux que le transport de la lettre est fort long, et votre domaine fort lointain. Rentrée depuis quelques jours à mon domaine, des frissons de plaisir me parvinrent encore. Il faut savoir mon cher combattant, que vous ne m'avez point épargné. Nous avons commis quelque faute que les bourgeois, je l'espère, oublierons très vite. Je sentais votre regard brûlant à l'autre bout du banquet et la cour de femmes qui se pressait autour de votre personne. Je sais à quel point vous affectionnez l'odeur des jupes, le cou sucré de ces dames mais vous me préférez. Ce sot de duc de Frédière, un bonhomme fort en bedaine et non en intellect me faisait glousser lorsqu'une étrange créature se réveilla sous sa culotte. Les hommes sont si sensibles de nos jours...Ne vous gaussez point, une main a suffi pour éveiller le désir féroce de cet homme.

La nuit qui suivit avec vous fut l'une de ces nuits qu'une femme nierait avoir envie. Les caresses, l'excitation de se faire surprendre par quelque serviteur...Femme mariée que je suis, les expérimentations sont de mon goût. Malheureusement, il semble que je ne puis répondre à vos caprices de jeune garçon. J'ai été moi-même une jouvencelle soumise aux désirs de mes parents. Ayant pris connaissance de vos rêves que l’Église elle-même censurerait, je vous conseillerai de réaliser vos fantasmes avec d'autres personnes de ce monde. Moult femmes tombent dans vos bras et les pucelles se pressent à votre porte pour quérir un peu d'attention. Vous êtes le dieu de la défloraison et rien ne peut vous résister. Découvrez alors un peu plus de ce monde de paraître et de faux semblants ! En tant que femme, je crois qu'il existe différentes manières d'aimer et de prendre plaisir en ce environnement si fermé et si peu enclin à s'ouvrir aux délices humains et naturels. De notre langage codé, expérimentez.


Votre compagne de bataille, Madame de Galanta.


Lettre III Réponse du marquis de Lagandière à la duchesse de Galanta


Je fus contraint d'adhérer à vos conseils de bonne amie et j'ai donc enchaîné les journées de dur labeur entouré de mes proches afin de rechercher le parfait divertissement. Au vu de mon immense prudence, j'ai donc prétexté que j'avais le besoin de prendre l'air et de respirer les effluves de la ville. Non que je me lasse de l'air marin qui borde mon domaine, mais il fallait une excuse digne de ce nom.

De bon matin, alors que le dieu Soleil n'était point encore apparu, nous avions pris un fiacre. Il faut d'abord que je vous narre la composition de ma cour. En effet, quelques proches à l'esprit suffisamment ouvert et que vous affectionnerez peut-être étaient de la partie. Ma chère sœur, la marquise de Lagandière, pas encore mariée mais très courtisée par les mâles. L'un de mes compagnons de soupers le sieur Chapard puis quelques autres grands personnages, des enfants. J'ai donc demandé un grand landau ouvert afin que les dames puissent savourer l'air piquant de l'océan ainsi que le paysage côtier. Nous avons donc longé les côtes aux chemins caillouteux puis parcouru les routes plates et bien construites avant d'arriver à Lagandière. C'est l'une de ces villes bleutées et côtières qui séduisent les nobles : de belles maisons bourgeoises aux murs blancs fouettés par le vent mais si robustes qu'elles semblent avoir la carrure de châteaux. De petites rues de pavés gris où cahotent les charrettes et les fiacres, les marchés aux couleurs éclatantes animent le centre de Lagandière et réunissent une population bigarrée. Puis, en empruntant la rue principale, nous atteignons les divertissements. Après avoir pris une loge, nous avons comme redécouvert ce théâtre à l'atmosphère fraîche et apaisante. Le bois épais et résistant, les loges couvertes de tapisseries aux couleurs claires, les fauteuils d'un blanc crème, le tissu moelleux qui fait soupirer les dames. Puis, le début de la scène. J'ai évidemment laissé ma sœur choisir. On rejouait Le Cid de Corneille.

Et l'ennui s’empara de moi ! Des cris, des hurlements de femelle désespérée ! Je crus voir toutes ces femmes qui, lorsque je ne réponds pas à leurs désirs, crient l'injustice au monde. Je le dis bien sûr à ma sœur qui se fâcha fort. Le soir même, nous organisâmes une fête grandiose où plus de mille convives étaient en ces lieux pour y boire le champagne. Lors des préparatifs, je faillis bien dégringoler de ma chaise en me rendant compte du nombre de caisses de champagne arrivées sur mon palier. Imaginez le regard torve que me jetèrent les domestiques... La fête ne fut finalement pas mienne, je finis enfermé dans ma chambre à me faire conter une histoire.

Vous aimez les jeux immobiles et qui demandent peu d'esprit. Les expérimentations demandent quant à elles de la créativité. Parcourir le corps d'une femme, en imaginer les courbes. C'est un jeu d'observation et de finesse que les prédateurs prédilectionnent. Encore plus divertissant qu'une partie d'échecs que les anciens affectionnent tout particulièrement.


Je vous conseille donc ma chère amie, de revoir vos fiches concernant mes envies et de calculer ma soif insatiable de découvertes.


Votre précepteur en besoins humains, le marquis de Lagandière.


Lettre IV Réponse de la duchesse de Galanta au marquis de Lagandière


La réception d'un de vos magnifiques manuscrits m'arracha un doux sourire. Vous avez donc la gentillesse et le courage d'envoyer un messager sous la pluie battante par cette nuit glaciale. Voilà qui est dommage que cette lettre finisse au feu afin de chauffer mes racines. J'ai fort à faire cette matinée et je vous écris pour vous prévenir de l'avancement de notre jolie entreprise.

Dans l'un de mes coquets salons, j'ai tenu une réunion très gentille de quelques dames qui seraient prêtes à être à vos ordres à l'heure où mon encre frôle ce précieux papier. Ce sont toutes des femmes ouvertes, autant du corset que de la langue et j'ai l'immense joie de vous annoncer que ces dames s'occuperont volontiers de vous. Cela se passera bien évidemment dans votre domaine de Lagandière, le mien étant encombré d'un obstacle fort ennuyeux qu'est le marquis de Galanta. Prédateur exigeant que vous êtes, j'ai donc pensé à poser cette question concernant la virginité, interrogation que la société trouve si embarrassante. Les jeunes filles nient ce mot, les femmes l'ignorent encore plus. Il existera bien de mignonnes petites fleurs dont vous aspirerez doucement le nectar. Revenons au sujet qui me pousse à écrire.

Comme les banquets ne seront point des fêtes sages, inspirons-nous donc de ce puissant empire romain. Les légendes racontent à qui veut bien l'entendre que les romains étaient et sont fort friands de vin, de femmes et d'orgies. Les logis de riches sont parés de colonnes gravées, le sol de banquettes longues et étroites supportant ces étranges couples d'hommes et de femmes. Votre domaine sera un palais rempli de personnages excentriques. Et je vous le promets, il inspirera plus tard les grands fantasmes de ces files de vierges assoiffées de votre corps.


Réfléchissez donc à mes propositions et rêvez de ce palais.


Votre compagne de batailles, la marquise de Galanta.

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