Chez Félix

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 J’ai eu un peu de mal à trouver chez Félix et puis j’avais dû, à mon grand dam, abandonner la 16 pour me retrouver piéton puisque cette partie du port n’est pas accessible en voiture. Mais me voilà devant une petite vitrine, très joliment éclairée, à quelque mètres seulement de l’eau. À l’intérieur, quatre minuscules tables entourées de seize chaises dont trois sont occupées. C’est tout. Sur le auvent qui surplombe la terrasse, ma foi fort accueillante, est inscrit timidement “Chez Félix”. J’entre dans le resto, sceptique. Les trois mecs attablés semblent avoir terminé à l’instant leur conversation puisque deux d’entre eux se lèvent et quitte la salle après avoir salué le troisième qui, lui, ramasse les verres vides et les dépose derrière le petit comptoir. Tout au fond j’aperçois un fourneau rempli de pots en tout genre et une femme bien en chair et charmante affairée à remuer divers plats. ça sent l’huile, l’ail, l’oignon, le laurier et le thym, d’un coup j’ai les crocs. L’homme s’approche de moi, un grand sec plutôt beau, habillé d’une palette de bleu, espadrille aux pied.*

  • Bienvenu chez moi ! Comment puis-je vous être utile ?
  • Salut, Francky m’a dit de passer.
  • Haaa, John ?
  • Yep.
  • Assied toi, assied toi !

 Il est tout sourir, il a l’air sincèrement content de me rencontrer. Je fais tout de suite la différence avec le faux sourir du con du Relai-coli de l’autre jour. Je choisis une table près du comptoir, lui est reparti derrière et en revient avec deux verres, une bouteille de Pastis et une carafe d’eau embuée de fraîcheur. Il se retourne en direction de la femme :

  • Tite, la total ! Monsieur est un ami !

 Elle répond d’un hochement de tête. Félix c’est assis et à servi l’apéro.

  • Elle est muette la Tite mais je connais pas meilleur cuisto. Francky m’a parlé de toi, il m’a dit que tu avais plein d’histoire à raconter.
  • Ouai un bon paquet. Mais j’en parle pas trop.
  • Si c’est parce que c’est perso, je comprend, mais si c’est parce que c’est illégal, tu peux y aller, j’en ai entendu des vertes et des pas mûres et j’ai jamais balancé. Et la Tite tu peux lui faire confiance !

 Pendant qu’il parle il me ressert un godet parce que le miens est déjà vide, c’est qu’il fait encore une chaleur à crever même à cette heure.

  • Tu sais, la moitié de ma clientèle a pas un rond, alors ils me paient en histoires que je raconte à l’autre moitié qui me donne des pourboires. Mais je dis jamais qui m’a raconté l’histoire, ça pas question. Tiens, un jour un mec me dis qu’il revient d’un séjour en Egypte et dans le Haut-Soudan où il tournait un film sur les éléphants**. “On en a tué le moins possible” qu’il me dit, parce que parfois ils s’affolent et nous fonce dessus alors on a pas le choix. Et il a essayé de prendre un couple en train de… tu vois, mais il a jamais réussi. Il parait que l’engin d’un éléphant peut peser jusqu’à 100 kilos ! Tu te rends compte ? 100 kilos… Bref le mec me réserve une table pour trois pour le midi et me raconte qu’ils n’ont manger que du chameau, du singe et des conserves Japonaises pendant des mois. Alors je lui demande ce qu’il veut que je leur serve : Une belle poularde avec des champignons à la crème, des loups grillés avec du fenouille flambés dans de la vieille chartreuse, un bel étalage de coquillage avec une douzaine de violets et une d’oursins juste pour lui, du jambon de parme, du fromage de tête rouge, des petites saucisses Corse, une belle motte de beurre parce qu’ils n’avaient que de l’huile de palme, une omelette toute simple accompagnée de salade et de gruyère et en dessert une tarte au pruneau et un flanc. Et une crème au chocolat. Et une crème renversée.***

Jamais vu un appétit pareille !

J’espère que tu as faim.

  • Ouai j’ai les crocs, c’est parce que ça sent foutrement bon. Je vais manger et après t’auras le droit à une histoire, je raconte mieux avec de l’alcool dans le sang.
  • On fait comme ça ! Tite c’est prêt ?

 Elle hoche de la tête et lui s’en va en riant me chercher mon repas. Je passe une bonne heure à grailler, ils me font faire le tour des spécialités Marseillaises en une soirée. Francky m’a pas menti. J’ai les bières qui arrivent au rythme de ma descente, c’est à dire toutes les dix minutes environs, si bien qu’au dessert je commence à être torché. Lorsque j’ai fini, ou plutôt lorsqu’ils ont fini de m’amener des plats, Félix débarrasse puis les deux viennent s’assoir à la table avec une bouteille d’absinthe et trois petits verres.

  • Francky m’a dit de venir ici, j’ai bien fait de l’écouter, merci ! Et au passage, tu le connais depuis longtemps ?
  • Une dizaine d’année.
  • C’est quoi son nom ?
  • Je te l’ai dis, je raconte les histoires, je donne pas les noms.
  • Hum j’aurai essayé. Vous connaissez pharmaCop industries ?
  • Les labos qui ont fermé y a 10 ans ? De nom.
  • Ouai, ils créaient des médocs qui filaient un paquet de maladies bien crados. Ces connards s’en foutaient plein les poches et revendaient d’autres médocs pour soigner les effets secondaires des premiers.
  • J’en ai entendu parler à l’époque, oui.
  • Ben si j’avais pas été là t’en aurais surement jamais entendu parler et il serait probablement encore en circulation. C’était un petit réseau bien ficelé, les employés savaient rien parce qu’ils ne manipulaient qu’une partie du produit chacun. Donc il y avait que quelques dirigeants qui étaient au courant, ils étaient dans une zone noire, c’est le jargon pour dire que personne en avait rien à foutre. C’est mon pote Jicky**** qui a trouver l’info je sais pas comment, il a toujours été bon pour ça Jicky, et qui me l’a fait passer parce qu’il savait bien que ce genre de merde je m’en occupais bien. Ni une ni deux, je prend ma caméra, ma carabine calibre .308, elle s’appelle Betsy, et je tape 300 bornes dans ma 16 jusqu’à Limoges. Là-bas je passe à la pharmacie pour acheter leur pire merde et je file au labo. J’ai pas mis longtemps à trouver le bureau d’un des connards qui dirigent l’embrouille. Je lui fous un bon coup dans la tronche ça l’a bien calmé, il roulait par terre comme un gosse, pendant ce temps j’ai mis la caméra en route sans qu’il la voit, je le fous dans sa chaise, un coup de Betsy dans le mur et je lui tends une de ses plaquettes de pilules. Bouffe ça je lui dis. Par pitié monsieur calmez-vous ! Bouffe ça ! Je vais pas prendre ça je ne suis pas malade. Bouffe ça, c’est pas grand’chose c’est pour la toux ! C’est que je suis allergique… Bouffe le ! Ca va me rendre malade ! À bon ? Mais c’est des médocs non ? Ca détruit le foie… Haaa et ça fait quoi d’autre ? Il y a des risques de cancer. Haaa… Sur ce je lui fous toutes les pilules de la plaquette dans la bouche et je lui pince le nez pour qu’il avale. J’ai réussi à me barrer avant que les flics rappliquent. J’ai foutu la vidéo sur le net et la suite vous la connaissez.
  • Et le mec ?
  • Il est crevé d’une ‘hépatite fulminante’ du foie quelques mois après.

 Après ça, on a passé la soirée à picoler de l’absinthe en racontant d’autres histoires, il en connait un paquet le Félix et pas que des marrantes comme la première. Je me suis rentré sur le coup des 2h du mat’, en titubant comme un étudiant en fin de soirée, j’avais pas fini comme ça depuis un bail.




*Très inspiré du chapitre 3. Une drôle de Vierge de l’Homme Foudroyé de Blaise Cendrars, chapitre que j’ai beaucoup apprécié et que je me dois d’honorer, partageant physique caractère et prénom avec Félix.

**Il s’agit de B. Cendrars

***C’est la commande de Cendrars à Félix

****Le caméraman et ami de Cendrars qui l'a accompagné en Egypte.

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