Le meurtre de Lord Durham

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En 1837, survint une suite d'évènements tragiques, dans la colonie britannique du Haut-Canada et celle du Bas-Canada (aujourd’hui le Québec). Ils furent le point culminant d'une succession de conflits larvés entre la population civile et l'occupant militaire colonial. 

L'origine de ces faits remonte à 1759. La victoire éclatante des Anglais contre les Français de la Nouvelle-France, sur les plaines d'Abraham, ne laissa que des miettes à ces derniers. Ils furent privés de nombreux privilèges dont bénéficièrent aussitôt les nouveaux arrivants.

Majoritaires au Bas-Canada, et ayant des représentants élus, les Canadiens Français n'avaient pourtant aucun pouvoir politique. Le système parlementaire mis en place par les britanniques sera plus tard qualifié de truqué. 

Après maintes injustices, humiliations et abus de pouvoir des gouverneurs anglais, une milice de rebelles se forma, «  Les Patriotes  », majoritairement francophones, déterminés à faire respecter et faire entendre la voix du peuple. Ils se battirent courageusement entre 1837 et 1838 afin d'empêcher les anglais de s'accaparer totalement le Bas-Canada et d'y imposer leur loi.

La répression anglaise fut sanglante, menant à l'arrestation des principaux chefs patriotes et à la déportation ou la pendaison de certains rebelles.

En 1838, alors que le conflit entre les rebelles et les loyalistes atteignait son paroxysme et se dirigeait vers une situation de plus en plus inextricable, on dépêcha au Québec un administrateur colonial du nom de John Georges Lambton, dit Lord Durham, afin d'enquêter sur les circonstances de la rébellion du Haut-Canada et du Bas-Canada. Il rédigea un  rapport qui fera date, portant son nom, prônant la supériorité des Anglais sur les Français du Canada et arguant que seule l'assimilation linguistique et culturelle forcée pouvait rétablir une paix civile au Québec.


«  Je crois que la tranquillité ne peut être rétablie qu'à condition d'assujettir la province à la domination vigoureuse d'une majorité anglaise, et que le seul gouvernement efficace serait celui d'une union législative.  » Lord Durham, Report on the Affairs of British North America, 1839.


Les conséquences de ce rapport furent une accélération massive de l'immigration britannique au Canada afin de marginaliser la population francophone puis, ensuite, le retrait des libertés accordées aux Canadiens Français afin d'empêcher toute nouvelle rébellion future. 


John Georges Lambton démissionna finalement lorsque l'une de ses ordonnances de déportation fut rejetée par Londres. Charles Edward Poulett Thomson le remplaça et appliqua son plan à la lettre.

Lord Durham mourut peu après son retour en Angleterre, officiellement de la tuberculose.


En 1998, un détective privé du nom de Fred Swarn se rendit dans le comté de Durham afin de mener des recherches approfondies sur les derniers jours qui précédèrent la mort de John Georges Lambton. Les conclusions de son rapport avançaient une idée pour le moins audacieuse  : selon lui, le comte Durham ne serait pas mort de la tuberculose mais aurait été plutôt «  assassiné  ». On aurait camouflé ce meurtre avant tout pour des raisons politiques.

Pour étayer cette théorie, Fred Swarn se rendit aux archives du comté et retraça la vie de John Georges Lambton afin de trouver des facteurs plausibles qui prouveraient que, par son implication dans les Rébellions de 1837 au Canada, le comte s'était attiré des dizaines d’ennemis. Dans son rapport, il dit  :


«  Lambton était autant aimé que détesté. Il avait de nombreux détracteurs qui le décrivaient comme un aristocrate arrogant, vaniteux et aimant la magnificence. Néanmoins, ils reconnaissaient tous sa franchise, son courage et sa sincérité.  »


Sur les évènements de 1837 il précisa son point de vue  :

«   Lorsque Lambton arriva au Québec, la guerre était déjà déclarée. Les loyalistes avaient déjà fait des prisonniers et personne ne savait quoi en faire. Lambton songea alors à leur déportation mais Lord Broughman le dénonca et le comte perdit aussitôt le soutien de son parti et de son chef, Melbourne. Il se sentit alors trahi par son propre camp {…}

Dans son rapport, Lambton parlait de race inférieure pour désigner les Canadiens Français, reportant sur eux le même mépris qu'il avait pour la France absolutiste et féodale. Les premières personnes qui auraient pu vouloir sa mort étaient sans aucun doute les chefs des Patriotes, contre qui il se battait. On peut citer notamment le docteur Robert Nelson et son frère Wolfred, ainsi que l'irlandais catholique Edmund Bailey O'Callaghan et Louis-Joseph Papineau.

Dans les faits historiques, le 16 novembre 1837, le gouvernement émit illégalement des mandats d'arrestation contre 26 chefs patriotes, dont un grand nombre de députés, sous l'inculpation de haute trahison. Leurs têtes furent mises à prix pour 500 livres. Certaines sentences de mort furent commuées en exils aux Bermudes.  

Le 26 octobre 1838, la Chambre des Communes de Londres déclara illégale la prononciation de la sentence d'exil prononcée par le gouverneur Durham et son Conseil. En conséquence, les exilés purent quitter les Bermudes, mais furent interdits de séjour au Bas-Canada. Ils quittèrent donc les Bermudes le 31 octobre et arrivèrent à Hampton en Virginie le 8 novembre.

Tirant ses conclusions sur ce fait, Fred Swarn émit sa première thèse  :

« Les relations des Patriotes dépassaient largement les frontières du Bas-Canada. Les chefs patriotes étaient majoritairement des descendants des colons de Nouvelle-France comme Louis-Joseph Papineau. Mais certains étaient aussi des anglais et des irlandais. Il ne serait donc pas étonnant qu'ils aient pu fomenter un assassinat de représailles contre Lord Durham depuis le Canada jusqu'en Angleterre. Ils avaient des sympathisants, c'était indéniable. Des gens qui détestaient Durham au point de vouloir sa mort. Lorsque sa tête fut mise à prix, Louis-Joseph Papineau s'enfuit aux Etats-Unis, puis en France. Il ne revint au pays qu'après l'armistice en 1845. Ces huit années d'exil furent troubles. Entre temps, Durham mourut en 1840, peu après être rentré en Angleterre. Aurait-il pu être assassiné par quelqu'un à la solde des Patriotes  ? Plusieurs éléments pourraient étayer cette hypothèse  :

  • Le premier serait à chercher dans la famille de Lord Durham elle-même. Lui, descendant d'aristocrates, fortuné de par les revenus tirés de l'exploitation des mines de charbon qui se trouvaient sur ses terres, était le parfait archétype du grand possédant omnipotent. Qu'il ait pu attiser de l’animosité parmi ses ouvriers, voire de la haine, serait loin d'être utopique. Mais l'idée qu'un chef patriote ait pu faire appel à un simple ouvrier pour échafauder un plan aussi complexe et difficile que d'assassiner Durham paraît très improbable.

A son grand regret, Fred Swarn n'eut pas l'autorisation d'exhumer le corps de Durham afin de le soumettre aux nouvelles techniques de la science moderne. Il eut, par contre, accès à l'examen post-mortem dans les archives de l'époque et il y découvrit certaines choses pour le moins troublantes  :

«  L'autopsie datait du 31 juillet 1840. Il fut mentionné que l'on trouva des traces disparates d'arsenic dans l'organisme de Durham sans pour autant en déduire que ce fut cela qui causa sa mort. L'arsenic était un poison largement utilisé au XIX ème siècle. On pouvait facilement le mélanger aux médicaments. La victime dépérissait graduellement. Pourquoi, alors, n'avoir retenu que la tuberculose comme cause du décès  ? Pourquoi avoir passé cet élément capital sous silence  ? Il est bien vrai que cette maladie avait ravagé la famille du comte, son père, sa première épouse et quatre de ses enfants. Lui-même était prédisposé à l'avoir aussi mais cela n'explique pas tout.  »

Cette découverte surprenante conforta Fred Swarn sur son idée que Lord Durham fut bel et bien assassiné. Dans son investigation, il poussa son raisonnement jusqu'à lancer quelques hypothèses sur qui aurait pu commettre un tel crime.

«  D'après moi, il y aurait quelques suspects dans l'entourage même de Durham. Pour commencer, sa seconde épouse, Lady Louisa Elizabeth Grey, avec qui il eut cinq enfants et qui lui survécut, profitant ainsi de sa rente. Son mobile aurait pu se préciser auprès des sympathies qu'elle entretenait avec les adversaires politiques de Durham. Précipiter l'inévitable aurait pu lui être bénéfique d'un point de vue matériel. Ce qui m'amène aux second et troisième suspects, Melbourne et Brougham. Oui, rappelez-vous, Lord Brougham avait dénoncé Lambton auprès de Melbourne lors de son ordonnance de déportation des prisonniers Canadiens Français. Ce dernier, chef du parti, lui avait alors tourné le dos. Durham n'avait jamais oublié cet affront.

Lors de ses derniers jours, passés dans sa résidence de Cowes, Durham se replia de plus en plus sur lui-même. Là aussi, la haine étant palpable, il ne pourrait être écarté que Melbourne eut voulu achever son ennemi politique une bonne fois pour toutes par l'entremise de sa femme. On sait que l'état de Durham se dégrada rapidement à partir de février 1840, soit quelques jours après sa dernière rencontre avec Melbourne et Brougham.  »

L'investigation de Fred Swarn s'arrêta là, faute de preuves et de moyens. Les autorités, considérant que les théories du détective n'étaient pas assez solides pour rouvrir une enquête, classèrent définitivement le dossier, rajoutant qu'il y avait prescription.

En 2003, Fred Swarn accorda une courte interview au journal The Independent dans laquelle il déplorait le laxisme des autorités à vouloir rouvrir l'affaire et les exhortait une nouvelle fois à exhumer le corps de Durham afin de pratiquer une nouvelle autopsie, ce à quoi la famille du défunt se refusa toujours. Il révéla à la journaliste qui le questionnait sur son investigation de 1998 qu'il avait trouvé un nouvel indice corroborant un peu plus sa thèse.

- Je suis toujours autant convaincu qu'il s'agisse d'un meurtre, déclara-t-il sans détour, je sais que Lord Durham a été empoisonné et je suis presque sûr de connaître le coupable. D'ailleurs, j'ai recueilli un nouvel élément troublant. Il provient, ni plus ni moins, que du testament du docteur Robert Nelson, l'un des chefs des Patriotes. Je vais vous en lire le passage le plus étrange...

«  L'un de mes plus grands regrets, si ce n'est le plus grand, a été notre inaction face au gouverneur Durham. Certes, nous l'avons bravement combattu mais nous nous sommes révélés incapables de l'arrêter. Il a réussi à rédiger ce maudit rapport qui a mis fin à ce bain de sang et nous a privés à jamais de notre indépendance. Cet homme était le diable en personne et à partir du moment où il posa le pied sur nos terres nous aurions dû l'empêcher de s'arroger les pleins pouvoirs en Nouvelle-France. Il est heureux qu'il soit mort loin du Canada, de fait, personne ne peut accuser les Patriotes Canadiens d'assassinat mais il aurait mieux valu pour le bien de notre peuple qu'il soit mort en 1837.  »

Repliant lentement la lettre, Fred Swarn prit un ton grave  :

  • Il y a là des éléments qui, mis bout-à-bout, mènent à la même conclusion  : la mort de Lord Durham au Canada n'aurait fait que rajouter un peu plus d'huile sur le feu. Je ne sais pas si cela aurait permis aux Patriotes de remporter la victoire finale sur les loyalistes mais cela aurait été très certainement décisif, autant psychologiquement que symboliquement.

La journaliste, inquisitrice, demanda alors  :

  • S'il s'agit bien d'un meurtre, Mr Swarn, d'après vous, qui est le coupable  ?


Auteur  : Bruno Carlyle


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