Il m’a abandonnée…

Comment ai-je pu être aussi stupide ? Comment ai-je pu avoir l’audace de croire qu’il y avait la moindre exclusivité entre nous ? Je ne suis donc qu’un jouet, qu’Il prête à convenance, tandis qu’Il s’amuse de son côté avec d’autres proies ?

La vision de cet homme, dominant dans son attitude une autre femme que moi, hante mon esprit. Un sentiment inhabituel, corrosif, me ronge l’estomac et le cerveau. La jalousie. La possessivité. Je n’avais encore jamais eu conscience à ce point de ce qui m’attache à Lui. La leçon est violente. Trop brutale pour moi. Fuis ! hurle la voix de la raison dans ma tête.

Autour de nous, la cérémonie se finalise, chacun ayant trouvé sa partenaire. A ma droite, Perle semble complètement absorbée par un homme au crâne rasé qui tient son cadenas ouvert. Affolée, je cherche des yeux Maria, comme quelqu’un qui se noie cherche désespérément une bouée de sauvetage. Je ne la vois nulle part.

- Inutile d’y penser, déclare tranquillement le dominant qui me fait face. Les jeux sont faits.

- Je suis désolée, ça ne va pas être possible, dis-je précipitamment. Je veux sortir d’ici. Maintenant.

Il émet un petit reniflement moqueur.

- Je te garantis que tu n’es pas près de respirer l’air frais du pont avant un bon moment. Je t’attacherai à fond de cale si nécessaire, et sois sûre que j’y prendrai un plaisir certain.

Je le dévisage comme si j’avais affaire à un dingue échappé d’un asile.

- Vous êtes complètement malade. Je vais descendre de ce bateau et vous laisser vous amuser entre vous.

A ma surprise, il éclate de rire. La colère commence à me gagner.

- Descendre ? J’espère que tu es endurante…

- Vous voulez m’en empêcher ? le défié-je avec froideur.

- Tu as vraiment cru toutes les conneries qu’on vous a racontées à votre arrivée ?

Malgré moi, je fronce les sourcils. De quoi parle-t-il ?

- Le bateau a pris la mer il y a un peu plus d’une heure. Tu mourras de fatigue ou d’hypothermie avant de rejoindre le rivage.

Je me fige.

- Vous mentez, fais-je d’une voix blanche.

Il secoue la tête, un sourire sadique se profilant sur ses lèvres pâles.

- Tu ne sais vraiment pas dans quoi tu t’es embarquée… Mais tu vas vite le comprendre. Nous payons bien assez cher cette petite excursion pour avoir le droit de profiter des invitées à notre guise.

Le droit de… Mais c’est quoi ce délire ? Où est Maria, bordel ? Je tâche de rester calme, alors qu’une peur panique me paralyse déjà. Autour de moi, personne ne bouge, toutes les soumises ont la tête baissée, et les murmures des dominants troublent l’atmosphère qui me semble de plus en plus étouffante. Je cherche des yeux l’homme qui se disait mon Maître avant que je commette la bêtise de le rejoindre sur ce navire. La petite blonde et lui ont disparu. Je me sens prise au piège.

- Allez, ne fais pas la farouche, fait-il en m’attrapant par le coude pour m’entraîner vers le salon des dominants.

- Ne me touchez pas ! craché-je avec colère en me dégageant vivement. Une chienne n’a qu’un seul maitre !

J’ignore d’où me vient cette répartie cinglante qui ne me correspond pas. Je déteste l’emploi du mot « chienne » dans la relation de soumission. Le dominant recule d’un pas. J’ai crié. Toutes les têtes ont convergé vers nous et je me sens à présent le point de mire de la soirée. Perle me dévisage et je devine sa désapprobation. J’ai le cœur qui bat bien trop vite dans ma poitrine serrée.

- Allons allons, qui se permet de troubler ainsi le charme de la soirée ? murmure une voix dans mon dos.

Oh putain… Je fais volte-face. Il se tient face à moi. Lui. L’homme de mes tourments. J’en oublie presque de respirer. A sa gauche, la soumise dont Il a ouvert le cadenas garde humblement la tête baissée. Il affiche un air sévère.

- On n’entend que toi ce soir, tu attires beaucoup trop l’attention, assène-t-Il à voix basse.

Ma mâchoire tremble, j’ai envie de hurler et de lui demander des explications. Mais je suis tétanisée par sa présence. J’oscille entre colère et soulagement. Je l’affronte du regard avec nervosité.

- Tu te calmes, ordonne-t-Il. Baisse les yeux.

J’aimerais lutter, mais mon regard est comme brusquement aimanté au sol. J’obéis en me maudissant en mon for intérieur.

- Tout va bien Seamus ? demande-t-Il à l’homme qui a ma clé.

- Hélas non, mon cher ! Nous devisions avec cette charmante personne, mais je crois que nous présentons trop d’incompatibilités, elle et moi.

- C’est regrettable… Figurez-vous que j’ai le même souci avec la délicate personne qui m’accompagne.

- Oh vraiment ?

Je me risque à jeter un bref coup d’œil à la petite blonde en face de moi. Un léger sourire agite le coin de sa bouche.

- Oui, elle m’a répondu que bien que j’aie ouvert son cadenas, elle appartenait déjà à un homme et qu’elle ne saurait être à moi, même pour quelques heures. A moins bien sûr, a-t-elle conclu, que son maitre ne lui en donne l’ordre…

- J’ai eu sensiblement le même discours ici. Mais je n’ai pas senti autant d’obéissance que de dévotion…, ajoute Seamus, dubitatif.

Tu m’étonnes, plutôt crever que de me donner à un autre homme sur commande !

- Je crois en effet que l’ensemble des invités a pu profiter de la réponse fougueuse de votre « cadenas », rétorque mon maitre, glacial.

Cette remarque m’est clairement destinée. Je sens le rouge me monter aux joues. Je n’apprécie pas que l’on parle de moi à la troisième personne en ma présence. Ni d’être indirectement rabrouée. Ni de sentir que je suis le jouet d’une petite machination préméditée.

- Me permettez-vous ? demande Seamus à mon maitre.

- Je vous en prie.

- Ma chère, susurre-t-il en prenant ma main pour la porter à ses lèvres, j’espère que vous voudrez bien pardonner la grossièreté dont j’ai fait preuve à votre égard et les mensonges que j’ai proférés… Votre Maître et moi avons, entre autres passions communes, un goût partagé pour la plaisanterie douteuse.

Je ne vous le fais pas dire… Je le regarde en pinçant les lèvres, sans répondre. Je ne sais pas à qui j’en veux le plus : à ces hommes qui s’amusent à mes dépends, ou à moi qui me mets dans des situations si improbables que je ne sais plus si je suis en sécurité ou en danger, si c’est un jeu ou bien un piège, si c’est bon pour moi ou malsain, si je dois rester dans cette voie ou m’en écarter définitivement.

- Je vous présente également mes excuses pour avoir porté la main sur vous sans avoir sollicité votre consentement préalable. Un léger écart permis par votre maitre pour me permettre de vous mettre davantage la pression. Je vous rends donc à lui, ayant échoué dans ma tentative de vous faire céder.

Le ton affable et le langage sophistiqué qu’il emploie dénotent entièrement avec son attitude de tout à l’heure. Je n’ai plus le moindre doute sur la capacité de cet homme à user de ses talents de comédien pour déstabiliser et conditionner une femme. Les dominants sont souvent joueurs et trompeurs, me rappelle ma raison.

- Excuses acceptées, fais-je froidement en retirant ma main de la sienne.

- Je vous rends votre partenaire, Seamus. Elle n’a pas le moins du monde été sensible à la supercherie. Je lui ai déjà dit à quel point j’étais impressionné par son aplomb, son obéissance et son dévouement.

Les joues de la petite blonde rosissent. Malgré moi, j’éprouve une certaine jalousie à entendre mon maitre exprimer son admiration pour une autre soumise. Mais il est évident que je n’ai pas le même niveau de soumission et de confiance que cette femme.

- Et vous mon cher, vous avez là une partenaire dotée d’un tempérament de feu. Je vous souhaite bien du plaisir dans son éducation… et du courage également, achève Seamus, l’air malicieux.

Mon maitre incline la tête avec politesse alors qu’ils s’échangent les clés de nos cadenas. L’autre homme relève le menton de sa partenaire. Il plonge son regard dans le sien. Ils ne parlent pas mais je reste stupéfaite par la communication silencieuse qui semble s’établir immédiatement entre eux. Vivrai-je un jour la même osmose avec mon propre dominant ? Sentirai-je cette connexion permanente, aussi bien en face à face qu’en dehors ?

- Regarde-moi, murmure mon Alpha, me tirant de mes réflexions. As-tu toujours l’intention de descendre de ce bateau ?

Il n’a pas besoin de parler fort pour avoir l’air sévère. Son regard me transperce à travers son masque, me donnant le frisson. J’avale ma salive.

- Non, Monsieur.

Malgré mon indignation d’avoir cru à sa petite farce, je garde désespérément le besoin qu’Il me touche, qu’Il me fasse lâcher prise.

- En es-tu sûre ? Es-tu prête à m’obéir ?

- Oui, Monsieur.

- Bien…

Maria est enfin réapparue et a commencé à faire le tour des invités. En l’attendant, Il maintient une distance d’environ un demi-mètre entre Lui et moi. La tension qui se déploie au sein de cet espace est palpable. Parle-moi… Touche-moi…

A mesure que les consentements sont recueillis, les hommes regagnent les fauteuils de leur salon alors que chaque femme s’éloigne par un nouveau couloir en quête de la cabine de son maitre. Notre hôtesse se présente enfin à nous. Elle regarde mon numéro de cadenas puis sa liste avant de demander :

- Ely, j’ai cru comprendre qu’il y avait eu un problème au cours de la cérémonie, est-ce que tout va bien ?

- Oui, Madame.

Etrangement, je lui réponds comme si j’étais sa soumise. Je ressens l’influence de la présence de mon maitre.

- Votre partenaire vous a trouvée. Trois options s’offrent à vous : consentir à vous livrer à lui dans le respect de vos propres limites, échanger avec un autre partenaire à condition qu’une autre invitée le souhaite également, ou bien renoncer et quitter le navire dès maintenant. Quel est votre choix ?

Je me demande comment Il réagirait si je choisissais l’option numéro deux, juste par défi. Il te punirait certainement pour ton insolence… mais de manière définitive.

- Je consens à appartenir à cet homme pour la durée des festivités, déclaré-je solennellement.

Il ne bronche pas. Mais je doute fortement qu’Il apprécie que je limite mon appartenance sur une durée déterminée. Tu joues avec le feu, ne viens pas te plaindre si tu te brûles ! Maria hoche la tête avec un sourire.

- Parfait. Je vous laisse vous en remettre à votre partenaire à partir de maintenant. N’oubliez pas les mots d’alerte, et n’oubliez pas de prendre du plaisir. Je vous souhaite une agréable soirée à tous les deux.

Elle s’éloigne rapidement en direction du prochain couple.

- Ta cabine est la 24, déclare mon Maitre en me tendant une carte magnétique. Je veux que tu t’y rendes maintenant. Tu ne touches à rien une fois là-bas, à l’exception du dressing dans l’entrée. Tu m’attendras, nue, agenouillée sur le coussin au pied du lit. Tu garderas le silence et l’immobilité tant que je ne te donnerai pas un ordre contraire. Est-ce compris ?

Mon ventre se liquéfie. Ely a repris le contrôle. Et ça l’excite qu’on lui donne des directives avec une telle autorité.

- Oui, Monsieur.

- Vas-y.

Je ne me le fais pas dire deux fois. Je tourne les talons et m’éloigne en suivant les autres soumises. J’aurais aimé attendre Perle, pour me rassurer un court instant, mais elle est encore avec Maria. Et je ne suis pas certaine que mon Maitre apprécierait que je discute avec elle sans avoir demandé sa permission. A partir de maintenant, je ne peux compter que sur moi-même.

Le couloir ressemble aux précédents déjà traversés. Je soupçonne les décorateurs d’avoir tout fait pour nous donner l’impression d’évoluer dans un labyrinthe et créer de la confusion chez les soumises. Si je m’en réfère à ce que nous a expliqué Maria, seuls les Maitres doivent connaître l’endroit pour nous guider. Je déteste l’idée de me perdre et de ne plus savoir comment m’échapper d’ici.

C’est ridicule, si tu veux vraiment te repérer, trouve un extincteur et tu auras nécessairement un plan d’évacuation affiché à proximité, affirme ma raison.

Sauf si cet endroit est tenu tellement secret qu’il n’est soumis à aucune norme de sécurité élémentaire, objecte Ely.

Pas de sécurité ? se gausse ma raison. Sur un bateau ? Tu as déjà vu un dominant mettre sa soumise en danger, ne serait-ce qu’un court instant ?

La logique l’emporte. A son extrémité, le couloir se divise en deux, en T. Un élégant panneau argenté m’indique que la cabine de mon Maitre se trouve sur ma gauche. A intervalles réguliers, des portes métalliques aux pourtours cloutés marquent l’entrée des tanières des dominants. Rien que d’y songer, j’ai des fourmillements dans les membres. Qui sait ce qu’il se passera derrière chaque porte ? Quels doux sévices seront infligés aux inconnues masquées ? Quels tortueux plaisirs secoueront les corps extatiques ? J’imagine les soupirs et les cris à venir des invités, et l’idée de les partager avec eux dans ce lieu secret m’excite.

24.

Je glisse la carte dans la fente de la serrure électronique qui émet un déclic. J’entre en refermant la porte derrière moi. La cabine baigne dans une lumière de faible intensité, qui s’est allumée automatiquement à mon entrée. Bleutée, la couleur froide crée paradoxalement une atmosphère chaude et électrisante. Au sol, une moquette représentant des motifs engrenages clairs sur fond noir étouffe le bruit de mes pas alors que je m’avance timidement.

Centré contre le mur au fond de la cabine, le lit king size est impressionnant. Il est surmonté d’une charpente baldaquin faite de poutrelles métalliques noires, mais dépourvue de rideaux. La tête de lit est un enchevêtrement de barreaux de métal tordus de manière sophistiquée. Elle monte jusqu’en haut de l’imposante structure. J’y vois de suite un aspect fonctionnel dans l’univers que mon Maitre me fait découvrir, et Ely commence à fantasmer.

Je ne vois pas de fenêtre, à moins qu’elle soit occultée par le lourd rideau bleu nuit qui masque un pan du mur à gauche du lit. Sur l’autre mur, à droite du lit, cinq engrenages de différentes tailles, subtilement rétroéclairés par un délicat jeu de lumière blanche, forment une décoration élégante et fascinante. Elle surplombe un bureau massif dont l’aspect ressemble à celui de la structure du lit. Il n’y a pas de chaise, mais deux fauteuils et une table basse en verre, dans un design industriel et soigné à la fois, complètent le mobilier. Je me demande si toutes les cabines sont aménagées et décorées de cette façon.

Surtout, ne toucher à rien d’autre que le dressing. Je reviens sagement sur mes pas. Je suppose que la salle de bains se trouve derrière une des deux portes dans l’entrée, mais je me rappelle que je ne suis pas autorisée à visiter les lieux à ma guise. Somme toute, c’est une chambre qui me parait assez classique, bien que très raffinée. Tu t’attendais à trouver l’ambiance d’un donjon BDSM ? Ely s’avoue presque déçue.

J’enlève mes escarpins et les range dans le placard de l’entrée. Je retire ma robe que je suspends à un cintre dans la penderie. Je plie soigneusement ma lingerie avant de la déposer sur une étagère, puis de refermer les portes. Le désordre est une chose qu’Il ne tolère pas. Je ne souhaite pas le contrarier.

Je balaye la cabine du regard. Cela ne me parait pas très grand, peut-être une trentaine de mètres carrés, salle de bains comprise, si je juge correctement des volumes. Je sais que mon Maitre aime avoir du dégagement, de la place, pour me soumettre à sa volonté. Mais je ne doute pas qu’Il s’adaptera à la situation. Il m’a déjà prouvé que les espaces confinés permettaient bien des jeux malgré tout. Comme Il l’a dit, il y a un grand coussin carré noir posé au sol, à l’angle du lit. Je m’y agenouille, les fesses reposant sur les talons, genoux écartés, mains à plat sur les cuisses, tête baissée.

Un bip se fait entendre, me faisant sursauter, suivi du bruit métallique de la serrure électronique de la chambre qui se déverrouille. Quelqu’un pénètre un bref instant dans le couloir d’entrée avant de ressortir. Calme-toi… c’est sûrement ton sac qu’on vient de déposer. Je trouve curieux que l’on rentre ainsi sans frapper, mais je suppose que cela fait partie d’un protocole établi bien à l’avance. Je ferme les yeux et respire calmement. J’attends ainsi de longues minutes.

Je repense à la cérémonie des cadenas, et plus j’y songe, plus je perçois qu’il s’agit d’une vaste mise en scène. Il me parait impossible que mon Maitre et l’autre dominant aient pioché « par hasard » les clés inversées de leurs soumises. Ils ont fait semblant. L’évidence me saute aux yeux. Ils ont tous fait semblant !

Perle a dit qu’elle avait rempli un questionnaire avant la soirée, pour indiquer ses limites notamment. Je suis persuadée maintenant que les hommes ont étudié chacun des profils des invitées, et qu’ils ont fait leur choix. Ainsi, ils ont pu se voir remettre à chacun la clé correspondant à la soumise choisie. Seamus et mon Maitre en ont profité pour échanger les leurs. Ils n’avaient plus, tous, qu’à faire semblant de mettre la main dans ce grand vase opaque pour nous berner. Il n’y a pas eu de hasard. C’est forcément ça. Ça expliquerait pourquoi Maria n’a recueilli que les consentements des femmes. Elle n’a pas demandé à mon Alpha si je lui convenais. Preuve que l’affaire était déjà entendue.

Quand je repense au sale tour que m’a joué mon Dominant, je n’arrive pas à croire qu’Il ait pu me faire cela. Je me demande quel pouvait bien être son objectif. Me faire stresser juste pour se délecter de ma peur ? Me tester pour voir si j’allais fuir ? Ou si j’allais, au contraire, suivre l’homme qui a ouvert mon cadenas sans mot dire ? Non, Il te sait bien trop farouche pour envisager cette option.

Et s’Il avait simplement voulu me faire croire que j’étais embarquée dans une situation épouvantable, juste pour pouvoir se poser en sauveur à la fin ? J’ai cru défaillir de soulagement en le voyant brusquement face à moi. Et si c’était cela son but ? Me montrer qu’il peut y avoir de graves dangers à fréquenter les mauvaises personnes ou les mauvais endroits ? Me mettre en garde et me rappeler qu’Il est mon seul Protecteur ? Ça ressemble aussi à une forme de manipulation de sa part, suggère ma raison.

Un deuxième déclic retentit, me coupant dans mes réflexions. Il entre. Cette fois c’est Lui, j’en suis sûre. Je garde les yeux baissés. Il s’affaire quelques instants à je ne sais quoi, avant de s’assoir sur le lit en face de moi. Il garde le silence quelques instants. Je reste strictement immobile, comme Il me l’a ordonné, mais déjà je ressens cette électricité dans l’air, celle qui se forme dès que nous sommes dans la même pièce.

- Viens vers moi, me dit-Il soudain.

Je parcours à quatre pattes la distance qui me sépare de Lui et me place à genoux entre ses jambes ouvertes. Je pose mes mains sur ses cuisses. Je ne Le regarde toujours pas. Je vois cependant dans mon champ de vision qu’Il s’est débarrassé de sa veste et de son masque.

- Tu as eu ton petit moment de terreur tout à l’heure, chuchote-t-Il.

Je ne réponds pas. Ce n’est pas une question. Il me caresse du bout du doigt, de la clavicule jusqu’au poignet et je frémis. Je sens son parfum et ça me donne envie de me blottir contre Lui.

- Je suis sûr que tu t’imaginais déjà soumise 24 heures à un parfait inconnu… seule sur ce bateau transpirant la luxure et la décadence. Perdue dans cet univers que tu commences à peine à découvrir. Abandonnée à tous les vices, à toutes les perversions…

Je garde le silence, m’abstenant de commenter qu’il s’agit vraiment d’un humour de très mauvais goût. Il détache le ruban qui maintient mon loup en place et me le retire. Ses mains attrapent mon visage.

- « Une chienne n’a qu’un seul maitre »… Je dois avouer que cette réplique était fort bien placée.

Ses lèvres se plaquent brusquement contre les miennes, et l’intensité de son baiser me coupe le souffle. J’y réponds avec une passion dévorante avant qu’Il ne me repousse et se lève du lit, me laissant haletante.

- Nous avons un problème à régler, Ely, me dit-Il d’un ton grave en commençant à déboutonner sa chemise. Tu ne m’as pas fait confiance tout à l’heure. Tu as cru que je serais capable de te laisser entre les mains de n’importe qui. Tu sembles avoir une bien piètre opinion de ton Maitre…

Je blêmis aussitôt en comprenant que je vais être punie. C’était ça, le but de la cérémonie… Je me recroqueville.

- Pardon, Monsieur, fais-je d’une toute petite voix, espérant ainsi l’amadouer.

- N’aie surtout pas l’audace de croire que je vais passer l’éponge, réplique-t-Il sèchement. Viens ici !

Mortifiée, je rampe, à quatre pattes, jusqu’à Lui. Il me toise de toute sa hauteur en saisissant mon menton.

- A ton avis, de quelle manière devrais-je te punir ? souffle-t-Il.

Cette question ouverte n’a aucun sens, je ne peux pas y répondre. Je ne connais pas encore beaucoup de pratiques, novice que je suis. Et je n’ai certainement pas envie de suggérer quelque chose d’effrayant et de potentiellement douloureux.

- Réponds-moi ! commande-Il en serrant mon visage entre ses doigts.

Je devrais paniquer, mais c’est l’excitation qui commence déjà à se répandre dans mes veines.

- De la manière qui vous plaira, Monsieur, murmuré-je.

Il hausse un sourcil tandis qu’un léger rictus soulève le coin de ses lèvres. Ma réponse lui plait, sans aucun doute.

- Hum… Lève-toi, dit-Il en me prenant par le bras pour me relever. Il est temps que tu apprennes et que tu comprennes.

Il m’amène face au rideau qu’Il ouvre en grand, dévoilant un spectacle que je ne suis pas près d’oublier. Il aurait été surprenant de trouver une fenêtre sur un bateau... C’est une seconde pièce que je contemple, d’une quinzaine de mètres carrés, peut-être plus. Trois des quatre murs sont entièrement capitonnés d’un tissu couleur rouge cerise, imitation cuir. Comme dans les salons du navire, des rubans à LED dissimulés créent une lumière tamisée. Au plafond grillagé de noir sont fixés divers éléments dont je ne suis pas certaine de bien comprendre l’usage, comme des poulies, des mousquetons ou encore des crochets. Je reste un instant scotchée devant ma découverte. Je vois également des attaches en cuir noir suspendues à divers endroits, et j’ose à peine les regarder, comme si cela pourrait suffire à ce que je me retrouve aussitôt entravée. C’est du délire… Mais qu’est-ce que je fais ici ?

La curiosité me pousse à faire quelques pas au sein de la pièce. Je tressaille en sentant le matériau noir du sol s’enfoncer très légèrement sous mes pas. Cela ressemble à du parquet, mais au toucher on dirait une sorte de gomme absorbant les chocs. Au fond de la pièce se trouve un banc matelassé, aux pieds duquel pendent des menottes. Le quatrième mur, où se découpe la porte, est peint d’une couleur identique à celle des capitons. Il est habillé d’une vitrine éclairée ainsi que de cinq tablettes, fixées à des hauteurs différentes, et divers crochets. Je promène mes doigts timidement sur le bois lasuré en me faisant la réflexion que du « matériel » devrait être rangé ici. Or, il n’y a rien.

La lumière de la cabine baisse soudain en intensité et j’entends le déclic d’un briquet. Je me tourne vers mon maitre. Il a allumé une grosse bougie blanche qu’Il pose sur une des tablettes devant moi.

- Ça t’intrigue, n’est-ce pas ? demande-t-Il.

- Oui, Monsieur.

- Parle librement.

- Pourquoi… pourquoi est-ce vide ? fais-je timidement en désignant le mur.

- Voudrais-tu que j’utilise des accessoires pour te punir ?

Je rougis en me mordillant la lèvre. J’aurais mieux fait de me taire.

- Réponds.

- Je… je ne sais pas, Monsieur.

Il s’est débarrassé de sa chemise et je contemple son torse nu avec envie. Il le remarque.

- Baisse les yeux, ordonne-t-Il.

Je m’exécute. Il s’approche de moi, colle sa poitrine contre la mienne. Mon pouls s’accélère. Sa proximité et son autorité m’affolent de nouveau.

- Recule.

Je recule, son corps collé au mien, jusqu’au centre de la pièce.

- Stop. Tourne-toi.

Seigneur, rien que de sentir sa peau nue contre la mienne, j’ai déjà envie qu’Il me prenne, là, tout de suite. Mais Il ne le fera probablement pas. A la place, Il prendra son pied en me torturant et en me voyant le supplier de me laisser jouir. Et Il n’y consentira certainement pas non plus. Je fais face au mur capitonné.

- Donne-moi ta main.

Il se place face à moi, se saisit d’une attache en cuir pendant au bout d’une corde à hauteur de mon épaule et enfile ma main à l’intérieur. Il referme la boucle sur mon poignet et s’assure en tirant dessus que je suis solidement entravée. Le contact est à la fois puissamment érotique et tout à fait flippant. Il tire alors brusquement sur la corde, m’obligeant à tendre le bras vers le plafond. Je devine qu’Il réalise un nœud pour me maintenir dans cette position

- L’autre main.

Il procède de la même façon et je tente d’afficher un air serein alors que mon cœur bat sourdement.

- Ecarte les jambes.

J’obéis. Il s’agenouille lentement, sa bouche frôlant mes seins, mon ventre puis mes cuisses. Je suis presque sûre de mouiller déjà comme une folle. Il retire deux dalles au sol, un détail que je n’avais pas du tout remarqué en explorant la pièce, et extrait de deux cavités des attaches similaires. Il les fixe à mes chevilles puis se relève et recule de quelques pas.

Quelque part dans un coin de ma tête, une voix me crie que ma position – nue et crucifiée – et ma situation – à la merci d’un dominant prêt à me punir – sont alarmantes. Mais la soumise qui est en moi la fait taire rapidement.

- Pour répondre à ta question de tout à l’heure, je n’ai pas exposé ici tout ce que je souhaite utiliser sur toi pour t’empêcher de le savoir à l’avance. Et je ne vais pas te bander les yeux cette fois, annonce-t-Il après réflexion. Je veux sentir ta peur lorsque tu découvriras à la dernière seconde ce que j’ai l’intention de te faire. Je veux lire dans tes yeux ta souffrance et ta frustration. Et je veux que tu voies à quel point je vais prendre du plaisir dans tout ça.

Il me contourne et j’entends le frôlement de ses pas s’éloigner vers la chambre. Je me mords les lèvres, entre impatience et appréhension. Je sens que, cette fois, Il va repousser très loin mes limites. Je fixe le sol, attendant qu’Il s’approche.

Je le sens dans mon dos. Quelque chose, dur et frais, caresse ma nuque, passe entre mes omoplates et descend le long de ma colonne vertébrale. Je n’ai aucune idée de ce que c’est. L’objet glisse sur mes fesses, puis le long de l’intérieur de mes jambes jusqu’à mes pieds. Je me penche pour regarder, mais tout ce que je vois c’est l’extrémité d’une sorte de bâton noir brillant que mon maitre tient fermement. Il disparait de mon champ de vision en remontant à nouveau jusqu’à effleurer mon sexe. Je frissonne en tirant sur mes liens.

- Sais-tu ce que c’est ? demande-t-Il à mon oreille.

Un sex-toy, mais quoi exactement ?

- Non, Monsieur.

- Et là… est-ce que tu devines ?

Je sens une autre caresse au bas de mon dos. Celles de multiples lanières souples. Mes cheveux se dressent sur ma tête. Quoi ?! Il ne va quand même pas… Un claquement sec se fait soudain entendre, et je glapis en sentant une morsure cuisante sur ma fesse droite. Je me tends pour échapper au second coup sur l’autre fesse, mais sans succès. Un cri m’échappe.

- Là…, chuchote-t-Il dans mes cheveux, tu as compris. Tu es encore plus bandante quand ta peau rougit sous mes coups. Et crois-moi, je la trouve encore bien trop pâle.

J’essaye de reprendre le contrôle de ma respiration. Il promène le fouet sur mes épaules, et mes muscles se contractent, redoutant qu’Il s’en serve. Il me contourne et les lanières glissent sur mes seins. Ce contact m’excite et cela me parait incongru. Il se campe devant moi et me montre l’objet du délit en me jaugeant du regard.

- Est-ce que tu as peur ?

Oui, je suis terrifiée. Non, j’en veux encore. Les deux réponses se télescopent dans ma tête, créant la confusion. Par sécurité, j’avoue :

- Oui, Monsieur.

- Bien.

Un claquement. Sur mon ventre. Heureusement moins fort que précédemment. Je sursaute, surprise par la sensation à cet endroit. Ma hanche. La cuisse droite. Il tourne autour de moi. Le flanc gauche. Le bout des lanières touche une partie de mon sein et je me tords sur le côté. Contrairement à ce que je redoutais, ce n’est pas très douloureux. Ma peau, en revanche, se couvre de frissons. Je la sens chauffer et devenir plus sensible par endroits.

Le ventre de nouveau. Mon Maitre pose sa main dessus et le caresse doucement. Jamais toucher ne m’a paru si apaisant. Je m’entends presque ronronner quand son doigt se perd un court instant en moi pour tester ma moiteur. Il ne dit rien. Mais ses yeux s’assombrissent et Il affiche un air de prédateur. Nul doute qu’Il est satisfait de mon état. Je donnerais cher pour savoir à quoi Il pense en ce moment même. Que voudrais-tu donner de plus ? Tu lui donnes déjà tout.

La morsure subite du cuir sur mes seins me tire brutalement de ma rêverie. Outch ! Le jeu reprend soudain, plus intense, plus soutenu. Tout s’enchaîne trop vite pour que je puisse réfléchir. Je n’ai pas le temps d’évaluer l’effet d’un coup sur une partie de mon corps que déjà le suivant s’abat ailleurs. J’ai l’impression de m’embraser. Mon Maître tourne autour de moi, me donnant le tournis, sa main gauche caressant ma peau à vif jusqu’à mes fesses. Il les fouette encore à plusieurs reprises, me menant à la limite de l’insupportable. C’est au moment où je m’apprête à crier « Jaune » qu’Il s’arrête.

J’ai l’impression d’être déjà à bout de forces. Or je sais que cela ne fait pas si longtemps que je suis livrée à sa merci. Cela n’est que l’échauffement. Haletante, je guette avec appréhension le prochain coup qui ne vient pas. Mais qu’est-ce qu’Il fait ? J’essaye de tourner la tête pour regarder derrière moi, mais cela tire trop sur ma nuque et mes bras.

Il revient soudain se planter devant moi. Il a glissé le fouet à la ceinture de son pantalon. Son torse sculpté dégage une telle assurance, une telle puissance… Son visage, tant d’autorité… Son regard… tant de lubricité. Jamais Il ne m’a paru aussi dangereux pour moi. Ni aussi sexy. Il tient dans sa main le cierge blanc allumé et éclaire mon corps, de près. Il inspecte ma peau, du bout des doigts, ou du plat de la main, en délicates caresses.

- Voilà qui est mieux, commente-t-Il. Tu es à point…

La flamme danse dans ses yeux sombres et m’hypnotise, alors qu’Il incline la bougie. Une goutte de cire brûlante s’écrase sur la pointe de mon sein. Je serre les dents pour retenir un cri tout en tirant violemment sur mes liens.

- Reste tranquille, ordonne-t-Il en insérant deux doigts en moi et en faisant pression sur mon pubis pour m’empêcher de bouger.

La cire se déverse sur ma poitrine et sur mon ventre. Lentement. Très lentement. Il m’observe, alors qu’Il semble déterminer à habiller ma peau de ces ardentes éclaboussures. Je gémis, sentant, à chaque nouvelle goutte, mon corps se resserrer autour de ses doigts. Oh putain… Il ne les bouge pas, à mon grand dam. Mais me sentir prise en étau m’excite au plus haut point. Je lutte contre Lui, tentant d’onduler du bassin pour prendre du plaisir malgré son entrave.

Il plisse les yeux, et en réponse à cette bravade, Il passe son bras dans mon dos et verse la cire sur mes épaules. Elle s’écoule, chaude et épaisse sur mes reins et mes fesses. Elle me recouvre d’une carapace fluide, molle, qui durcit petit à petit. Je suis en feu. Je couine faiblement en le suppliant du regard.

Il retire ses doigts, m’arrachant un long soupir. Il pose la bougie au sol et recule pour me contempler.

- Tu vois l’effet que cela me fait de te torturer ainsi ? me demande-t-Il en caressant le renflement de son pantalon.

Je me mords les lèvres en fixant son entrejambe avec convoitise. J’ai envie de voir l’objet de mon désir. J’ai envie de le sentir dur contre moi. J’ai envie de…

- Tant d’indécence dans ce regard…, siffle-t-Il.

Il retire brusquement le fouet de sa ceinture et j’ai un sursaut à l’idée qu’Il recommence à s’en servir. Il s’approche et se campe devant moi.

- Suce, ordonne-t-Il en présentant le manche du fouet contre mes lèvres tremblantes.

J’obtempère en entrouvrant la bouche. L’objet est assez gros, dur, d’un matériau lisse et brillant. Son extrémité est arrondie, et il présente trois nervures le long de sa surface, autour desquelles ma langue s’enroule avec curiosité. La ressemblance avec un sex-toy est frappante.

- Mieux que ça. Comme si c’était celle de ton Maitre.

Le feu me monte aux joues alors que j’obéis, sous son regard inquisiteur. Je m’applique, me prenant au jeu. Je ressens subitement l’envie de le défier. Je plante mes yeux dans les siens en suçant le manche avec passion et lascivité.

- Ça suffit ! fait-II sèchement. Je vois clair dans ton petit manège. Voilà de quoi te calmer.

Il insère le manche entre mes cuisses humides de désir. Je me contracte, surprise. Sa langue envahit ma bouche et étouffe mes gémissements à mesure que l’objet me pénètre. Lentement, Il le retire, puis recommence en observant cette fois chaque réaction de mon visage. Mon corps réagit à chaque nervure, tentant de s’adapter à cet élément inconnu. Mon Maitre exécute des va-et-vient à sa convenance, variant la vitesse et l’angle de pénétration. Son pouce agace mon petit bouton magique, me faisant sursauter. Je frissonne en sentant les lanières effleurer parfois mes cuisses. Ma bouche s’ouvre sur un cri silencieux. Il pince alors fortement mes tétons entre ses doigts et la cire s’effrite en tombant au sol. Je crie cette fois.

Merde, c’est trop bon… Je n’ai aucun contrôle, aucune possibilité de lutter, et je m’abandonne à sa torture en tremblant. La sueur perle sur ma peau et je sens la cire se détacher par endroits sous la contraction de mes muscles tendus. La main de mon Maitre m’attrape la fesse fermement pour m’empêcher de remuer alors qu’Il intensifie les mouvements du manche. Je halète, de plus en plus, ma tension s’envole. Il colle son front contre ma tempe alors que mes yeux se révulsent à l’approche de l’orgasme.

Quand soudain… tout s’arrête. Il retire le manche avec un geste désinvolte et me relâche. J’ai un hoquet de stupeur en ravalant mon orgasme prêt à éclater.

- Hum…, apprécie-t-Il en observant ma réaction. Tu y as cru, n’est-ce pas ?

Sa voix résonne d’un écho pervers, presque sadique. Il prend son pied, c’est certain. Je le dévisage, l’œil noir, me sentant hargneuse. J’ai oublié qu’il s’agit d’une punition. Il passe sa main entre mes cuisses.

- Goûte un peu ton désir inassouvi.

Il fourre son index dans ma bouche. Je résiste à la tentation de le mordre pour me venger, mais mes dents tremblent nerveusement contre ses phalanges.

- Fais très attention…, me menace-t-Il, conscient de la lutte intérieure que je mène. Je pourrais me montrer encore plus sévère.

Je ferme les yeux, tentant de calmer les palpitations de mon cœur. J’oscille entre deux envies violentes très opposées : celle de l’insulter, et celle de le supplier. Mon Maitre se positionne derrière moi. Je sens soudain sa queue caresser mes fesses, se glisser entre mes jambes, le long de mon sillon brûlant. Je me mords les lèvres. Il s’est entièrement déshabillé. Malgré moi, je me cambre comme pour l’accueillir.

- Je sais que tu la voudrais…, chuchote-t-Il. Dans ta petite chatte frustrée… Je suis sûr que tu jouirais avant même que je te l’ai rentrée entièrement.

Oh bordel. C’est tellement cru. Mais tellement vrai… Il enduit son doigt de ma mouille.

- Je crois plutôt que c’est de ce côté-là que je vais te baiser, déclare-t-Il en caressant mon petit trou.

Quoi ?! Certainement pas ! Soudain paniquée, je me contracte pour lui échapper.

- Non ! lâché-je malgré moi.

- « Non » ? répète-t-Il avec incrédulité. Tu oses me dire « Non » ? C’est dommage pour toi… J’envisageais de me montrer plus clément en adoucissant ta peine, en te préparant physiquement à ta punition…

Il me tire la tête en arrière. Son murmure glacial me pétrifie :

- Mais puisque tu préfères me contrarier encore… Je serai sans pitié.

Je n’y échapperai pas cette fois. Il me l’a promis bien des fois. Il sait ma peur et ma terrible pudeur pour cette pratique.

- Non… Je… S’il vous plait…

A la pensée de faire ça comme ça, sans y être « préparée », c’est cette fois une vraie terreur qui se diffuse depuis mon ventre jusqu’aux extrémités de chacun de mes membres. J’ai l’impression d’étouffer, de manquer d’air. Je ferme les yeux, une sensation d’oppression dans la poitrine. Abdique ! souffle Ely. Arrête de paniquer. Il te teste. Ta punition est la conséquence directe de ton manque de confiance en Lui…

L’évidence de cette réflexion me fait rouvrir les paupières, alors que son bas-ventre frotte contre mes fesses. Reprends-toi !

- Pardon, Monsieur…

Il s’immobilise. Je peux le deviner plisser les yeux, comme il en a l’habitude, quand il me chuchote à l’oreille :

- Vas-tu te montrer docile, maintenant ?

J’avale ma salive en secouant frénétiquement la tête.

- Oui, Monsieur.

Ses mains glissent de mes épaules jusqu’à mes hanches, alors qu’il s’agenouille derrière moi. Il me mordille, aux endroits où il n’y a pas de cire, me faisant sursauter. Il écarte soudain mes fesses et sa bouche se plaque contre moi. Sa langue, brûlante et humide, me parcourt sans la moindre retenue. Impitoyable, elle explore des endroits où personne ne s’est jamais aventuré de cette façon, bousculant les derniers principes qui me restent. Seigneur… Je me sens un peu honteuse, lorsque je constate que j’apprécie ce qu’il me fait. Mon corps s’y soumet favorablement et se détend progressivement. Pire, je sens l’excitation ressurgir et remplacer peu à peu ma peur.

Ses doigts recueillent mon nectar et me caressent lentement. Je ne me serais pas attendue à mouiller autant dans de telles circonstances.

- Hum… Tu vois… Il est préférable de ne pas me résister, me fait-il remarquer.

Son index force délicatement l’entrée de mon anus et je tâche de rester calme alors qu’il coulisse en moi. Je voudrais ne plus lui résister. Cesser d’avoir peur. Débrancher mon cerveau. Ne plus ressentir que la connexion qui me lie à Lui. Il embrasse sensuellement la petite zone marquant la fin de mon dos, et je sens sa salive, chaude et fluide, s’écouler entre mes fesses. Il insère un deuxième doigt, et je retiens un petit cri plaintif. La douleur s’estompe rapidement, remplacée par une sensation de félicité étrange, qui me semble interdite.

Il se relève et se colle contre mon dos. Avec une lenteur infinie, sa queue se fraie un passage aux tréfonds de ma chair, m’écartelant toujours un peu plus, s’enfonçant toujours plus loin. Tout en mordillant ma nuque, tel un lion soumettant une lionne, Il prend possession de moi. Comme aucun homme ne l’a jamais fait avant Lui.

Ses mouvements se font plus amples, plus profonds. Je gémis. Je tremble de tout mon être, bouleversée par ce que je lui offre et par ce qu’Il me donne, ébranlée dans mes principes d’éducation. Ma pudeur est à terre, vaincue. Elle contemple mon corps abandonné totalement à cet homme, s’éveillant sous le joug de sensations déstabilisantes, à la fois douloureuses et délicieuses. La main puissante de mon Maitre enserre ma gorge.

- A qui appartient ton cul maintenant ?

Cette question crue m’arrache un nouveau gémissement. En proie aux affres de la souffrance et du plaisir, j’ai honte d’admettre que mon corps ne m’appartient plus, que je suis sienne, que de moi Il peut tout obtenir. Ce qu’Il veut, Il le prend. Et pourtant, Il n’a pas pris ma soumission. Il l’a gagnée. Je la lui ai offerte.

- Réponds-moi ! gronde-t-Il contre ma nuque. Petite salope, va…

Je hurle alors que ses coups de reins s’intensifient. Ses doigts repliés comme des serres griffent mon dos, mes hanches, et mes fesses, labourant la cire qui recouvre ma peau. J’ai les bras en feu, je tire tellement sur mes liens que mes poignets me brûlent. Abandonne… Lâche prise… me souffle Ely. Je suis en train de perdre la tête. J’en oublie de le vouvoyer.

- A toi…, soufflé-je.

Sa main s’abat sur mes fesses avec force, à plusieurs reprises. Je glapis. Je serre les dents pour retenir mes cris.

- Tu as oublié à qui tu t’adresses ! me réprimande-t-Il sévèrement.

- A vous, Monsieur ! crié-je, larmoyante.

Deux de ses doigts s’introduisent avec force dans mon intimité, me coupant le souffle. Je hoquète, stupéfaite de cette sensation inédite. Celle d’être entravée. Prise de chaque côté. Ma mâchoire tremble alors que j’émets des sons incohérents. Sa paume trempée de mon nectar masse mon clitoris. Mes jambes sont parcourues de spasmes. Le plaisir se déploie depuis mon bas-ventre, je sens mes chairs se resserrer autour de ses doigts, se contracter autour de son sexe. Je me sens défaillir au moment précis où Il se retire, me laissant incomplète. Oh non, pas deux fois ! Un râle de frustration m’échappe.

En réponse, les lanières du fouet mordent subitement l’intérieur de mes cuisses et mon sexe en feu. Je crie. J’aimerais serrer les jambes pour empêcher tout nouveau contact avec cette zone désormais hypersensible, mais les liens aux chevilles m’en empêchent. Le fouet claque encore. Deux fois de suite. J’ai les larmes aux yeux. Chaque contact me laisse vaciller au bord du précipice vertigineux de l’orgasme. C’est comme si j’étais suspendue au-dessus du vide, retenue uniquement par un fil dont mon Maître maintient la solidité tout en lui donnant chaque fois un peu plus de lest. La sensation est insoutenable. Mon corps réclame de jouir, je suis à bout.

- Pitié, imploré-je. Je vous en supplie…

Seul son souffle rauque dans mes cheveux fait écho à mes supplications. Il détache mes poignets. Mes jambes se dérobent et je m’effondre dans ses bras. Il me relâche une fois au sol. Je sens la cire craqueler sur mon corps. Je suis à bout de souffle. Je ne sais plus si j’ai encore conscience de la réalité du monde en dehors de cette pièce où Il me tient en son pouvoir. Mon intimité frustrée palpite sourdement, et je ne sais pas ce qui me terrifie le plus : ces sensations douloureuses au plus profond de ma chair, l’idée que je laisse sciemment cet homme me posséder de cette façon, ou bien ce lâcher-prise qui me fait perdre ma capacité de jugement. A genoux, l’échine courbée, je tremble de tous mes membres.

- Je n’ai pas entendu de mot d’alerte, Ely. Souhaites-tu en prononcer un maintenant ?

Je serre les poings, haletante. Les émotions menacent de me submerger. Ne craque pas… Pas maintenant… Au prix d’un grand effort, je me redresse lentement. Je pose mes mains à plat sur mes cuisses, paumes tournées vers le ciel. Je lève les yeux vers Lui. Debout, Il me domine de toute sa hauteur, de toute sa nudité. Il s’essuie les mains dans ce qui semble être une lingette avant de la jeter dans un coin de la pièce, sans cesser de me fixer avec intensité. J’ai la tête qui tourne.

- Non, Monsieur, murmuré-je d’une voix vacillante.

Ses prunelles brillent dans l’obscurité.

- A qui appartiens-tu, Ely ?

- A vous… Monsieur, soufflé-je en baissant la tête.

Il m’attrape par le menton, m’obligeant à lui faire face.

- Tu sais que je pourrais continuer à te torturer de bien des manières toute la nuit, si je le désire. Mais je pense que tu as retenu la leçon maintenant. Ne suis-je pas d’une grande clémence ?

Il affiche un calme absolu. L’expression de son visage est neutre, indéchiffrable, alors qu’Il me contemple à ses pieds. Comme si rien de ce qu’Il vient de me faire n’avait jamais eu lieu. Sa maîtrise de lui-même et de la situation est impressionnante. Je tremble. De plus en plus. J’aimerais répondre, mais j’ai la gorge serrée.

Et soudain, je fonds en larmes. Je lâche tout. Je laisse toutes les émotions sortir d’un coup. Le visage dans les mains, je ne sais même pas pour quelle raison je pleure. Mon esprit est totalement déconnecté. Je suis vidée de toute énergie, à part celle qui me secoue de sanglots incontrôlables. Je me sens lamentable, pas à la hauteur du jeu, comme si je me mettais moi-même sur le banc de touche. Je voudrais m’arrêter, lui demander pardon de craquer de cette façon, mais je ne me maitrise plus.

Une main se pose sur ma nuque pour écarter mes cheveux. Il déboucle mon collier et me le retire. Il s’agenouille à côté de moi et détache mes chevilles.

- C’est fini, me chuchote-t-Il en me prenant dans ses bras. Laisse-toi aller, c’est normal.

Il me berce contre son torse en embrassant mes cheveux. Mes larmes roulent sur sa peau.

- Est-ce que je t’ai fait mal ? demande-t-Il.

Je secoue la tête. Si ça avait été ingérable en termes de douleur, je n’aurais pas tenu jusqu’au bout. La réalité a brutalement repris le dessus, je prends conscience de ce qu’Ely a accepté de son plein gré. J’ai l’impression d’être sur ce bateau depuis des jours. Trop de choses se bousculent dans mon esprit.

- Je… Je suis désolée…

- Ne le sois pas. Tout va bien, chuchote-t-Il. Mon attitude, mes mots, ce que je t’ai fait endurer… Tu n’en as absolument pas l’habitude. Je l’ai fait volontairement, pour te tester. Je veux que tu comprennes comment ça fonctionne. C’était dur pour toi, je le sais… Physiquement. Et mentalement. Mais ton corps ne saurait mentir. Tu étais trempée. Excitée comme une folle. Tu le sais, au fond de toi. Ton corps a lâché prise rapidement, mais ton esprit a eu plus de mal. C’est normal de céder maintenant.

C’est vrai, c’est tellement vrai. J’essaye de respirer calmement en essuyant mes joues. Je dois être affreuse à me laisser aller comme ça.

- Tu es si belle, si excitante, soumise à ma perversion… chacun de tes gémissements et de tes cris me donne envie de te pousser encore plus loin. J’ai même eu envie de te laisser jouir à un moment. Imagine le plaisir que tu aurais pris… Tu ne mesures pas à quel point tu as été à la hauteur, pour le coup. C’était une punition lourde en termes de frustration. Regarde-moi, s’il te plait.

Il a dit « S’il te plait ». Je me redresse. La cire figée s’effrite à chacun de mes mouvements.

- Tu n’as pas prononcé les mots d’alerte. Tu as tout encaissé. Je suis fier de toi.

Il caresse mon front, passe sa main dans mes cheveux avec douceur, avant de m’embrasser passionnément. Son baiser achève de me calmer. Il plonge ses yeux noirs dans les miens en prenant mon visage entre ses mains.

- Tu es à moi. Tu m’appartiens, martèle-t-Il de sa voix sombre. Je ne te laisserai jamais seule dans ce milieu. Tu l’exploreras, avec moi et à ma guise. C’est moi qui vais faire ressortir toute ta sensualité, toute ta perversion. Tu auras l’impression que je bouscule ton image, mais plus tu lâcheras prise, et plus je te respecterai pour cela. Je veux que tu me fasses totalement confiance. Que tu me laisses t’amener où je le souhaite, pour mon plaisir, et pour le tien. Tu ne crains rien avec moi. Je veux que tu te livres totalement à moi. Es-tu prête à cela ?

Je suis un papillon de nuit, hypnotisée par les lumières d’un sentier de perdition, semé de tentations toutes plus indécentes les unes que les autres. Captivée par l’Homme qui me guide fermement dans la réalisation de mes fantasmes les plus inavouables. Au-delà de toute raison, de toute logique, de toute bienséance, je me damnerais pour Lui.

Parce que c’est Lui.

Il me fixe de ses prunelles brûlantes, et tout mon être sait déjà quelle réponse lui donner.

- Oui… Maître.

[A suivre… ?]