Chapitre XXXII : Danser dans les ténèbres, Partie 1

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 J'errais en direction de l'Orient maritime de Mithreïlid, sans savoir où j'allais exactement. Une poignée de jours me séparait de mon altercation avec Teïnelyore, qui m'avait rabaissée plus bas que terre, me consignant au rôle de "mauvaise personne". Que pouvais-je y faire moi, des problèmes de tous les Mithreïlidiens ? À quel moment cela allait-il devenir ma faute, si les gens meurent, pleurent ou se détestent ?

 J'avais naivement cru à un moment de ma vie que j'aurais pu être celle qui mettrait fin aux torts et aux troubles de toute une population, mais je n'en avais pas la force, ni mentale, ni physique. Si encore j'avais été remerciée par tous ceux à qui j'ai fourni mon aide... Mais non, bien au contraire, plus je me démenais pour venir en soutien des opprimés, plus le regard des Mithreïlidiens à mon égard s'assombrissait.


 À croire que j'aurais pu faire tout et n'importe quoi, je serais restée un danger ou une menace pour n'importe qui. On me considérerait à jamais comme un rebut de la société. Puis, si depuis les dernières afflictions morales qui m'avaient amenée à quitter Urghal, je croyais enfin avoir trouvé une personne qui me comprenait sans me juger. Mais non, elle aussi a fini par me critiquer.

 Peut-être que le problème venait de moi après tout... Et s'il ne s'agissait que de ça ? Et si j'étais trop obstinée et que cela m'empêchait de raisonner normalement... Si depuis le début je me trompais... Non, les autres sont juste trop faibles, ils ont sans cesse besoin des autres, alors que toi, tu te suffis à toi-même. C'est une force, eux sont vulnérables. Pour une fois, cette intervention ne me réconfortait pas, car moi aussi, j'avais quand même besoin d'entendre des compliments ou d'être rassurée. C'est pour ça qu'il faut apprendre à vivre sans les autres, sans les bonniments que tu penses nécessaires. La puissance peut se convaincre elle seule, d'être infaillible. Tu as juste besoin d'être plus sûre de toi.

 Quand bien même, si je me retrouve seule, à quoi cela peut-il bien rimer d'être toute-puissante ? Ne vois pas le problème de ce point de vue là, imagine-toi plutôt au sommet de ce Monde, gouvernant tous les Mithreïlidiens. Tous seront tes sujets, tu pourras changer les choses, une bonne fois pour toutes. Je comprends cette idée, mais, comment faire pour arriver à un tel résultat ? Teïnelyore me surpassait à un tel point, que je ne pouvais m'empêcher de voir le fossé qui nous éloignait que comme un abîme infranchissable. N'aie crainte, je t'ai promis de devenir bien plus forte qu'elle, et tu le seras. Quelques menues étapes se profilent à toi afin d'y arriver.

 Qu'elles sont-elles ces fameuses étapes ? Vais-je DEVOIR m'épuiser pour travailler ma musculature ? Vais-je DEVOIR adopter des préceptes moraux où je DOIS faire abstraction de toutes mes émotions ? J'ai l'impression de n'être que la pionne d'une série d'obligations qui me cantonnent à être le jouet de mes ressentis ou d'une destinée incertaine, sans que je ne puisse avoir le droit de faire de réels choix. Tu te poses trop de questions, et tu imagines la tâche trop compliquée. La solution que je te propose est radicale, elle exigera quelques sacrifices, mais tu devrais pouvoir surmonter cela sans difficulté. Je peux te garantir qu'en retour, tu auras suffisamment de pouvoir pour surpasser Teïnelyore.

 Je ne comprends pas, si cette méthode fonctionne, tout le monde peut alors l'appliquer, Teïnelyore aussi, n'importe qui en fait. À aucun moment je n'ai dit que cela allait être simple par contre, il va te falloir être convaincue que tu désires cette puissance plus que n'importe quoi d'autre sur cette terre, pour réussir à l'obtenir. Ce n'est pas à la portée de tout le monde.

 Ce cheminement de quoi est-il composé alors ? Tout d'abord il va te falloir trouver un vieil ouvrage, gardé par un cornu au mauvais caractère, ensuite, il va te falloir récolter quelques âmes, puis il faudra tout perdre pour que cette nouvelle force puisse ne faire qu'un avec toi. Récolter quelques âmes, qu'entends-tu par là ? Tu le sauras bien assez vite, la première étape, sera d'aller récupérer un grimoire, protégé par Enielah'Ed'Trom, au cœur de la Tourbière des Damnés.

 Qui est-il ce Enielah ? Une Dracène, cracheuse de poison, sous ses pattes naissent la peste et la putréfaction. Attends... Je ne suis pas capable de terrasser une humaine, et tu me parles d'occire une créature mythique... Sauf que Teïnelyore était loin d'être une humaine normale. J'ai bien compris qu'elle était très forte, mais si en plus le livre en question est son trésor, cela va juste être une catastrophe. Tu ne seras pas seule. Oui, je sais bien que tu seras là toi aussi, mais bon, si je me rate, que tu sois avec moi ou non, tu ne te manieras pas toi-même... Non, c'est certain, mais ne t'en fais pas. Si tu le dis... Et cette fameuse tourbière, où se trouve-t-elle ? Tu ne devrais pas être très loin.

 À l'heure actuelle, je me trouvais sur un chemin de terre non-pavé, qui sillonnait à travers la campagne environnante, se faufilant entre les divers champs qui striaient cette région de rangées bien organisées d'or et d'émeraude. L'air était chaud, empli des odeurs de céréales sèches et des larmes d'un soleil de plomb. J'avais beau regarder à droite et à gauche, je ne voyais que des parcelles cultivées, s'étendant jusqu'à l'horizon. Je n'avais pas encore croisé d'habitations, aussi me contentais-je de poursuivre ma route, je ne pouvais pas me perdre sur cette route vicinale, qui se voyait bordée de murets en pierre de part et d'autre.

 Je poursuivais donc ma marche, jusqu'à ce qu'enfin j'atteigne un petit hameau sans prétention, qui semblait s'être construit autour du chemin. Seules cinq chaumières et trois longères composaient ledit village. Tous devaient œuvrer dans les champs, ou être éleveurs, la paisible bourgade était animée par le cri des enfants qui se couraient après, crapahutant et jouant. Je repérais enfin un homme qui s'affairait à entortiller des tiges de blé, afin de confectionner un panier, je m'en rapprochais.

 "Bonjour, je cherche la direction de la Tourbière des Damnés. Pourriez-vous me l'indiquer ?

- Salutations... La tourb... Cela fait bien longtemps que l'on ne m'avait pas parlé de cette destination. Et quand on m'en demandait le chemin, personne ne revenait jamais.

- Je me doute que ce n'est pas l'idée que l'on pourrait associer à un voyage touristique...

- Ah ça, vous l'avez dit.

- J'aimerai pourtant m'y rendre donc...

- Oh mais, vous faites bien ce que vous voulez. Du moment que je n'ai pas à y aller. Venez avec moi. Il lâchait le panier en cours de création, puis me faisait signe de le suivre. Je vous préviens, le marais ce n'est pas un endroit plaisant. Une terrible créature s'y terre.

- Il s'agit d'un Dragon, c'est bien ça ?

- Oui, enfin, celui-ci doit être particulièrement vicieux car il passe le plus clair de son temps enseveli dans la vase, sirotant les touffes de boue afin de se nourrir des bestioles qui se sont noyées dans l'eau croupie du lieu. L'homme continuait de marcher en direction d'un champ. Il attend tapi, puis saute sans prévenir sur les malheureux qui daignent s'approcher trop près de cette lagune purulente et pourrissante. Quel lieu ignoble.

- Mais... S'il est question d'un saurien de cette taille, comment peut-il si facilement se dissimuler dans un simple marais ?

- Je ne sais pas, et je ne suis pas assez curieux pour le découvrir. Tu vois la forêt là-bas ? Me questionnait-il tout en me pointant du doigt l'orée d'une sylve qui se profilait au delà d'une étendue champêtre.

- Oui, je la vois bien.

- Bon et bien, va vers là-bas, une fois que tu auras atteint le sous-bois, poursuis ta marche en maintenant ton cap plein sud, et rapidement, tu devrais arriver à la tourbière. Puisse le sort t'être favorable.

- Merci pour vos indications."

 Je m'inclinais respectueusement et coupais à travers champs, rapidement, je commençais à m'enfoncer dans la forêt. L'air y était pesant, l'ambiance brumeuse, j'avais l'impression que je n'allais pas rester très longtemps à marcher entre les troncs. Il ne me fallut d'ailleurs pas plus qu'une dizaine de minutes pour enfin sentir que je me rapprochais du marécage où se trouvait l'objet de ma quête.

 La luminosité avait subitement décru, l'atmosphère était devenue nauséabonde au point d'en être quasi-irrespirable. Même la végétation aux abords de l'étendue boueuse semblait affectée par la décrépitude morbide du lieu, aussi les plantes vertes reluisaient d'un éclat malsain grisâtre, les arbres bien droits étaient recourbés, leur écorce semblait se liquéfier avant d'être dévorée par d'épaisses plaques de mousse. Je m'étais retournée sur place, contemplant une dernière fois la verdoyante et scintillante sylve pleine de vie, avant de finalement me décider à pénétrer dans cet infâme et puant marais.

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