Chapitre XVII : Le Cœur et ses peines, Partie 4

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  J'ai tellement circulé dans cette bourgade que j'avais déjà l'impression d'y vivre en quelque sorte. Aujourd'hui, commençait ma nouvelle vie, aujourd'hui, je tirais un trait sur ce passé qui allait finir par m'interdire d'avoir un avenir radieux. Je commençais donc l'inspection des endroits où je pourrais attendre que la situation dégénère, en fonction de ce qu'il se passerait audit moment, je trouverais sûrement un moyen de renverser la vapeur ; je pourrais à la fois me sauver moi, et sauver un paquet d'innocents.


 Tandis que je flânais, je pressentais que le boss était passé à l'action car je vis des escouades de gardes se presser pour rejoindre les quatre points cardinaux, où se situaient les portes d'entrée qui devaient actuellement être prises d'assaut. La panique s'installa à grande ampleur, et les civils se mirent à déserter la place jusque là bondée, dans un raffut sans pareil.


 Je profitai de l'agitation pour me dissimuler derrière le comptoir d'un marchand ambulant qui, lui aussi avait pris ses jambes à son cou. Il ne me restait plus qu'à guetter que les cohortes de brigands arrivent jusqu'ici ; à part si bien entendu, tous les bandits étaient tués, et de ce fait, que je n'ai plus qu'à aller chercher Myl', lui offrir une chambre dans une des meilleures auberges de la ville, et lui faire l'amour toute la nuit.


 Cependant, cela me paraissait trop simple, et avec le nombre d'attaquants que les gardes allaient devoir maîtriser, il y avait peu de chance que cela se déroule ainsi. Je me hissais discrètement afin de surveiller l'entrée de la caserne, qui était située au Nord de la grande place, de laquelle sortaient nombreux miliciens, partant pour la plupart cette fois-ci en direction de la porte septentrionale.

De nombreuses minutes passèrent, et enfin, les escouades dispersées dans la ville et celles envoyées protéger l'entrée Nord, se regroupaient et se réorganisaient sous le commandement de leur chef, qui, comme l'avait deviné notre boss, s'était bel et bien montré ici même, afin de défendre la caserne.

 Sur les trois quart restants de la place, le clan de l'Orphelinat commençait à s'empaqueter, la plupart sur le plancher des vache, tandis que certains gredins équipés d'arc, prenaient position sur le toit des maisons, déclenchant une réaction défensive immédiate des miliciens qui formèrent un mur de boucliers en arc de cercle afin de palier à une éventuelle pluie de flèches.

Les deux groupes se faisaient front, le chef des gardes s'avançait à quelques mètres hors du rempart d'acier, tandis que le boss lui, resta au cœur de ses hommes, leur ordonnant simplement de s'écarter. Il semblait vouloir converser.



 « Je te pensais trop lâche pour t'en prendre à une cité entière. Raclure, va.

- Comme quoi, tes pensées ne valent pas grand chose. Mais rassure toi, c'est pour le bien de tous que nous faisons cela.

- J'en doute fortement, mais j'imagine que dans ta cervelle vide, ta logique est indiscutable.

- Et comment ! Tous les habitants que tu as si longtemps protégés vont enfin être dépossédés de toute avidité et cupidité. En même temps, quand on est esclave, posséder des habits c'est déjà pas mal.

- Tu fais cela juste pour exprimer ta cruauté ? Ou c'est par avidité ?

- Oh je ne m'en cache pas moi, de mon avidité. Tous ces braves gens iront servir des personnes aussi cruelles que moi, mais ça ne me regardera plus, moi je ne ferais que les vendre. Oh mais j'y pensais, tu as une fille n'est-ce-pas ? Elle doit être délicieuse maintenant, peut-être que je profiterais un peu de la marchandise quand même, avant de l'envoyer dans les pattes d'autres que moi. Qu'en dis-tu ?

- Misérable. J'espère que tu te rends compte que tu fais une grave erreur en pensant nous défaire. Ton petit plan n'a pas fonctionné comme tu l'espérais, pour preuve. Tous tes hommes au Nord sont morts.

- Tu sais on ne fait pas d'omelette sans casser d’œufs. Mais je ne te l'apprends pas, ça te connaît d'envoyer des hommes mourir pour une notion aussi futile que l'honneur.

- De ta bouche, le mot honneur ne veut rien dire. Tu auras tout le temps d'y réfléchir quand tu agoniseras lentement, pendu par les pieds, ici même.

- Oui oui, je sais, toi et tes pendaisons, toujours dans l'idée de faire l'exemple, hein ? Et bien moi aussi figure-toi, qu'outre mes manières qui ne sont pas exemplaires, j'ai dans mes rangs quelqu'un d'exemplaire. Mon ambassadrice pour ainsi dire. Mais tu la connais déjà, je suppose ?

- Si tu parles de ta folie, je la connais bien en effet.

- Tu fais le malin, mais mort, tu fanfaronneras moins. LYORE ! C'EST A TOI D'AGIR. Bien sûr, je restais cachée, attendant de voir sa réaction. Elle ne va pas tarder, la connaissant, elle a dû aller fricoter avec les catins de Bourg-en-Or. Mais elle va arriver, sois patient. LYORE, BORDEL ! Je m'empêchais de lui sauter à la gorge sans patienter davantage, mais je mettais trop en jeu pour finir submergée par tous les gredins qui l'entouraient et ne pas réussir à le tuer sur le coup, cela compromettrait tout.

- On dirait que ton ambassadrice t'a abandonné ? Ce n'est pas si étonnant. Si elle a un cerveau, il y a de quoi se poser des questions avant de se jeter dans un guêpier pareil.

- Bon on va faire autrement, vous deux, allez-y. »



 Deux hommes s'élancèrent à vive allure en direction du commandant ; des brutes qui tuent sans scrupule : femmes, personnes âgées ou enfants. Il s'agissait de ses lieutenants les plus dangereux, et ils avaient face à eux une cible beaucoup plus intéressante qu'un simple villageois. Leur « honneur » serait flatté si l'un d'eux lui coupait la tête, je supposais. L'étal derrière lequel je me cachais était entre les deux chefs, entouré par les autres échoppes que les marchands fuyards n'avaient pas daigné remballer.


 Aussi j'ai attendu quelques secondes de plus, que les deux idiots passent à coté de moi, et c'est à ce moment-là que je suis sortie en trombe derrière eux, et qu'avant qu'ils n'aient le temps d'atteindre le chef de la garde, je les poignardais à la nuque, les faisant s'effondrer. Avant que je n'ai le temps de me retourner, un « Tirez ! » furieux s'éleva dans le ciel.


 Même si je me condamnais, même si cela entendait que je ne reverrais plus Mylteïne, je devais moi aussi expier mes fautes, je donnerai ma vie pour protéger celui qui a toujours défendu les habitants honnêtes. Je poussais le commandant au sol, et tel un bouclier, me dressais face à tous les traits qui m'arrivaient dessus. Je battais l'air à l'aide des dagues, en essayant d'arrêter le plus de flèche que je le pouvais.

 Sauf que trop de projectiles arrivèrent d'un coup, aussi me contentais-je de juste protéger mon visage. Je sentis leurs impacts dans ma chair, me dévorant la peau en multiples lieux, les pointes touchèrent mes organes vitaux, mon sang se déversait, dans un ultime souffle, je me retournais face à l'homme dont l'expression du visage était livide, et me mettais à quatre pattes au-dessus de lui, afin de le protéger au mieux possible.


 Je repensais à Mylteïne, aussi mes larmes se mettaient à couler, tandis que mon dos se retrouvait à son tour criblé de flèches. Je divaguais complètement, j'avais du recevoir tellement de projectiles, que j'avais l'impression d'être en train de me faire masturber par Myl', la douleur qui me rongeait se changeait petit à petit en une jouissance fantastique.

 Bientôt, les flèches arrêtèrent de tomber du ciel, et je sentais ma tête devenir lourde, trop lourde pour mon cou transpercé par plusieurs traits. L'homme que j'avais protégé était recouvert de sang, et je lisais dans ses yeux quelque chose d'inédit, lui aussi avait les larmes au yeux, mais je lisais dans ses iris de la fierté, le remerciement peut-être, avant que mes bras ne me soutiennent plus et que mes yeux ne se ferment, je le vis lancer son bras en avant, sifflant près de mes oreilles desquelles je n'entendais plus rien.

 Voilà Mylteïne, tu avais raison, nous pouvions en effet changer, nous avions droit à une rédemption pour cette vie gâchée. Mais je te l'avais promis après tout, j'allais défendre ta vie au péril de la mienne. Alors que je récitais cette promesse dans ma tête, mes paupières lentement se fermaient, je devais dormir, dormir longtemps.



 « Elle a bougé ! Hurla une première voix.

- Mais c'est impossible, regarde-la, son corps doit s'être vidé de tout son sang, ce n'est plus un miracle qu'il lui faut si elle est encore vie, c'est qu'on l'achève avant qu'elle n'agonise davantage. Lui répondit une seconde.

- Hors de question ! Grogna une troisième voix qu'il me semblait connaître, des bruits d'acier résonnaient venant vers moi. Mademoiselle ? J'avais l'impression qu'on me soulevait le crâne. Mademoiselle, vous m'entendez ? Écoutez moi attentivement, car si ce sont les derniers mots que vous entendez, je veux que vous partiez la conscience légère. Vous m'avez sauvé et avez sauvé toute cette ville aussi. Sa voix s'enrouait. Je ne pensais pas que quelqu'un, soit un jour capable de faire un tel sacrifice.

 Tel que je vous vois actuellement, j'ai peur moi aussi que vous ne souffriez davantage si je vous laissais entre la vie et la mort. Si c'est votre ultime désir, je m'engage à vous libérer de la douleur et à vous enterrer avec tous les honneurs qu'un grand héros mérite. Je vais vous donner ma main, si vous souhaitez partir, serrez-la et je vous aiderai. L'homme dut défaire son gantelet, qu'il lança au sol, à en témoigner par le bruit des mailles en acier sur les dalles, puis je sentis sa main saisir la mienne.

- Je... Je devais vivre. Je... Je ne veux pas mourir. Ma voix était trop faible. Il ne fallait pas qu'il m'achève. Myl... Mylteïne, je dois la sauver.

- Elle était dans la ville ? Si, oui, vous pouvez vous détendre, nous avons tué la plupart de ces sauvages, et les quelques survivants sont repartis vers le bâtisse en ruines. Nous irons les cueillir au plus vite.

- Non... Si je n'en étais pas certaine, je devais le faire moi-même. NON ! Un feu s'alluma en moi, un brasier incomparable même au meilleur des orgasmes que Myl' avait pu me donner la nuit dernière, je me sentais surpuissante. Ma chair semblait repousser depuis l'intérieur de mon corps, me faisant souffrir le martyr tandis que les flèches s'extrayaient de chacun de mes membres, de chacune de mes viscères. Je lui ai promis. JE LUI AI PROMIS, VOUS M'ENTENDEZ !

 Je dois... Je dois aller la chercher. Je vomissais une gerbe sanglante. J'eus après mon crachat l'impression de devenir un tissu absorbant, et alors que je pataugeais dans mon sang, ce dernier revenait vers moi et enflait à nouveau mes veines. Mon cœur que j'étais certaine de ne plus entendre, se remit à battre, comme si un tambour de guerre tonnait en moi, mes yeux s'ouvraient, me laissant apercevoir au sol des morceaux d'acier et de bois, provenant des traits que mon corps avait recrachés. D'un côté, je voyais le monde tel qu'il était, de l'autre, je voyais tout en rouge. Aidez-moi... Aidez-moi à me relever.

- Vous êtes sure que vous pouvez vous relever ? Vous êtes dans un état quand même avancé... Ce n'est peut-être...

- Aidez-moi. Je vous en supplie.

- Hé bien... Il dut se poser la question quelques instants, puis finalement, il me saisit sous les bras, et me remit debout.

- Merci... Je manquais de glisser et me rattrapais à l'armure gelée de l'homme, je levais les yeux. Vous avez survécu ?

- Seulement grâce à vous. Vous êtes sure de pouvoir tenir sur vos deux jambes ?

- Ne vous inquiétez pas, j'ai connu...

- Pire ? J'en doute sincèrement, vous savez.

- Oui vous devez avoir raison.

- Ce qui m'étonne, c'est que vous soyez vivante, à vrai dire. Puis ce sang et les flèches, qui êtes-vous en réalité ?

- Au fond, Commandant, nous nous connaissons depuis très longtemps, mais je pense que c'est la première fois que vous me voyez de près.

- Ah bon ? Si c'est le cas, désolé, mais je ne vous reconnais pas.

- Mais si, c'est juste que... Je me stabilisais, respirais calmement, et me reculais de deux pas de l'homme, je revêtais ma capuche, me recouvrant le visage, de façon à ne laisser de visible que ma bouche, et les pointes de mes cheveux. Et maintenant ? Vous ne me reconnaissez toujours pas ?

- Impossible... Depuis toutes ces années nous vous traquons, depuis tout ce temps vous agissez pourtant pour Rynhil. Pourquoi aujourd'hui vous opposez et risquez votre vie ?

- Justement, depuis tout ce temps, je suis esclave du « Boss » comment nous l'appelons à l'Orphelinat.

- À l'Orphelinat ? Qu'est ce que vous entendez par là ? Il semblait s'agacer.

- C'est la base de toutes les opérations qui sont lancées contre Bourg-en-Or et ses alentours. Vous l'ignoriez ?

- Je ne l'ignorais pas, mais à chaque fois que nous passions devant, nous n'entrions pas, car le lieu est protégé par une Commission bien particulière. Nous n'avons pas droit d'y pénétrer, sous peine de tous nous faire mettre à pied.

- C'est comme ça qu'il s'est donc rendu complètement intouchable. Mais. Moi je peux y rentrer comme je veux.

- Vous croyez vraiment qu'après ce qu'il s'est passé tout à l'heure, vous allez pouvoir y retourner comme si de rien n'était ? J'en doute fortement, après tout, vous avez ruiné son plan, qui, sans votre intervention, nous condamnait tous.

- Je n'aurais droit qu'à une seule chance, voilà tout. Mais si stopper cet homme permet de rendre paisible la région, je le ferais. Mais c'est sûr que je risque d'être accueillie de façon hostile.

- Mes hommes et moi, pouvons au mieux attendre devant les grilles, et vous prêter main-forte au cas où tous ces malfrats tentaient de fuir.

- Cela me suffit... Il fallait que je paye pour tous les crimes que j'avais commis. J'aurais une peine de prison je suppose, n'est-ce-pas ?

- Et bien... Le chef de la garde souleva son heaume pour essuyer la sueur qui coulait de son front. Si je vous avais mis la main dessus en train de commettre un rapt, il est clair que je vous aurais mis sous les verrous pendant un sacré bout de temps. Mais aujourd'hui, vous avez sauvé trop de vies pour que je puisse tenir rigueur de vos actes passés. Il faudra cependant cesser toute activité de ce genre, car je serais sans pitié sinon.

- Oui... Je comprends bien. Réglons d'abord cette affaire alors, je n'attends qu'une chose, c'est de pouvoir vivre une vie normale. Le plus vite sera le mieux. »



 L'officier ne tarda pas une seule seconde, et ordonna à une dizaine d'hommes de se rééquiper. Il s'adressa à une autre escouade, leur demandant de surveiller la place, puis, me suivant, nous partions tous au pas de course vers l'Orphelinat.

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