Chapitre 38A: mai - juin 1789

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Le premier mai, symboliquement, j'ouvrais la porte d'entrée aux cinq enfants trépignants, levés depuis l'aube pour se préparer à sortir. Nous avions été en ville la veille pour leur acheter des chaussures et de nouveaux vêtements, en plus de ceux que j'avais emporté dans le sac lorsque nous avions quitté l'appartement. Tous s'élançaient en criant vers le jardin, enfin, l'étendue de verdure, puisqu'il n'y avait pas de délimitation. J'aimais voir mon fils courir avec ses ''cousins'', heureux et épanoui, mais je savais qu'il devrait retourner prochainement aux études.

On m'avait demandé si je m'inquiétais pour mon fils aîné resté à Paris, mais je savais qu'à presque seize ans, Léon–Paul était débrouillard et qu'il n'avait plus vraiment besoin de moi. En revanche, j'avais beaucoup réfléchi au sort de ma nièce et de mon neveu, de jeunes gens pour qui plus personne ne s'inquiétait, et pourtant, je craignais qu'Auguste ne puisse pas subvenir à ses besoins et à ceux de sa sœur cadette. Prise d'inquiétude, je préférais écrire au cabinet où il travaillait pour demander si tout allait bien, avant de me rappeler qu'il n'y exerçait plus depuis le décès de son père. J'avais peur avec la franchise de Malou, de ne pas savoir si jamais ils se retrouvaient sans le sou.

Ne pouvant rien faire, je comptais donc sur la franchise de son frère aîné.

Parfois, le soir autour du repas, les quatre vieilles femmes nous contaient leur enfance. Nées respectivement en 1706, 1709, 1712 et 1714, elles étaient les cadettes d'une famille pauvre campagnarde qui comptait onze enfants, sept filles et quatre fils, dont le père de Jean- Charles.

Je faisais la cuisine avec Marie–Camille, nous cuisinions ce qu'il y avait au marché, c'est à dire des betteraves, souvent des asperges, du choux, mais nous n'avions plus du tout de pommes de terre, de viande ou de pain à table, le seul encore sur les étals était fabriqué avec de la sciure de bois et son prix aurait fait se retourner n'importe quel mort dans sa tombe. Les enfants finissaient toujours leur assiette, même si André détestait les asperges et que Marie faisait la grimace lorsqu'elle voyait arriver sur la table les betteraves cuites.

Nous suivions les nouvelles de Paris par la gazette que nous achetions à Rouen chaque dimanche après la messe. Je ne comprenais pas grand–chose à ces histoires de Parlement, mais je savais que très bientôt, la monarchie tomberait et le Royaume de France serait libéré. Alors-là, même si je n'étais ni pour un ni pour l'autre camp, je sauterais de joie, parce que ce serait pour quoi Étienne et des milliers de personnes auraient risqués leur vie pendant deux ans. En attendant, nous nous inquiétions tous, sans nouvelles de l'époux de Gustavine, qui ne donnait pas signe de vie depuis le mois d'avril et informés par le journal des exécutions en masse opérées par les révolutionnaires.

Le cinq mai, officiellement, la révolution française commençait, par l'ouverture des États généraux à Versailles. Nous étions particulièrement heureux qu'enfin, le peuple ait le pouvoir.

Ma belle–fille manqua de s'étouffer avec son lait lorsqu'elle lu le nom de son mari dans un article, qui aurait ordonné l'exécution de plusieurs opposants, le 24 mai. Elle vint se réfugier auprès de moi.

—''Mon mari est un meurtrier Louise... Il a tué douze personnes.

—''Seigneur, où avez–vous lu ça ?

—''Dans le journal. Page six.

Je m'empressais donc d'aller lire l'article, qui disait effectivement que Étienne Marcel avait ordonné l'exécution de douze monarchistes. Je retournais la voir le journal dans la main.

—''Ils ne les a pas vraiment tués. Il a ordonné leur exécution. Ce n'est pas pareil Gustavine.

—''Je veux divorcer. Je l'aime mais je veux divorcer.

—''Allez, cessez de dire des choses comme ça. Vous êtes fatiguée de ses absences, je le sais. Mais il reviendra, il vous l'a promis. Il nous l'a promis aussi.

—''je ne veux pas fonder une famille avec un meurtrier ! Le comprenez - vous?! Un meurtrier donne naissance a des meurtriers qui finissent la tête coupée ! Comprenez - vous que je ne veux pas être la mère des enfants d'un homme qui en tue d'autres ?

—''Cessez de vous emporter pour un rien. Il a parfaitement le droit de tuer ces hommes qui vont contre les droits du peuple.

—''Mais je m'en fiche qu'ils aillent ou non contre les droits du peuple ! Il tue, un point c'est tout ! On a pas le droit de tuer un homme ! On a pas le droit... On a pas le droit... Pleura t-elle la tête sur mes genoux.

Marie–Camille nous rejoignit, inquiète de voir sa belle–fille en larmes. Je lui expliquais alors qu'elle voulait divorcer d’Étienne parce qu’il avait ordonné le meurtre de douze monarchistes. Mécontente, la vieille femme lui asséna une gifle.

—''Mon fils est un homme bon qui fait ce qu'il faut pour défendre vos libertés madame ! Vous n'en savez rien vous de ce qu'est que souffrir de cette monarchie ! Toute mon enfance je l'ai passée a observer mon père tirer sur les paysans qui chassaient les sangliers dans leurs propres champs ! Et pourquoi ? Eh bien parce que ce salaud de Roy se gardait tout le gibier et que le peuple ne pouvait même pas protéger ses cultures ! Voilà madame !

Sur ces mots, Marie–Camille prit congé, en espérant avoir éclairé une petite lumière dans la tête de sa belle–fille, qui quitta elle aussi le canapé après cette explosive discussion. Si je disais ne pas avoir vraiment d'avis sur la question, au fond de moi, je me rangeais de l'avis de Marie–Camille, dont les opinions protégeaient les intérêts du peuple, qui souffrait énormément. Son père travaillait autrefois pour le Roy, même si il était profondément anti–monarchiste. Un paradoxe qui la faisait souvent rire, mais parfois exploser.

Jean–Charles et Jacques nous retrouvèrent, après avoir longtemps erré et enfin croisé Étienne qui les avaient fait envoyés ici. Les quatre octogénaires le serrèrent longtemps dans leurs bras, heureuses de retrouver leur jeune neveu.

Nous arrivâmes en juin, où je réalisais que mon neveu allait avoir vingt ans. Je repensais alors à la crevette rouge et hurlante qu'on avait sorti du ventre de sa mère, le 25 juin 1769 et je me disais que le temps passait vraiment trop vite. Comme lorsque je regardais mon fils de huit ans et demi jouer et que je repensais a ses premiers pas, ou que je me souvenais du père de Léon–Paul, et de l'amour dans lequel il avait été conçu, même si je n'avais pas fait exprès de tomber enceinte à ce moment- là. Si le début de l'été était chaud, il était joyeux aussi. Le serment du Jeu de paume venait d'être prêté le 20 juin, par près de cinq cent députés élus à Versailles pour reformer le royaume. Ils disaient notamment qu'ils ne se sépareraient pas tant qu'une constitution n'aurait pas été créée, et que la monarchie ne serait pas tombée. Assise avec ma belle–fille sur le canapé, nous discutions.

—''Devinez–donc Louise, pourquoi les députés ont choisi cette salle de sport.

—''C'était le Roy qui avait fermé toutes celles assez grandes pour leur permettre de se réunir et eux, plus malins que lui, avaient investis la salle où l'on jouait au jeu de paume. J'ai lu le journal moi aussi. Vous ne m'apprenez rien.

—''Et alors, savez-vous ce qu'a décidé de faire le Roy ?

—''Non.

—''Eh bien, vous voyez que vous ne connaissez pas tout. Devant cette rébellion, il a décidé de rassembler ses députés pour annuler toutes les décisions prises. Le jour de cette réunion, il a donc réuni le clergé, mais un opposant appelé Mirabeau, refusant sur les ordres du Roy de quitter la salle, lui à répondu :« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes ».

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