Chapitre 27L: avril 1779

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Claude ( novembre 1777 - avril 1779)

Longtemps bouleversée, j'écrivais à Madeleine, pour me réconforter et exprimer ma situation.

Madeleine,

Ma chère Madeleine qui m'apportez du soutien dans les moments où rien ne va, j'ai à vous faire part de ma tristesse, de ma peine, de mon problème avec Léon. En effet celui – ci insiste pour un troisième enfant et je n'ai vraiment pas envie, alors je résiste, mais je ne pense pas pouvoir encore longtemps, j'aimerais partir, avec les enfants, un de ces jours, pour m'évader et rendre Léon fou de rage, je veux qu'il regrette, ses coups, ses insultes, tout ce qu'il m'a fait et qui m'a blessé depuis notre mariage, il y a six ans. Croyez-vous que je pourrais venir me réfugier chez vous, avec les enfants, durant quelques jours ? Ce ne sera pas long, juste le temps qu'il nous cherche, qu'il s'inquiète et qu'il regrette amèrement, en se disant, si je n’avais pas fait cela, elle ne serait pas partie, je ne recommencerais pas. Je vous en prie répondez moi vite, j'ai besoin de votre aide.

Louise

Cette lettre, dont j'espérais une réponse rapide, demeura sans suite, j'étais déçue, je ne pensais pas Madeleine assez de mauvaise foi pour ignorer mon courrier, où alors elle avait été perdue pendant le trajet, cause dont j'espérais qu'elle était la solution.

Parfois la nuit, souvent le matin je me réveillais avec une désagréable sensation d'humidité, un mal de ventre et une peur qu'il y ait encore eu un accident. Peu importe l'heure, bien que je préférais le milieu de la nuit pour la discrétion, je devais être discrète et faire vite. Mon ventre me faisait mal, et la plupart du temps, il y avait du sang partout. Souvent, lorsque je tentais de repenser à la veille, je me souvenais de m'être dit, trop fatiguée : Non Louise, ce n'est pas la peine de changer votre lange, vous le ferez demain matin. Et cela me faisait le coup à chaque fois. Fatiguée ou non, je devais remettre un nouveau lange, soigneusement ranger celui sali pour ne pas faire de tâches sur la moquette, faire de même avec ma robe, changer mes draps si je m’étais aperçu trop tard de l'accident, me préparer et avaler encore endormie une tasse de tisane de sauge pour soulager mes douleurs et alors là, vous n'imaginez pas le bonheur d'être propre et de se remettre confortablement dans son lit douillet. C'était toute une aventure d'être une femme en 1779, j'aurais tant voulu être un homme, mais malheureusement je devais me résoudre à assumer ma condition.

Mes fils n'auraient jamais ce souci, en revanche ma belle – sœur, avec ses cinq princesses, ne chômerait pas de sitôt. Cinq ? C'était bien vite dit, comme si elle comptait s'arrêter là. En effet, au plus profond de mon esprit, j'étais convaincue que Claude ne resterait pas la benjamine de sa fratrie, et j'étais tout aussi sûre de la naissance prochaine d'une sixième petite fille, qui viendrait compléter la famille déjà nombreuse.

J'apprenais en feuilletant l'encyclopédie de la médecine de mon mari que les gouttes que les médecins avaient prescrites à mon fils étaient un poison. D'ailleurs il ne les prenait plus, d'abord parce que je ne savais où m'en procurer (il n'y avait pas d'apothicaire à Montrouge), et puis son asthme n'était pas revenu depuis le mois d'octobre, quand il était parti avec son père à l'hôpital de Paris pour se faire soigner.

J'avais tenté de réparer avec mes moyens limités la boite de Léna, mais elle était cassée, fichue, détruite, inutilisable désormais. Pauvre petite fille.

L'hiver nous quittais puisque Monsieur Garbure avait fondu, progressivement, il ne restait que son chapeau, son écharpe et la carotte qui lui servait de nez, dans la cour, dont l'herbe repoussait, Lion se reposait, profitant des toutes premières chaleurs depuis des mois, elle prenait le soleil, ses beaux yeux bleus me fixant méchamment. Elle savait que j'avais pris ses chiots, et chaque fois que je m’approchais d'elle, elle grognait en montrant ses crocs aiguisés.

Mon petit mois d'avril me réservait quelques surprises, notamment ma panique lorsque Léon – Paul faillit s'étouffer avec la première dent qu'il venait de perdre, je lui faisais recracher, et la petite fée des dents lui apportait un livre. La première chose qu'il me disait, le matin même, c'était :

—''Mais maman, la fée des dents m'a apporté un livre alors que je ne sais pas lire.

—''Montrez donc votre livre. Oh, c'est original, Le petit Poucet. Vous connaissez son histoire Léon – Paul ?

—''Non. Mais Malou m'en avait un peu parlé.

—''Vous voulez que je vous lise le livre ce soir ?

—''Oui !

Après une journée pluvieuse, le soir même, alors qu'il était assez rare que je leur lise une histoire, je réunissais Michel, Émile et Léon – Paul sur le lit d’Émile pour leur lire un chapitre de Petit Poucet.

—''Il était une fois, un bûcheron et une bûcheronne… Léon – Paul m'interrompit. C'est quoi un bûcheron maman ?

—''Un bûcheron ? C'est un homme qui coupe les arbres pour faire du bois pour les cheminées par exemple. Donc, ce bûcheron très pauvre vivait avec sa femme, dans une maison au fond de la forêt, avec leurs sept fils. Voyant que Émile bougeait et perdait patience, j’improvisais pour réveiller son attention.

—''Les sept fils, retenez bien, Émile écoutez-moi, je vous demanderais après, s'appelaient Émile… Émile ! S'écria mon fils en tripotant ses pieds.

—''Oui Émile, ensuite il y avait Léon – Paul, Gustave, Louis, Michel et … Comment pourrait-il s'appeler…

—''Monsieur Gerbure comme le monsieur de neige Louise !

—''Michel a raison, Monsieur Gerbure c'est un bon nom. Émile, toujours en tripotant ses pieds, bascula sur le dos sur le lit, il riait. Alors, Monsieur Gerbure…

—''Non, Michel ! Contesta mon neveu

—''Bon, Michel s'endormit un soir sous le vieux rocking-chair de ses parents… C'est quoi un Dorine – Chère ? M'interrompait – il encore une fois.

—''Rocking-chair Michel. Une sorte de chaise à bascule, qui grince souvent. Ne faites pas de bruit, je crois que Léon – Paul s’est endormi, je vous lirais la suite demain soir.

En effet mon enfant somnolait en travers du lit de son frère, les yeux clignotant, comme s’ils étaient près à s'éteindre. Doucement, je le réveillais pour l'habiller de sa robe de nuit et le remettre dans son lit. Le lendemain soir, lorsque je me couchais, j'avais oublié de leur lire l'histoire, et puis les jours passèrent et nous ne reprîmes pas. Le Petit Poucet resterait sous la chaise à bascule de ses pauvres parents, et cela m'arrangeait car je n'avais pas vraiment envie de leur raconter encore une fois l'histoire, surtout que plus les jours passaient et plus il aurait fallu que je recommence depuis le début.

Par ailleurs, j’apprenais par lettre le décès de la fille de Madeleine, Claude, qui n'avait pas supporté un jour où sa nourrice avait été surprise par la pluie de mars. Trempée, elle avait tremblé et souffert des jours durant avant de mourir le six avril, à seize mois. J'envoyais une lettre de condoléances à ma belle – sœur, qui devait être déchirée, venant de vivre le premier deuil d'un enfant de sa vie, je lui témoignais mes plus sincères condoléances.

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