Chapitre 28E: août 1779

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Il quitta ma chambre sans comprendre. Moi je sanglotais, encore et encore. Gustavine, me pensant malade, m'apportait une tisane et une tranche de pain, je mangeais à petites bouchées, la bouche sèche, avec des nausées en pensant à cette nourriture que je me forçais à avaler. C'était symbolique en quelque sorte, il fallait que j'avale cette nouvelle, ce drame, il fallait que je digère le fait qu'il était mort.

Je ne pouvais pas rester indéfiniment au fond de mon lit, puisque Gustavine retournerait bientôt à l'école, et que je devrais préparer à manger pour mon mari le midi venu, qui s'était lassé des sandwiches avalés sur le pouce dans son cabinet. Je lui préparais souvent une soupe, mais parfois, quand je m’ennuyais une petite poule, la déplumer me permettait de libérer un peu de ma colère, mon incompréhension face à ce drame, ce geste insensé qui avait élu domicile dans la tête de Mathurin, et qui était sans doute déjà bien installé la dernière fois que je l'avais vu. Mon mari était bien content de manger un plat du dimanche les jours de soupe, tandis moi, j'étais fière de savoir cuisiner, de le voir apprécier et de me régaler à mon tour avec Michel.

Août passa, avec quelques jours de pluie, aussi alors que j'étais morte d'inquiétude en voyant septembre arriver et pas les enfants, Louis, accompagné de toute sa petite famille, me les ramena au début du mois. Pour me rassurer et excuser son retard, il me disait en descendant de sa place de cocher :

—''Nous avons eu quelques soucis sur la route, des ralentissements à cause des chevaux qui avaient trop chaud. Tout va bien ma sœur, et je vous les ramène.

Madeleine, élégante, était assise près de son époux, aussi elle lui tendait sa main pour qu'il l'aide à descendre. Elle venait vers moi et m'embrassait : elle sentait la vanille.

Les enfants dormaient tous dans la voiture, aussi, curieuse, je regardais discrètement par la vitre : Malou caressait les cheveux d’Émile et de Victoire, qui sommeillaient la tête posée sur ses genoux, Léon – Paul somnolait, serré contre ses trois cousines, qui dormaient elles aussi. Quand elle me voyait, elle se leva sans hésiter, réveillant Émile et Victoire, tous deux groggy, pour descendre le sourire aux lèvres de la voiture, et me sauter dans les bras.

J'étais tellement heureuse de la retrouver ! La nourrice s'occupa de réveiller les enfants, aussi je retrouvais mes deux trésors, les cheveux en batailles, fatigués par la longue semaine de voyage. Tous avaient pris des couleurs, loin du temps gris de Montrouge et de Paris, Henriette arborait des joues rouges comme des tomates, c'était elle qui avait la peau la plus blanche et qui avait le plus rougi.

Je saluais mes quatre nièces : Françoise, Henriette, en réalité un peu malade, ses joues rouges étant dû à la fièvre, Victoire, mais Anne n'avait pas envie de me dire bonjour, elle préférait se réfugier dans les jupons de sa nourrice, qui lui chuchotait quelque chose à l'oreille. La bonne s'occupait avec tant d'affection de l'enfant, me disait Madeleine, qu'on aurait cru qu'elle était sa mère. Même si Louis était peu présent pour l'éducation de ses filles, il n'en demeurait pas moins d'une figure d'autorité.

—''Anne, lâchez votre nourrice et allez saluer Louise. Lui ordonna - il

La brunette s'exécuta, ne rechignant jamais à obéir à son père.

Aussitôt les malles descendues par la nourrice, qui faisait surtout office de bonne à présent, je faisais visiter la maison a Madeleine et Louis, qui comptait presque autant de pièces que leur immense appartement à Paris. Depuis le premier étage, nous entendions les enfants galoper à travers la maison et leurs cris de joie d'être ensemble, et surtout les pas appuyés de Léon – Paul, qui boitait toujours. Cela me faisait beaucoup rire, ils avaient encore de l'énergie, alors qu'ils revenaient d'une semaine de voyage. Remis quelque peu de leur sommeil, mes fils étaient très fiers de montrer à leurs cousines là où ils vivaient.

Je les invitais à rester pour le souper ce soir, mais Louis devait reprendre son poste de garde. Il pouvait s'offrir des vacances en été grâce à son excellente situation, mais il lui fallait quand même reprendre le travail un jour. Aussi devant l'absence et les plaintes d'Henriette du fait de sa fièvre, la petite famille devait rentrer rapidement chez elle. Les enfants se séparèrent de leurs cousines avec lesquelles ils avaient passé deux mois de vacances inoubliables, mais tous relativisaient : on leur avait promis que l'an prochain ils repartiraient ensemble.

Quand Léon retrouva ses deux fils, il serra la main d’Émile comme un homme, tandis qu'il salua juste oralement Léon – Paul. Mon mari voyait plus chez son benjamin que chez son aîné une perspective de succession, et puis Émile lui ressemblait c'est vrai, depuis peu de temps je l’avais remarqué.

Après le repas, tandis que je lui donnais son bain, Émile me racontait ses vacances et ses péripéties avec ses cousines pas si sages que cela.

—''Victoire elle est montée debout sur la chaise et elle a renversé le pot de confiture et il y en avait partout par terre. Et après, il y avait plein de fourmis partout !

—''Mais comment cela se fait -il qu'elle soit montée sur la chaise ?

—''On voulait en manger, et sa nounou elle était pas d'accord… On s'est claboussé dans le ruisseau, et on était tout mouillé !

'' —''Éclaboussé'' Émile. Comment était la maison ?

—''Moi je dormais avec Léon – Paul, mais aussi Françoise elle râlait parce que Victoire et Anne elles voulaient pas dormir !

Ma nièce était assise sur le lit près de Léon – Paul, tous deux me regardaient donner le bain à Émile, qui éclaboussait toute la pièce.

—''Et vous Malou ? Comment avez-vous trouvé ces vacances ?

—''C'était chouette, mais Françoise est un peu jeune…

—''Rhooo… Malou vous exagérez, elle n'a que deux ans de moins que vous ! Vous n'êtes quand même pas restée seule tout l'été ?

—''Non, je jouais parfois avec Françoise, mais je trouvais ses jeux trop enfantins et ses manières exagérées.

—''Françoise est une petite fille issue de la haute bourgeoisie, ses parents sont fortunés, elle reçoit une éducation sophistiquée et elle connaît les bonnes manières, c'est normal. Mais vous Malou, vous n'avez même pas dix ans ! Vous n'avez jamais joué à la poupée, c'est vrai, mais sachez que c'est l'occupation des petites filles de sept ans.

—''Ses sœurs sont peut – être moins précieuses ?

—''Elles n'ont pas le même caractère, c'est sûr, mais Anne et Victoire sont encore très jeunes, elles recevront la même éducation. Allez Léon – Paul, au bain.

Léon – Paul prenait Malou et Émile, frais, propre et habillé, par la main pour qu'ils sortent de la chambre, il voulait sa pudeur, je devais l'accepter. Je lui enfilais sa chemise de bain, et pour la première fois, je lui laissais le savon, sans doute était - ce cet été loin de lui qui me poussait à le laisser s'émanciper. Je le rinçais une fois qu'il était bien mousseux, et le séchais en lui retirant sa chemise de bain détrempée.

Une fois qu'il fut habillé de sa chemise de nuit, j'accompagnais les enfants se coucher et je décidais de me faire plaisir. Je verrouillais la porte de ma chambre, aussi je faisais chauffer l'eau du bain, seau par seau, je me déshabillais devant la glace en contemplant mon corps de femme, et je me glissais dans l'eau chaude. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pris plaisir à me laver, l'instant fut bonheur, et pour couronner le tout, personne ne me sollicita.

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