Chapitre 2.2 

10 minutes de lecture

Ce matin là, il profita du trajet vers la fac pour passer un coup de fil à sa famille, en particulier pour parler avec sa soeur, qui se levait elle aussi très tôt pour se préparer.

-- Coucou Thanya ! Alors, bien dormi ? T’es prête pour aller à l’école ? fit Tharn, d’une voix douce.

-- Bien sûr ! Heureusement que je ne compte pas sur toi pour me réveiller parce que la dernière fois que tu m’a appelé ça remonte à SongKran*! Tu t’es trouvé un nouveau copain c’est ça ?

 (*fête de célébration du nouvel an du calendrier bouddhique. Cette fête est célébrée en famille, dans la rue, où des gigantesques batailles d’eau sont organisées dans toutes les villes à travers la Thaïlande)

Du haut de ses 12 ans, Thanya n’avait pas la langue dans sa poche et était très perspicace. Elle avait d’ailleurs été la première à se douter que Tharn avait un penchant pour les hommes, mais ça ne l’avait pas choqué pour autant. L’innocence de la jeunesse faisait qu’elle lui posait des tonnes de questions même sur sa vie amoureuse. Cela l’amusait beaucoup, et il était impressionné par la vivacité de sa cadette. Quant à son grand frère, sa voix se montrait toujours réconfortante et  pleine de bons conseils. Enfin, sa famille était plutôt ouverte sur le sujet tant qu’il était heureux. Tharn leur en était reconnaissant et ça le ressourçait de discuter avec ses proches. 

Pour échapper au brouhaha des étudiants, Tharn se rendait  à la fac plus tôt que ses camarades. Ça lui permettait de profiter du calme matinal qui rendait agréables même les murs rébarbatifs de la pièce. Il s’installait près d’une fenêtre devant laquelle des rideaux blancs ondulaient dans la brise. Sur son passage, il y avait souvent ce groupe de filles qui était là et qui le saluait en choeur, comme si elles n’attendaient que ça. L’une d’elles s’avança vers lui et lui tendit un petit paquet :

-- Salut Tharn… Euh... Je sais que tu viens très tôt le matin alors je t’ai fait un petit casse-croûte... pour que tu commences bien ta journée…

Tharn prit délicatement le paquet et leva les yeux vers la jeune fille dont les joues s’étaient empourprées.

-- Mais c’est adorable… Merci. Au fait, j’adore tes boucles d’oreilles, ça te va bien.

Il s’en alla avec un sourire, bien qu’il savait pertinemment qu’aucune de ces filles ne l’intéresserait jamais. 

Les cours passaient vite : Histoire de la musique, analyse et esthétiques des arts musicaux, écriture musicale… tout le passionnait, et il était doué. Il jouait lui-même de la batterie depuis longtemps alors le master de musicologie avait été une évidence. C’était sa dernière année.

 L’horloge indiquait la fin du dernier cours, mais le prof ne voulait pas en finir. Tharn regarda sa montre, impatient. Il avait beau ne pas s’ennuyer, jouer avec ses amis restait, à ses yeux, le moment le plus intéressant de la journée. Quand le prof daigna enfin mettre fin à sa peine, il empoigna son sac et se pressa vers la salle de musique. Sarawat et le reste de la bande étaient déjà là.

Depuis le lycée, il faisait partie d’un groupe, les “Roller Coaster”, qu’il avait créé avec son meilleur ami Sarawat à la guitare et Hwahwa, la bassiste. Un nouveau chanteur était arrivé dans le groupe cette année. 

-- Bein alors Tharn, on s’est encore fait harceler par une nana qui veut que tu sois son tuteur ? glissa Sarawat, avec son air malicieux habituel.
Tharn rigola.
-- Si seulement ! Mais non, c’était M.KunPool, il voulait pas nous lâcher la grappe !
-- Ho non, pas lui… J’sais pas pourquoi mais ils se débrouillent toujours pour nous le mettre en fin de journée celui-là ! fit Dean le nouveau chanteur tout en branchant le micro à son pied.
-- Mais grave ! Avec ses explications à rallonge que personne n’écoute ! ajouta Hwahwa.

Ils éclatèrent de rire à l’unisson. Les répétitions se passaient toujours ainsi. Ils s’entendaient vraiment bien et leur groupe ne cessait de gagner en niveau et en assurance. Au début, ils jouaient dans la rue de temps à autre jusqu’au jour où on leur avait proposé de venir jouer régulièrement dans un bar. En plus de ça, ils étaient rémunérés. Ils avaient tout de suite sauté sur l’occasion et maintenant voilà qu’ils jouaient dans un des bars les plus populaires de Khao San Road, un quartier animé à Bangkok. C’était un vrai succès, depuis ils y jouaient les vendredis et samedis soirs. 

Il était 19h passé quand Tharn entra dans le bar, déjà bondé. Il croisa la gérante.

-- Ha, mon petit Tharn, te voilà ! Dis donc tu es bien en retard, tes amis sont là depuis une bonne demi-heure ! lui dit-elle d’un ton affectueux.

-- Je suis désolé Jeed, j’ai encore oublié mes baguettes dans la salle de musique… Je ne sais pas ce que j’ai dans la tête, rit-t-il de lui-même.

-- Moi je sais ce que tu as dans la tête… Ça ne serait pas le beau jeune homme à qui tu parlais hier ? Tu sais il est venu me voir et m’a posé pleins de questions sur toi ! Mais tu me connais, je n’ai rien divulgué ! affirma Jeed en lui faisant un clin d’oeil. 

-- Merci ! T’es un amour.

Tharn et son groupe s’entendait à merveille avec les gérants du bar. En même temps, il avait un don pour créer une famille avec tous ceux qui l’entouraient. Il leur arrivait de rester avec eux après leur prestation et de festoyer encore une bonne partie de la nuit avec le reste de la clientèle.

Quand il était au bar, il arrivait fréquemment qu’on lui offre des verres, qu’on l’invite à des soirées ou bien qu’on lui demande son Line. Il avait la cote sur les réseaux sociaux. Dans la plupart des cas, c’était des jeunes filles sans doute impressionnées par ses performances ou par le jeu de ses muscles tenant fermement ses baguettes, mais pas que, de nombreux hommes n’étaient pas insensibles à son charme.

A l’aise en public, sa popularité ne le gênait aucunement. Il appréciait ces soirées mondaines où il rencontrait de nombreuses personnes aussi riches que variées. Et puis, il avait une attitude naturellement séductrice qui le mettait souvent dans des situations favorables.

***

Il ne se doutait pas que le lendemain, son colocataire le questionnerait sur son orientation sexuelle avant de lui poser un ultimatum. Il avait été sonné par le contraste entre celui qu’il avait quitté le matin et le jeune homme qu’il avait retrouvé en rentrant des cours.

Il savait que Type ne mâchait pas ses mots, mais son homophobie assumée l’avait choqué et déçu. Au vu de ce premier mois ensemble, il le pensait plus ouvert d’esprit. Quand il avait retrouvé ses affaires éparpillées, son sang n’avait fait qu’un tour. Il était tombé sur une carte que sa petite sœur lui avait écrite, et son devoir de musique déchirés en morceau. 

Il lui en voulait. C’était vraiment puéril de lui demander de partir et encore plus d’abîmer ses affaires dans ce seul but. À ce moment là, Tharn décida donc de ne pas se laisser faire et de lui donner, par la même occasion, une petite leçon de savoir vivre. Il se disait que Type allait finir par être à cours d’idées et par se calmer, comme un enfant capricieux qui se rend compte que ses enfantillages ne fonctionneront pas.

***

Le lendemain de leur petite soirée improvisée, Tharn se leva à contre-coeur. Il était encore fatigué mais devait régler deux trois choses avec le groupe pour la prestation du soir. Il sortit donc vers 10h mais dut rapidement rebrousser chemin. Il avait oublié d’envoyer une partition aux autres membres qui était sur son ordinateur. Quand il ouvrit la porte il aperçut, sans grande surprise, les pieds de Type encore allongés. Il entendait comme des soupirs, mais se dit que c’était normal s’il dormait encore profondément. Il ne s'attendait pas à ce qu’une fois la porte grande ouverte, celui-ci soit parfaitement réveillé. Pire, il était adossé au mur, une main sur son téléphone tandis que l’autre se mouvait frénétiquement sous la couette. Quand ils se firent face, le mouvement de la main s’arrêta net. Il y eut un silence. Des gémissements continuaient de provenir du téléphone. Type leva brusquement les yeux et à son expression désemparée Tharn ne put que pouffer de rire. 

– J’vois que tu regardes des vidéos intéressantes. C’est des filles...ou des garçons ? dit-il, taquin.

– Va te faire foutre, l’intimité tu connais ?! T’aurais pu frapper avant d’entrer, connard ! 

– On partage encore la chambre à ce que je sache.

– Et alors, ça ne te donne pas le droit de débouler n’importe quand !

Tharn ne prit même pas le temps de lui répondre, la situation était suffisamment jouissive. Il s’installa devant son pc, ouvrit Facebook et envoya la partition aux autres membres du groupe, tout en regardant Type du coin de l’œil. Ce dernier semblait mal à l’aise et contrarié. Il est mignon, pensa Tharn. Il se leva et s’apprêta à sortir quand il lança :

– C’est bon, je te laisse reprendre ton activité en toute tranquillité. Je t’aurais bien donné un coup de main… Mais je dois y aller, dit-il en agitant la main, avant de lui faire un clin d’œil.

***

La prestation s’était bien passée. Comme d’habitude, une petite foule de personnes l’attendait au pied de la scène. Mais cette fois-ci, il sentit que quelque chose était différent. Un groupe de filles pouffa à son passage, visiblement autant gênées qu’excitées puis un jeune homme, à l’air ouvertement séducteur, s’approcha de lui  nonchalant.

– Sympa ta nouvelle photo de profil. On dirait pas que tu peux être aussi mignon quand on te voit sur scène.

Le garçon lui mit une main sur l’épaule et s’approcha pour lui susurrer quelque chose à l’oreille :

– Je t’ai envoyé un message privé, réponds-moi quand tu veux qu’on se capte.

Tharn ne comprit pas. Non pas qu’il ne voyait pas ce que le gars sous entendait, il avait l’habitude que des mecs viennent le draguer après ses prestations, mais il n’avait pas le souvenir d’avoir changé sa photo de profil. Intrigué par la remarque, il décida d’aller vérifier. Quand il ouvrit l’application, son sang ne fit qu’un tour. Sa photo de profil avait effectivement changé et pas pour n’importe laquelle. Il se vit alors à quatre pattes, paré d’un unique boxer blanc moulant. Mais ce n’était pas tout, il arborait d’adorables oreilles de chien qui tombaient délectablement sur son visage à l’expression toute aussi adorable.

Tharn se maudit de ne pas avoir supprimé cette photo. Il était pourtant persuadé que tout ça était derrière lui. Mais il s’en voulait encore plus de ne pas avoir déconnecté son compte en quittant la chambre ce matin. Il jura, ferma les yeux et se supplia de ne pas massacrer Type à son retour. Inutile de dire qu’il était allé beaucoup trop loin cette fois-ci. Il supprima la photo avant de s'éclipser du bar, fulminant, bien décidé à en découdre.

La porte s’ouvrit brutalement. Il remarqua Type sur son lit à lui, ce qui attisa d’autant plus sa colère. Tharn s'avança à grand pas, les poings serrés, bien décidé à en user cette fois-ci. Il s'empara de l’épaule de Type afin de le retourner. Il fut stoppé net dans son élan, fasciné par sa beauté. Il dort aussi paisiblement après avoir lâché une bombe ? Et sur mon lit en plus ? C’est bien quelqu’un qui n’a pas peur des conséquences. pensa-t-il. Son visage éclairé par la lumière de la lampe laissait voir son long cou, le t-shirt de son pyjama dévoilant une partie de ses hanches. Sa poitrine se soulevait et s’abaissait doucement. Cette scène ne le fit pas décolérer mais, au contraire, lui donna une meilleure idée quant à sa vengeance. Un sourire mauvais naquit sur son visage. Une occasion pareille ne se reproduirait pas. 

Tharn alla donc prendre ce qu’il lui fallait dans son sac et revint s’asseoir délicatement au bord du lit. Il s’approcha prudemment. Du violet, du rouge… le cou et le ventre de Type en étaient recouvert. C’était parfait. Quand il réalisa que le corps de son colocataire n’était qu’à quelques centimètres de lui, la tentation le saisit. 

Il avait envie de se laisser à le déguster davantage mais il se souvint à temps qu’il allait tout faire rater. Un peu à regret, il s’éloigna mais trop brusquement. Type se réveilla. Ce dernier ouvrit les yeux alors que Tharn était encore penché sur lui. Dans la panique, sans crier gare, il décocha un coup de pied dans son entrejambe, le pliant en deux de douleur. Type ne s'arrêta pas là. Il le poussa violemment pour se dégager avant de crier.

– Mais t’es fou ou quoi ?! T’essayais de faire quoi là !

Sans attendre la moindre réponse, Type se retourna et se réfugia sous sa couette, qu’il serra fort contre lui. Tharn morfla encore longtemps avant que la douleur ne daigne s'apaiser. La journée avait été légitimement interminable et il avait failli se faire émasculer en prime. Ses yeux s’ouvrirent sur son horloge qui indiquait 4h. Déjà? pensa-t-il. Tharn se redressa péniblement et vit Type, toujours emmitouflé dans sa couette. Ce dernier avait les yeux fermés mais ne cessait de remuer en maugréant. Il avait le front en sueur, ses sourcils étaient de nouveau froncés mais exprimaient plus une certaine détresse que du mécontentement. Cette vision intrigua Tharn mais il était trop fatigué pour réagir, même si ça avait quelque chose d’inquiétant. Il s'allongea et fut emporté par le sommeil.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire SundayMorning2 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0