Chapitre 1.1

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S’accepter. Il paraît qu’il faut le faire pour être épanoui. Mais comment y parvenir ?

C’est sûrement l’une des choses les plus dures à faire.

Tout commence par ce petit sentiment qui nous dérange, ce sentiment de malaise qui nous pousse tout d’abord à nous détester, à nous comparer. Alors on rejette, on blesse, autant nous-même que les autres.

S’accepter est un long chemin. Il se construit tout au long de notre vie, à travers les événements que nous vivons, les personnes que nous rencontrons, qui nous touchent, nous bouleversent, nous changent. Une rencontre peut tout faire basculer, nous faire prendre conscience de ce qui sommeille en nous, notre obscurité comme notre lumière.

On ne peut pleinement aimer les autres ni recevoir de leur amour tant qu’on ne s’aime pas soi-même.

« On ne peut arriver à être ce que l’on veut être tant et aussi longtemps qu’on ne s’est pas acceptés dans ce que l’on ne veut pas être. » – Lise Bourbeau

***

La journée se terminait pour le jeune Type, qui venait tout juste de finir son cours de sport. Dans les vestiaires du stade, il se changeait quand son meilleur ami Techno débarqua, essoufflé. Il prit appui sur ses genoux, se courbant pour récupérer. Type se retourna, soupirant.

– Qu’est-ce qu’il y a ‘No ?
– J’ai.. Une nouvelle.. De… DINGUE !
– Quoi donc ?
– Tu vas... pas en revenir !
– Crache le morceau !
– Ton coloc… wow… Il est gay !

Pendant une demi seconde il se figea.

– QUOI ? Qu’est-ce que tu viens de dire ? demanda-t-il d’un ton sévère.
– Bah ouais, t’as bien entendu. Tharn est gay !
– Tu te fous de moi là !?

La phrase avait détonné dans le vestiaire tel un coup de feu, figeant tout le monde. En un clin d’œil, les images avaient fusé dans la tête de Type, il ne pouvait les contenir alors il s’était mis à marmonner, les yeux perdus dans le vide.

– Oh l’enfoiré… Ça fait un mois que je vis dans la même pièce que lui… Quand je pense que je lui fais un grand sourire tous les matins… que je dors à un mètre de son lit…

Bam ! Le pied de Type s’enfonça lourdement dans son casier. Il était fou de rage et de dégoût. Il n’en revenait pas de ce qu’il entendait. Il se sentait trahi. Cela faisait un mois déjà qu’ils habitaient ensemble. Il se souvenait encore du jour où il avait emménagé. Tharn l’avait aidé à porter ses lourds cartons dans la chambre lumineuse. Sans lui, il en aurait eu pour des heures. Ça s’était tout de suite agréablement passé. Ils papotaient souvent autour du petit déjeuner.

D’ailleurs, Tharn avait cette manie de s’asseoir les jambes croisées, le dos bien droit, et de regarder par la fenêtre pour boire. Sa mâchoire était bien marquée, et sa peau étincelante, légèrement bronzée. Généralement il se levait avant lui. Il faisait beaucoup de choses comme s’entraîner à sa batterie, revoir ses cours ou bien lire un livre. Il aimait poser sa joue sur son poing et de l'autre main, il tenait son livre et lisait une bonne demi-heure. Après quoi il se mettait à faire du sport. C'était quelqu’un qui aimait prendre soin de lui. Quand il sortait de la douche et qu’il penchait sa tête en avant pour sécher ses cheveux, on pouvait voir les muscles de ses bras et de son dos onduler sous sa peau.

Irréprochable quand il s’agissait de sa tenue, il portait la chemise blanche de son uniforme toujours parfaitement repassée. Il avait pour habitude de laisser les deux premiers boutons ouverts. Il pouvait parler des heures en étant intéressant mais savait aussi quand il fallait savourer le calme et le silence. Et quand Tharn revenait des cours, il ramenait des petits snacks qu’il partageait avec lui avec ce sourire chaleureux qui savait mettre à l’aise. De ses grands yeux se dégageait une expression sincère d’amitié.

Sans rien ajouter Type emporta ses affaires et disparut dans l’embrasure de la porte du vestiaire d’un pas décidé.

Ça faisait une quinzaine de minutes que Type attendait assis sur son lit, le corps tendu de nervosité. Il fixait le lit de Tharn devant lui, qui était inondé par la lumière de la fenêtre. Il ne savait pas pourquoi mais cette vision pourtant agréable l’énervait davantage. Quand il entendit enfin la porte de sa chambre s’entrouvrir, ses muscles se crispèrent et il bondit face à Tharn. Une longue seconde se passa, brisée par Type. Il regarda son colocataire, un air dégoûté sur son visage fermé.

– Je vais te poser une question. Réponds-moi honnêtement.
– Qu’est-ce qui se passe ? Tu as l’air contrarié.
– Est-ce que tu es.. Hum.. Gay ?

Tharn arqua un sourcil.

– Oui.

Type détourna le regard, n’en revenant pas qu’il s’agisse bel et bien la réalité. Il avait espéré au fond de lui que son ami lui eût raconté n’importe quoi, que c’était faux et qu’il n’aurait pas à faire face à ce genre de situation. Il allait encore passer pour le méchant garçon, mais malheureusement il n’avait pas le choix.

– Dans ce cas, laisse-moi être honnête avec toi. Je déteste les gays. Je peux pas vivre avec toi.

Le visage de Tharn se renfrogna pour la première fois.

– Et je peux savoir en quoi ça te regarde ?
– Ça me regarde pas, mais ça me dérange. Je peux pas vivre avec quelqu’un de ton.. genre.
– Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
– Faut que quelqu’un quitte cette chambre.

Le regard buté de Type ne laissait pas de doute quant à son avis.

– Dans ce cas tu devrais partir parce que c’est toi qui as un problème, pas moi.
– J’y peux rien si t’es un pervers dégueulasse !

C’était le commentaire de trop, de la colère émana des yeux de Tharn.

– T’as vraiment une mentalité de merde. Tu pourras jamais vivre en société avec ces préjugés et une logique aussi ridicule, répondit Tharn en se rapprochant dangereusement. Type recula mais buta contre son lit.

– Putain, tu fais quoi ? Bouge !

Il paniqua et le poussa violemment puis se dirigea vers le couloir en claquant la porte derrière lui. Il n’allait pas en rester là. Il était décidé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour le dégager. Si ce n’était pas Tharn, c’était lui qui allait bouger. Autant vivre avec des cafards plutôt que de partager sa chambre avec un gay. D’un pas déterminé, il descendit les marches des deux premiers étages pour rejoindre l’accueil. Derrière la réception, une dame était assise sur une chaise. Elle lisait un livre…érotique ? Type fronça les sourcils mais ne dit rien. Chacun ses goûts après tout. Il se racla la gorge pour montrer sa présence.

– Je veux changer de chambre.

La réceptionniste releva les yeux et posa son livre. Elle se mit debout en soupirant.

– Bonjour jeune homme. Que puis-je pour toi ? Ah tu veux changer de chambre.. Laisse-moi voir ça. Ah non ! C’est pas possible, toutes nos chambres sont complètes ! Estime-toi déjà heureux d’en avoir trouvé une.
– Mais il doit y avoir des gens qui veulent changer de chambre, pas vrai khuṇ p̂ā* (tante) ?

L’appellation piqua la jeune femme. Comment ça,« khuṇ p̂ā » ? Elle n’était pas si vieille que ça.

– Non, et même s’il y en avait, ils le feraient d’eux-mêmes ! Ils viendraient pas crier des « khuṇ p̂ā » à tout bout de champs !
– Mais c’est le bureau du dortoir, ‘p̂ā.
– S’il y a un vrai problème, je peux peut-être arranger les choses. Alors dit moi, qu’est ce qu’il se passe ?
– Mon colocataire est...

En réfléchissant à sa phrase, il comprit qu’il était préférable que les mots restent dans sa tête. Il ne voulait pas ébruiter l’affaire donc il valait mieux pour lui de ne rien dire quant au motif.

– Je veux changer de chambre, c’est tout. J’aime pas mon coloc.
– Désolé mon mignon, mais je peux rien pour toi. Bonne journée.

Elle se rassit et se replongea aussitôt dans sa lecture, qui semblait la captiver vu son expression.

Type soupira, désespéré. Que pouvait-il faire de plus ? Il sortit son téléphone et envoya un message à Techno pour lui dire de le rejoindre. Quelques minutes plus tard, celui-ci débarquait dans le hall du dortoir. Il habitait dans celui d’en face. Il lui expliqua qu’ils allaient faire du porte à porte pour l’aider à changer de chambre. Techno n’eut pas le temps de comprendre qu’ils étaient déjà plantés devant une chambre du première étage. Ce dernier tapota l’épaule de son ami pour l’encourager.

– Allez ! tâche de faire bonne impression.

La porte s’ouvrit sur un petit homme, cahiers au bras et lunettes sur le nez.

– Salut. Je cherche à échanger de chambre. Ça te dirait ?
– Je préfère pas.

La porte se referma en silence. Type se tourna vers Techno, les sourcils froncés.

– Putain il voulait même pas discuter.

Techno haussa les épaules avant de suivre son ami vers une nouvelle chambre. Cette fois-ci, ils furent accueillis par un corps nu appuyé sur l’embrasure de la porte et une voix suave.

– Salut… Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
– OK, ça ira.

Les deux amis firent volte face. Ils étaient peut-être désespérés mais pas à ce point. Ce mec n’était pas du tout net. Ils ne baissèrent cependant pas les bras et continuèrent leur quête. La personne suivante ouvrit à peine, regarda ceux qui venaient le déranger puis referma directement. Type, en colère, donna un coup de pied dans la porte.

Ils avaient fait le premier étage mais personne n’avait voulu échanger avec lui. Ils se lancèrent alors sur le deuxième étage, qui était aussi le sien. Première porte, un garçon avec une guitare à la main leur ouvrit. Il portait une chemise ample et fleurie ainsi qu’un bermuda. Il était souriant et avait l’air sympa. Bingo ! Type retrouvait espoir, ça pourrait être le bon ! Techno établit le contact.

– Salut ! Tu voudrais échanger de chambre ?
– Avec lequel d’entre vous ?

Techno s’écarta pour laisser Type briller mais il ne souriait pas, les sourcils froncés et un air trop fermé et froid, tout sauf chaleureux. Le guitariste le reluqua.

– Sans façon.

Et ce dernier claqua la porte. Type cru qu’il allait finir fou à ce stade.

– Mais toi aussi là ! Tu peux sourire un peu non ? Qui voudrait partager sa chambre avec un gars comme toi ?

Au visage menaçant de Type, Techno fit mine de rigoler, nerveux. Ils avaient fait tout l’étage et il ne restait que la chambre à côté de son ami. Il lui fit remarquer que c’était mieux que rien. Type toqua, lassé. Un garçon plutôt mignon ouvrit. Il portait un t-shirt simple et des boucles brillaient à ses oreilles. Il leva des yeux interrogateurs.

– Salut les gars.
– Dit.. P’Klui. Tu voudrais pas échanger de chambre avec moi ?
– Hein ? Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ?
– S’il te plait, échange de chambre avec moi !

Klui se retourna pour jeter un œil sur son colocataire qui était en train de danser sur de la kpop. En soi, il ne le dérangeait pas.

– Non ça va, mon coloc est plutôt décent.

Type soupira fort. C’en était trop pour lui. Il lança un regard de tueur pour la énième fois de la journée et tourna les talons. Qu’est-ce que c’était agaçant que personne ne soit un minimum empathique ! Et puis quel était le problème avec lui ? Il n’était pas décent ? Il n’était pas assez bien pour toutes ces personnes ? Bah super. C’était sûrement pas ça qui allait lui remonter le moral. Pendant qu’il rejoignait son lit, agacé, Techno était resté discuter avec Klui.

– Eh, P’Klui ! Ton coloc ne serait pas coréen par hasard ?
– Bah.. J’en sais rien. Je commence à avoir des doutes ou il est peut-être juste taré. Au fait c’est quoi le problème avec ton pote ? On dirait qu’il veut me tuer parce que j’ai dit non !
– C’est Type.. Il est comme ça, cherche pas à comprendre.

Type avait passé une sale nuit et avait à peine dormi. Il ne se sentait pas à l’aise sachant que le lit de Tharn se trouvait à quelques mètres du sien. Quand il se réveilla encore une fois en retard, son coloc, lui, était prêt à quitter la chambre pour aller en cours.

– Oh tu viens de te réveiller ! On se voit ce soir.. Coloc’ !
– Qui a dit Coloc ? Je vais me casser d’ici !

En plus d’être en retard, il était désormais grincheux. Il se leva de son lit et se prépara rapidement pour aller en classe.

Quoi de plus ennuyeux qu’un super cours de marketing ? Type était en licence d’économie. Il souhaitait plus tard reprendre l’affaire de ses parents à Phuket, une ville un peu plus au sud de la Thaïlande. Il n’avait pas la tête à écouter ce que sa professeure pouvait bien raconter. Tous ses neurones étaient en réunion pour trouver un moyen de faire partir Tharn.

A la pause déjeuner, il rejoignit Techno qui déposa son sac par terre et prit place sur la chaise voisine.

– A en juger ta tête t’as pas trouvé de solutions toi… Et t’as pas dormi non plus.
– Comment je pourrais ? Tharn ne veut pas partir.
– Franchement Type, qui voudrait partir ? Il n’a rien fait de mal après tout. Ce n’est pas parce qu’il n’aime pas les filles que c’est un violeur ou un meurtrier ! Puis il t’a jamais emmerdé, je croyais que tu l’aimais bien ce gars, non ? Pourquoi il devrait partir ? dit Techno, spontané et innocent.

Type roula des yeux pendant qu’on lui faisait la morale, au fond il le savait tout ça, mais le seul fait que Tharn soit gay lui était insupportable.

– Parce qu’il est gay. C’est tout.
– Oui, il est gay. Mais c’est pas comme s’il avait fait un pas vers toi.. ou à moins que.. ? sous-entendit Techno avec un air taquin.
– Oh tais toi No’ avant que je te fasse bouffer mes pieds !
– Haha... Ouais. Bon, qu’est-ce que tu comptes faire ?
– J’ai une idée pour le faire partir… Dis moi, quel genre de coloc’ est le plus agaçant ?

Techno comprit tout de suite où il voulait en venir.

– Bon comme t’es mon pote, je vais t’aider. Prends des notes.

Type s’exécuta et dégaina son téléphone.

- Alors numéro 1, celui qui ne respecte pas ta vie privée. Non sérieux. T’es là, et l’autre il fouille partout dans tes affaires, sans gêne...Qu’est-ce que c’est lourd ! Ou alors il invite ses potes et ils font du bruit alors que toi t’as juste envie de dormir parce que t’es crevé après une looongue journée de cours. Vraiment l’un des pires je crois.

– Et les mecs qui ont aucunes manières ?
– Oh oui, le gros crado qui lave jamais ses affaires, qui laisse traîner ses couverts après avoir mangé en espérant que tu les nettoies.. ou encore qui laisse traîner ses caleçons sales ! dit Techno en soupirant et en secouant la tête doucement.

Pauvre No’, ça sent le vécu tout ça, pensa discrètement Type.

– Super mec ! J’crois que je sais ce qu’il me reste à faire…

***

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