L'annonce - 1° partie

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Il revenait à Soline la lourde tâche de réconcilier les deux amis. Heureusement, elle disposait de solides arguments pour y arriver. Krys ne faisait rien par hasard. Pour lui, toujours un nouveau combat à mener. Sauf que cette fois, ce n’est pas lui qui montait en première ligne, il l’avait envoyé elle. Soline allait servir d’intermédiaire. Gus la secondait, portant l’essentiel du paquetage.

Lorsque le serviteur annonça sa venue, Sara n’était pas prête. La soirée allait commencer et elle ne se voyait toujours pas y participer. Elle avait beau comprendre les raisons avancées par ses amies avant qu’elle ne les quitte, une énorme boule persistait dans sa gorge. Comment-a-t-il pu ? Comment a-t-il pu m’humilier ainsi ? Il le fallait, avait avancé Korynn. Tu as vu le résultat ? avait ajouté Soline. Krys, inquiet, leur avait expliqué sa démarche pendant que tous la félicitaient et elles lui avaient répété.

Mais l’émotion avait été trop forte et la rancœur tenace. L’humiliation s’était répétée par trois fois.

Krys était fort. Combien il était fort ! Elle lui avait opposé toute sa rage, elle-même s’était sentie puissante comme jamais, elle avait tout donné, et il avait tenu. Lui qui affichait un visage sévère une bonne partie du combat, il souriait lorsqu’elle avait laissé exploser sa colère. Une posture qui avait aggravé son ressentiment. Pour finir, il s’en était même sorti sans accroc.

Le serviteur attendait. Elle lui fit un signe de tête. Un signe affirmatif.

Elle se calma, remplit ses poumons et expira. Soline et Gus entrèrent, des objets emballés plein les bras. Un souvenir refit surface : Tamara, accompagnée d’un intendant, venue lui apporter chaise roulante et longue-vue. Cette fois encore, ces paquets ne pouvaient provenir que de Krys. Elle ne se laisserait pas manipuler, il avait beaucoup à se faire pardonner.

— Qu’est-ce ?

— Nous ne dirons rien, nous sommes tenus au secret.

Bien-sûr. Une stratégie pour l’amadouer. Krys calculait tout, prévoyait tout. À combien l’avait-il mesurée, cette fois ?

Que pouvait contenir ces emballages de cuir ?

— Je vous sers quelque chose ?

— Nous ne manquerons de rien ce soir. Nous préférons que tu donnes libre cours à ta curiosité.

Cela ne pouvait contenir une tenue de soirée. Elle envisagea d’ouvrir le plus petit colis, qui était aussi le plus allongé.

— Voyons-voir cela, murmura-t-elle.

C’était lourd et solide. Qu’avait encore pu fabriquer notre inventeur ? Après avoir dégagé plusieurs couches de toiles, une matière brillante apparut. Elle dégagea le tout.

— Une épée ?

Drôle de cadeau, décidément.

Elle prit l’épée en main. Elle était magnifique. Et ce métal… Il ne lui était pas inconnu.

— Ne me dites pas… commença-t-elle à destination de ses amis.

Soline souriait, persuadée que Sara avait compris.

— Du candal ? C’est du candal ?

Personne ne broncha ni ne dit mot. Elle s’empressa d’ouvrir le plus gros paquet. Une armure ! Le même métal.

— C’est une des armures des immortels ?

Quoiqu’elle ne voyait pas qui des Quatre aurait pu tenir dedans.

— Non, répondit Soline. C’est la tienne.

Cette fois encore, elle respira profondément.

— Je croyais qu’il n’y avait plus assez de ce métal ?

— Sauf si tu fais fondre quelques lances, si tu raccourcis quelques épées…

Composite, l’armure était constituée de plusieurs pièces, toutes plus résistantes les unes que les autres, qu’il fallait revêtir une à une. Il ne s’agissait pas là d’un cadeau qu’elle aurait pu comparer à un autre. Non, il s’agissait d’une consécration ! La voilà acceptée dans le corps d’élite le jour même où elle s’était sentie rejetée. Avant de réformer le pays, il fallait le défendre, et c’est à cela qu’elle servirait. Cette armure lui permettrait de tenir la première ligne durablement et de combattre sans crainte pour sa vie.

Un cadeau pour femme ? Non. Un bijou aurait fait meilleur effet. Un cadeau pour une réformatrice en herbe, oui. Une reconnaissance de ses aspirations. Une reconnaissance de ses talents, aussi, peut-être.

Il ne l’avait pas rejetée. Il l’avait testée. Et, aujourd’hui, il l’approuvait. Il l’appelait.

— J’ai le temps de l’essayer ?

— Non. Mais vas-y quand même.

.oOo.

— Qui d’autre ?

Point besoin d’insister, plusieurs mains se levèrent.

— Jacques. Jacques Durandier, sélectionna Krys.

« Jacques, Jacques…, répétait David en feuilletant ses notes. Voilà. Origine hébraïque, commun en France. Durandier, phonétique française. Français !

Jacques leva un bras en signe de victoire. Il pouvait revendiquer cette terre comme sienne, comme tous ceux qui faisaient mine de se glorifier d’une caractéristique inaccessible aux autres. Plusieurs mains applaudirent.

— La princesse !

La voix forte de l’intendant fit retourner toutes les têtes. Magnifique dans sa tenue de soirée, accompagnée de Soline, Gus et d’un inconnu, la princesse apparut.

— Sara, indiqua Krys au scribe, Sara de Rotenay.

La fille du roi défunt attira toute l’attention. Pendant que David recherchait les composantes du nom cité, Krys invita les nouveaux venus à le rejoindre. Sara se demanda ce qui se tramait. Elle se tourna vers Soline, qui souriait, énigmatique. Qu’avaient-ils encore inventé ? Elle inspecta la grande salle. Tout autour, des tables emplies de cruches et de plateaux chargés d’encas, entourées de consommateurs. Les membres de la communauté – terme qu’elle préférait à celui de Sudistes – côtoyaient nobles et roturiers. Devant elle, une estrade occupée par plusieurs tables. Derrière l’une d’elle, un jeune homme assit recherchait fébrilement une information dans un ensemble de fiches. Plus avant, Krys, qui la regardait, se tenait debout. Autour, plusieurs groupes discutaient ou l’observaient.

— Avec un h ou sans h ? demanda David en relevant la tête.

— Sans, précisa Krys, sans se retourner.

— Sara. Origine Slave. Rotenay, nom à particule, origine française !

Des hourras emplirent la salle.

— Roi français, français majoritaires ! lança un membre de la foule.

Le vide se fit à l’arrivée des nouveaux venus, permettant à Sara d’approcher l’estrade.

— Nous avons à notre disposition un lexique sur l’origine des noms, expliqua Krys. Pour le moment, grâce à lui, nous avons réussi à déterminer qu’Andalore est à majorité française, un terme ancien que nous sommes parvenus à situer.

Il embrassa l’assistance du regard avant de livrer plus d’explications, conscient que les nouveaux venus entendaient certains termes pour la première fois.

— Approchez. Maintenant que tout le monde est là, nous allons tout vous expliquer. Le lexique que David consulte provient de temps très anciens. Sans doute bien avant ce que nous appelons l’an 0.

Il fit une pause, le temps que le brouhaha qui s’ensuivit cesse. La nouvelle avait produit l’effet attendu. Krys avait obtenu l’attention de tous, même des serveurs. Ceux qui n’avaient pas écouté regardaient autour d’eux, se demandant quelle nouvelle avait pu produire une telle tension.

— Les termes inconnus que vous venez d’entendre proviennent de ce que nous appellerons l’Ancien monde.

Deux membres de la communauté décrochèrent un drap, dévoilant une sorte de carte dessinée sur un grand support accroché au mur.

— Voici comment les Anciens cartographiaient leur monde.

La rumeur amplifia. Au moyen d’une baguette, Krys cibla une zone de la carte.

— Voici la France. Pour le moment, plus de la moitié des noms de cette assemblée ont été reconnus d’origine française. Si nous ne nous trompons pas dans notre interprétation, il semble que ce pays représente nos origines.

Fort étendu d’est en ouest comme du nord au sud, les frontières semblaient dessiner un hexagone. Une avancée dans l’océan formait une sorte de nez. Un grand nez.

— Nous avons aussi chez nous bien des noms d’origine anglo-saxonne. Bledor, avec qui nous partageons une partie de notre frontière, serait, lui, à majorité anglo-saxonne.

La baguette remonta au-dessus de la France, vers une île.

— Cette île est plus grande que la nôtre, sa superficie plus importante. Surtout, elle est environnée de nombreuses autres nations, de tout un continent, alors que nous sommes seuls, entourés uniquement des petites îles de l’archipel.

Il indiqua l’emplacement d’autres pays, dont l’orthographe et la consonnance de certains noms proviendraient : Allemagne, Espagne, Italie, Russie et d’autres.

— Pour les prénoms, nous avons utilisé des termes souvent inconnus à cette zone géographique : araméen, hébraïque, grec, latin, celte, slave, perse.

À chaque fois, il déplaçait la baguette sur une région du monde : l’Arabie, Israël, la Grèce, Rome, l’est de l’Europe, la perse.

— Il s’agit probablement pour la plupart de peuples plus anciens encore, que la carte ici reproduite ne représente plus forcément.

La baguette se déplaça sur les Amériques, où on retrouvait les mêmes langues qu’en Europe, suite, sans doute, à l’invasion des nations les plus puissantes du moment.

— Et nous, demanda une voix forte, où sommes-nous sur ce plan ?

Horace Morea, tous yeux fixés sur la carte, semblait fasciné.

— Nous avons cherché, aucune des îles du globe ne ressemble à la nôtre. Comme il n’y a rien autour de nous sur des milliers de kilomètres, au point que nos plus grands navigateurs ne sont jamais revenus, nous pourrions nous trouver en plein milieu de cet océan. » Il pointa l’Océan Pacifique, dont l’inscription s’étalait sur une surface importante de la carte. « Mais notre île, pourtant grande par rapport aux autres, ne correspond à rien de ce qu’on voit ici.

— Qu’est-ce à dire ?

Krys reposa sa baguette pour faire face à l’assistance.

— Vous savez que notre groupe possède quatre armures hors norme. En réalité, elles sont faites d’un métal que nous ne connaissons pas, et que nous avons trouvé sur un objet de belle dimension que nous serions bien incapables de reproduire.

La pièce de métal lisse ! se souvint Sara. Tamara avait mentionné cet objet lors de leur retour de Bladel, un détail qu’elle avait oublié au milieu de la cohue. Mais Krys continuait.

— Eh bien, cette pièce de métal ressemblait à un morceau de fuselage. Il semble que la civilisation d’alors était capable de construire des bateaux de métal ou, peut-être bien, des vaisseaux capables de voyager dans l’espace.

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