Ultimatum - 2

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Sara passa à la seconde phase de son plan.

— Avant d’aller plus loin, j’aimerais m’assurer de l’absence d’étrangers parmi nous. Ce que j’ai à dire ne concerne que nous.

C’est au milieu de bien des murmures qu’incidemment, les regards s’orientèrent vers les personnes concernées. Aucune n’accepta l’injonction, cependant, la princesse demeurait inflexible, et eux, cherchant un appui dans le regard des autres, finirent par accepter. Cinq personnes quittèrent les lieux de bien mauvaise grâce, le prélat en tête. Vincent Morea fit un signe de tête à la princesse après avoir refermé la porte derrière eux. Elle continua :

— J’ai pris connaissance du discours inaugural du nouveau dirigeant. J’approuve ses plans dans leur totalité. À moins qu’on ne me démontre qu’il est le monstre honnit de tous, je m’investirai dans leur réalisation.

Des visages ouverts ou sur la défensive s’offrait à elle. Elle ne pouvait espérer mieux.

— C’est ici le second but de ma venue. M’enquérir de votre soutien dans la guerre à venir.

Elle avait prévu que personne ne chercherait à aborder les sujets entretenus avec les émissaires étrangers.

— Je sais la pression que vous subissez et ne vous jugerai pas pour votre indécision. Vous connaissez les plans du prince Hugo. Il est évident qu’il vous demande la même chose que moi : choisir votre camp.

Plusieurs chaises grincèrent. La princesse avait touché du doigt la raison de leur mutisme. Fallait-il parler, biaiser, mentir ? S’ils se déclaraient faussement en faveur du nouveau régime, elle demanderait des gages. S’ils avouaient leurs préférences, le pouvoir gagnerait à les faire disparaître.

Horace Morea choisit la franchise.

— Si nous rejetons la main tendue d’Hugo, il nous écrasera. L’armée d’Andalore défaite, il s’en prendra à nous !

Sara avait pris connaissance des plans du prince guerrier par la bouche d’Owen, lui-même prince d’Idrack, dont elle fut l’invitée. Il s’agissait de réunir une armée puissante, capable de repousser les vainqueurs de la guerre, qu’il s’agisse de Krys ou des Galiens. Une victoire qui lui octroierait, de fait, la domination sur la Terre de Hommes.

— Soyez assurés que le commandeur vaincra les Galiens, puis mettra à genoux le fils de Maximiliano et ceux qui l’auront suivi. Qu’adviendra-t-il alors de vous quand il jugera les vaincus ?

Pour avoir maintes fois soupesé les chances du nouveau dirigeant de remporter la victoire face à l’envahisseur Galien, l’assurance d’une demoiselle aussi bien-née soit-elle ne modifierait en rien leur décision, jugea le duc de Sandre. Un effort pédagogique s’imposait.

— L’armée galienne sera conséquente, nous le savons. Les troupes qui resteront, en cas de victoire, ne pourront remettre le couvert face à une armée au moins aussi imposante que la première.

— C’est ce que vous pensez.

Elle avait répondu immédiatement.

— Écoutez, princesse, insista Antoine Mopin, plusieurs d’entre nous étions présents à Bladel. Nous avons été témoins de la vaillance de cette troupe. Ils sont puissants, ils nous ont amené la victoire, mais cette fois…

— Deux mille ! clama Horace Moréa. Notre armée est aujourd’hui moins nombreuse que lors de la dernière guerre.

— Mais plus forte.

— Et quand bien même ? Comment pourrait-elle affronter deux armées de dix fois leur nombre ?

— Croyez-vous que le commandeur se préparerait à protéger le pays s’il n’était assuré de la victoire ?

Horace Moréa dévisagea la princesse.

— Selon vous ?

— Vous devriez passer du temps avec lui. Vous verriez combien il est confiant. Toute sa troupe est confiante. L’armée s’entraîne sans crainte. Chacun attend ce moment et ne pense qu’à la victoire, un événement qui aboutira à la fin de toute guerre.

Toute guerre, peut-être pas, se dit le duc. Humains et Galiens vaincus, Krys serait toutefois le maître du monde. Si le père de Sara l’entendait depuis le séjour des morts, la reconnaîtrait-il ? Quoi qu’il en soit, avant que sa fille ne fasse irruption dans leurs échanges, tout paraissait si simple. Maintenant…

Se demandant si le vent tournait, le ministre se leva.

— Quand bien même la victoire serait au rendez-vous, pensez-y, vous tous, présents ici : qui attribuera des propriétés à vos fils ? Il faudra faire avec ce que vous avez. De génération en génération, vous prendrez sur vous-mêmes, jusqu’à extinction des feux !

Horace y avait pensé. Auparavant, tout appartenait au roi. Pour remercier ceux qui le servaient, il allouait une partie de ses biens à leurs descendants pour un temps déterminé par leur loyauté. En cas de disgrâce, il reprenait ce qui était à lui. Un moyen de s’assurer la fidélité de ses sujets. À moins de rétablir la royauté, chaque succession leur resterait à charge. Un de leurs privilèges s’évanouissait.

Sara fixa l’importun intensément. Tous anticipèrent le coup porté.

— Voici quelqu’un qui ne saurait changer d’avis et qui ne cessera d’utiliser le mensonge pour arriver à ses fins. Monsieur le ministre, vous avez bien fait de vous lever. Vous êtes, à compter de cet instant, relevé de vos fonctions.

— Que… Qui vous donne ce droit ?

— Ne repassez ni par votre bureau, ni dans vos appartements. La fouille a déjà commencé. Rentrez directement dans votre propriété pour y être interrogé.

James Etherold chercha des yeux la servante de la princesse. Il n’avait pas remarqué son départ. Tout avait été décidé par avance. D’un signe de tête, on l’avait déchu. La fille de roi avait trouvé grâce au sein du nouveau pouvoir et c’est sur lui que cela tombait.

Il ne bougea pas d’un pouce, ne parvenant à accepter la situation.

— Dois-je appeler la troupe ?

Elle se savait toute puissante. Il ne gagnerait rien à résister. Il s’éloigna d’un pas pesant.

— Je connais les autres comploteurs, ajouta-t-elle après son départ, et certains sont dans cette salle. Vous ne craignez rien, chaque changement entraîne son lot de réticence. À mon retour d’Idrack, la troupe de Krys m’a accueillie. Ils auraient pu me rejeter : de connivence avec Hugo, peut-être étais-je là pour les espionner ? Peut-être l’aurais-je fait s’ils m’avaient exclue. En lieu et place, j’ai pu les comprendre et aujourd’hui, j’adhère à leurs idées. Je ferai tout pour les protéger.

Elle marqua une pause.

— Ne pensez pas Krys naïf. La présence de comploteurs ne lui est pas inconnue. Peu d’entre vous ont cherché à le rencontrer. Il vous a laissé le temps de trouver vos marques, d’étudier de nouvelles possibilités. Mais, les troupes galiennes approchent. Jamais il ne pourra supporter d’héberger des ennemis en son sein.

Un silence salvateur s’ensuivit. Calculs, risques, pertes probables, évaluation des forces en présence, nombre de paramètres compliquaient les choix.

— Entre marteau et enclume, on ne prend pas forcément la bonne décision.

La princesse reconnut Lucien Masori, un des comploteurs. Son discours de réconciliation lui avait ouvert la bouche. Elle répondit indirectement à sa réflexion.

— De quelle assurance avez-vous besoin pour miser sur le bon cheval ? Car la problématique se situe à ce niveau. Si vous choisissez le perdant, vos richesses s’envolent.

L’air grave, fatigué, Horace Moréa soupira.

— Vous avez parfaitement résumé la situation.

Mais en prenant le parti d’Hugo, il leur faudrait fuir la colère des anciens esclaves avant que le conflit n’embrase la région tout entière. Et qui sait s’ils récupéreraient les biens abandonnés ?

— Messieurs, je sais ce que vous pensez et vous laisse réfléchir. N’hésitez pas à me contacter si vous désirez joindre le pouvoir.

Elle quitta la salle accompagnée de ses amis.

.oOo.

Un grand silence suivit le départ de la princesse et des jeunes nobles. C’était cela ou une explosion de colère, se dit le duc. En l’absence de cette dernière, il comprit que tous pensaient comme lui.

— Elle a muri, n’est-ce-pas ? s’amusa-t-il.

— Pour sûr, elle mènera un jour son homme par le bout du nez, ajouta Lucien Masori.

— Ne blaguez pas avec ça, ça pourrait être Krys !

Plusieurs ricanèrent dans la salle. L’idée qu’une princesse se lie par mariage à un ancien esclave, signerait la fin de leur monde. Mais déjà, il fallait songer à protéger leurs biens.

— N’oubliez pas que ceux qui prendront le parti du régicide favoriseront celui qui asséchera leurs sources de revenus, songez-y, avança Lucien Masori.

— J’y pensais justement, intervint maître Mopin. Plutôt que de regretter le passé, projetons-nous en avant. Voyez les réformes qu’il tente de mettre en place : des pauvres moins pauvres, plus libres d’agir et d’entreprendre, des voies de communication rapides, profitables au commerce. Réfléchissez à ce que cela peut donner.

— Des pauvres moins pauvres, et alors ?

— Plus le peuple gagne, plus il…

— Je ne sais pas. Plus il mange ?

— Plus il dépense ! Ne voyez-vous toujours pas ?

Devant lui, les regards ternes prirent lentement de la couleur. Seuls ceux qui ne parvenaient à s’extraire du passé hériteraient des inconvénients liés à l’altération du statu quo, pensa le discoureur. Des changements, il y en aurait, et d’importance. Il s’agirait de migrer vers la bonne case pour avancer dans l’échiquier de l’avenir. La donne avait changé ? Tirons la bonne carte avant que quelqu’un ne l’emporte !

— Vous dites qu’en réalité, ledit Krys ne serait pas en train de vider le trésor royal inutilement, il s’agirait d’un investissement à long terme ?

Antoine Mopin avait été conquis par le discours de la princesse. Il savait beaucoup d’entre ses pairs intéressés uniquement par leurs affaires. Leur fibre patriotique ne pouvait se réveiller qu’en fonction du paramètre. Il ajouta :

— Répondons présent pour occuper les postes qui s’ouvriront sous peu. Plus nous serons proches de lui, plus nous lui rendront service, plus il dépendra de nous, plus il nous sera redevable. Vous comprenez ?

— Ne chargeons pas la charrue avant les bœufs, tempéra le duc, il faut d’abord s’assurer des chances de victoire du commandeur.

Toute la question résidait dans ce pari. Opter pour le futur vainqueur sans le connaître.

— Si une petite armée peut vaincre une grande, proposa maître Mopin, demandons à la princesse de nous le prouver. Possède-t-il des armes plus puissantes que celles que nous connaissons ? Est-il capable de se battre à un contre dix ? Qu’il nous le montre. Alors, nous le suivrons.

Plusieurs hochèrent la tête, cette proposition devint la conclusion temporaire du débat. Comme ils s’y attendaient, peu après, le prélat fit son apparition. Les nobles lui révélèrent la position de la princesse et le choix devant lequel ils avaient été placés.

— C’est une excellente nouvelle, réagit l’homme d’église. Convainquez-les de votre total soutien. Face aux Galiens, vous serez irréprochables, vous persuaderez le commandeur de votre loyauté totale. Cependant, au moment d’affronter les terribles armées du prince Hugo, alors que vous vous trouverez dans les rangs du commandeur et qu’il aura appris à vous faire confiance, vous l’assassinerez dans le dos !

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