Mariage princier - 3

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Krys hocha la tête, surpris de s’être laissé prendre. Des rêves, il en avait plein ses armoires. Celui-ci représentait son favori, pas étonnant qu’il lui soit revenu le jour où il apprend son retour.

Elle était là !

Sans doute, à cette heure, se trouvait-elle au palais. Pas question pour autant de faire le premier pas. Il ne brusquerait pas leurs retrouvailles.

— Laissons venir, répondit-il. On ne connait pas son état d’esprit, ni la raison de son retour. Les royaumes passent leur temps à nous faire passer pour des monstres, il est possible qu’elle en soit persuadée. Elle est peut-être ici pour nous espionner, ce qui leur permettrait d’identifier nos points faibles.

— Holà, s’étonna Korynn, la main sur le menton, je n’avais pas pensé à ça.

Korynn avait raconté à toutes les personnes présentes comment la princesse s’était comportée lors de l’entraînement. Elle s’était rendue sur leur terrain favori, un espace recouvert d’une solide pelouse en lisière du bois de l’Ermite. Elle assistait à leurs exercices lorsqu’on fit remarquer à Korynn sa présence. Après les présentations et salutations, la dirigeante des entraînements lui demanda en quoi elle excellait. L’épée, l’arc et le jet de couteau, répondit-elle. Qu’à cela ne tienne, vérifions tout cela ! Le jet de couteau avait impressionné tout le monde, sur cible fixe comme sur mobile. Le tir à l’arc produisit le même effet. L’épée fut remise à plus tard car on lui proposa la lutte. Devant sa retenue, Korynn insista pour l’importance, pour une femme ou pour un homme, d’acquérir cette aptitude, car les armes se perdaient souvent en pleine bataille.

Tous écoutaient avec beaucoup d’attention, pas seulement Krys. Ceux qui avaient assisté aux entraînements surenchérissaient et livraient moult détails supplémentaires.

En conclusion de ce bilan, Korynn avait demandé quelle attitude adopter avec elle, s’il fallait chercher à l’intégrer ou non. Krys avait répondu par l’affirmative à tout, à condition de rester vigilant. Les forces et faiblesses du royaume ne devaient pas lui être révélées.

Après cela, la discussion continua dans la salle des chevaliers pendant que d’autres migraient vers le cabaret attenant. Un jeune homme surgit, qui annonça le retour de Thomas. On l’attendit en discutant autour d’une timbale. Quand il arriva, tout le monde se tut. D’aspect et d’allure, tous virent qu’il avait de grandes nouvelles à annoncer.

— Cussey a été attaqué !

Le silence se fit d’or.

— Qui ? demanda Krys, sachant que chacun pensait aux Galiens.

— Des pirates. Trois galères, dont une de belle dimension.

Thomas attendait les questions, cherchant à ménager ses effets.

— Ont-ils emmené des enfants ?

— Ils en ont rempli leurs navires, sans oublier le butin. Mais les villageois se sont rebellés et ont massacré les pirates.

L’étonnement se fraya un chemin depuis toutes bouches ouvertes au sein de cette grande pièce bondée. Assailli de questions, l’ancien gladiateur, la langue desséchée, invita chacun à le suivre. Tous migrèrent dans la pièce d’à côté, prenant grand soin de laisser une place aux cadres principaux. Krys, Korynn, Hector, Markus et Noah s’attablèrent aux côtés de leur ami.

Une pleine coupe de lait frais de brebis dans la main, une boisson qu’il adorait et blanchirait bientôt ses moustaches, le barbu pris son temps, tout son temps, se délectant autant de l’impatience que du breuvage.

— Quand je suis arrivé, tout était terminé. Les incendies avaient été maîtrisés, les blessés raccommodés, le butin redistribué. Seule restait la potence, elle avait supporté le poids de plusieurs pirates. On m’a accueilli, ma troupe et moi avec la plus grande indifférence. Les forces de l’ordre n’étaient pas présentes au moment du pillage, à quoi servaient-elle ? Non, en réalité, j’ai rencontré deux êtres : la souffrance et la fierté. Et la dernière était sans doute la plus forte.

— Mais combien étaient ces villageois ? demanda Hector. Les pirates sont apparus si peu nombreux pour se faire chasser de la sorte ?

— Pas du tout. Ils ont perdu les leurs petit à petit, sans s’en rendre compte.

— Comment ?

— Une étrangère !

— Une étrangère ?

Tous avaient répété ce mot. Le mystère grandissait, le plaisir de Thomas augmentait.

— Chacun avait sa version. Pour les uns, c’était une aventurière, pour d’autres un membre d’un clan d’assassins, pour les jeunes garçons, une hydre, pour une autre, une furie remplie de haine. Aucun ne trouvait accord pour la nommer. Mais tous, ou presque, l’admiraient.

Il narra le moment où, pour faire passer ses amis, elle s’était tenue debout au milieu de la Grand’ Rue, entourés de pirates à quinze pas d’elle. Elle avait tiré dans toutes les directions. Ils s’étaient cachés de tous côtés là où ils pouvaient, attendant les instructions du capitaine.

Après s’être équipés d’arcs et de boucliers, les flibustiers reprirent du poil de la bête et attaquèrent. Quand tout semblait perdu, un fort parti de cavaliers les secourut. Des habitants des villages voisins. Sur leur lancée, ils rattrapèrent les pirates d’une première galère et délivrèrent les prisonniers. Mais les autres se trouvaient déjà au milieu de la rivière.

— Et ensuite ? firent certains alors que Thomas mouillait sa barbe.

— Ensuite, l’aventurière avait besoin de bras. Les villageois et les renforts s’étaient regroupés sur la place du marché. Elle s’est hissée sur des caisses et a appelé à la révolte. Elle leur a dit : Lançons-leur notre cri de guerre, qu’ils apprennent ce qui les attend. Répétez après moi ! Et elle leur fit répéter : « Mort aux pirates » plusieurs fois, jusqu’à ce que tous participent, jusqu’à ce qu’on les entende par-delà les collines. Et ils l’ont suivie.

Un parti longea les berges à pied et un autre, à cheval, déboula sur les sentiers. Une confrérie de bucherons, prévenue, lâcha ses troncs au beau milieu d’un resserrement du fleuve suivi d’un coude. Les pirates eurent maille tout en même temps avec les éléments, les buches et les flèches.

— Et ? demanda Korynn.

— C’est tout. Ça s’est terminé comme ça. Ils ont ramené les survivants pour les pendre. L’aventurière est restée un moment, puis les a quittés.

— Ont-ils su d’où elle venait ?

— D’Idrack.

— Une aventurière aux cheveux d’or, assura Krys.

— Effectivement, comment tu as deviné ? s’étonna Thomas.

— La princesse ? siffla Korynn, les mains sur le visage d’étonnement.

Un murmure remplit la taverne. Tous ceux qui avaient assisté à son entraînement comprirent pourquoi et comment une jeune fille qu’ils avaient si peu vu les battait dans leurs domaines de prédilection. Lorsque Krys remarqua les regards qui se tournaient vers lui, il se leva.

— Écoutez tous ! La princesse est cette jeune personne blessée que nous avons trouvée étendue à terre au fort de Bladel à notre arrivée. Un Morcan venait de la jeter à terre alors qu’elle avait eu le courage de l’affronter. Elle était la seule femme à avoir rejoint l’armée. Son père l’ignorait car, pour les gens d’ici, les femmes demeurent à la maison. Nous l’avons soignée, sans savoir qu’elle était une combattante hors pair. Et, Thomas vient de nous l’apprendre, elle est aussi meneuse d’hommes. Accueillons-là et entraînons-là. Elle se joindra peut-être à nous lors de l’affrontement à venir. Peut-être, grâce à sa présence, un plus grand nombre des citoyens de ce pays se joindront à nous plutôt que de fuir. Nous ne pouvons nous permettre de perdre des atouts.

Un silence suivit, chacun tentant d’assimiler ce discours.

— Trop peu encore acceptent de s’entraîner, fit remarquer Hector.

— Et très peu de femmes.

Krys chercha d’où provenait la voix. Il reconnut Servane, dont la mission, avec Noah et bien d’autres, consistait à entraîner les volontaires.

— Alors profitons-en ! ajouta-t-il. Portons à la connaissance de tous citoyens ce qui s’est produit et la raison de cette victoire. Une femme en était à l’origine, elle savait se battre, elle ne ratait aucune cible. Cela contribuera à faire bouger hommes et femmes.

Des applaudissements s’élevèrent.

— Les hommes surtout, ricana Thomas, ils auront trop peur de se faire battre par leurs femmes !

Des rires fusèrent. Krys balaya l’assistance du regard. La confiance se lisait sur les visages. Un soir comme celui-ci, un membre de l’équipe responsable des entrainements avait demandé combien d’hommes étaient nécessaires pour affronter les Galiens. Plutôt que d’avancer un nombre de combattants, Krys avait répondu : « À un contre cinq, on a des chances de s’en sortir sans trop de casse. » La bataille de Bladel avait démontré la validité du paramètre. Pour l’heure, chacun se préparait avec optimisme.

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