[16] l’évasion

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— Le maître sera content de te retrouver, petit gnome ! Et quand le maître est content, Hector est content aussi… mais dépêche-toi ! Il ne faut pas le faire attendre.

Hector marchait à grandes enjambées, à l’échelle d’une goule… c’est à dire d’un pas traînant. Mais c’était déjà bien trop rapide pour son prisonnier qui tentait vainement d’échapper à son contrôle.

Les jambes de Fradj ne lui obéissaient plus, elles étaient sous le contrôle de la goule de Nécros, et le gnome n’avait finalement échappé aux orques que pour tomber entre les mains d’un mort-vivant.

Mais si ses jambes et les bras ne lui obéissaient plus, la gorge du gnome était encore sous son contrôle. Fradj se mit à éternuer bruyamment pour s’assurer qu’il était bien libre de ses paroles. Le pouvoir des bardes réside dans leur voix, et c’était là sa dernière chance.

— Oh oui, il fait froid, ricana Hector. Les nuits sont fraîches en Bretagne du Nord. mais sois tranquille, petit gnome. Quand mon maître se sera occupé de toi, tu n’auras plus froid… Tu n’auras plus jamais froid.

Fradj se mit à trembler, mais pas de froid… il comprenait trop bien le sens de ses paroles. Sa seule chance de salut résidait sans sa magie vocale, et il n’avait droit qu’à une seule tentative.

Dans cette nuit glaciale et sombre

ou j’aimerais être dans un igloo

contre ce monstre d’outre tombes

J’en appelle au grand méchant loup

— SILENCE ! Ordonna Hector.

Et aussitôt, la strophe suivant fut ravalée dans la gorge du gnome. Une sourde terreur s’empara de lui. C’était sa dernière chance, et il avait échoué.

— peur… peur… haleta-t-il dans un souffle rauque.

— Tu pourras jacasser tant que tu voudras quand mon maître t’aura transformé en goule. Peut-être nous sera-tu encore utile…

Hector fut interrompu par un grognement animal.

— peur… répéta le gnome.²

nouveau grognement.

— J’ai dit SILENCE ! reprit Hector.

Mais cette fois, l’effet sur Fradj fut tout différent.

Sous cette lune qui brille dans la nuit

Le destin si clair devient flou

La peur change de camp, quel ennui

mais qui a peur du grand méchant loup ?

Le sorcier mort-vivant leva la main et pointa un index menaçant vers le barde, mais il n’eut guère le temps de faire plus car un énorme loup lui sauta à la gorge. Les deux ennemis roulèrent au sol. Fradj fit un bond de côté pour éviter d’être entraîné dans la mêlée. Le loup garou était un redoutable combattant, mais Hector était doté d’une résistance peu commune, et les morsures du loup garou ne semblaient guère l’affaiblir.

Des éclairs verdâtres d’énergie négative fendirent l’air, laissant après leur passage une déplaisante odeur d’électricité statique et de chair pourrie. Le loup hurlait de douleur. Fradj sentit qu’il n’aurait pas le dessus… et pire encore, ses chants bardiques, si redoutables contre les orques, n’avaient aucun effet sur ces créatures magiques.

Il se résolut donc à faire la seule chose qu’il s’était juré de ne jamais faire, même en situation de péril mortel… prendre une arme et se battre, comme un vulgaire homme des cavernes. Fradj n’était pas à proprement parler un lâche, mais il connaissait ses limites et il savait trop bien que la vie de ceux qui comptaient plus sur leurs talents d’escrimeurs que sur leur jugeote était généralement courte, et pas spécialement joyeuse. Ramassant un morceau de bois, il se dirigea d’un pas hésitant vers les deux combattants, et c’est seulement pour lui même qu’il se mit à fredonner :

Je suis loin d’être un paladin

mais pas question que j’me débine

je suis armé d’un gros gourdin

c’est pour ta gueule, vermine

L’air était le même que celui qu’il avait chanté lors du premier combat contre les orques, mais le ton épique et entraînant des premiers couplets avait disparu au profit d’une sinistre mélopée qui donnait l’impression d’un chant funèbre.

Joignant le geste à la parole, ou plus exactement à la chanson, il visa soigneusement le crâne d’Hector et assena un vigoureux coup de gourdin. Le coup était magistral, surtout pour un gnome, il y avait mis toute son énergie… Malheureusement, les deux adversaires changeant constamment de position, il atteignit le loup et l’assomma pour le compte.

— Bfavo petit gnome, fit Hector en se redressant. Mon maître sera ravi d’avoir deux prises au lieu d’une, toi qui ne vaut pas grand-chose et ce satané garou qui nous a causé tant de problème.

Fradj brandit sa matraque dans une posture qu’il voulait menaçante, mais maintenant qu’il s’était redressé et qu’il n’avait pas d’autre adversaire, Hector n’eut aucun mal à le désarmer.

— Attendez, attendez, implora Fradj. Ça ne peut pas se terminer comme ça… on peut négocier.

— Vous n’avez rien à négocier, répliqua Hector de sa voix sinistre.

— Votre lacet est défait.

— Je suis pieds nus

— Mais regardez derrière-vous ! Il y a un chevalier avec un grosse épée.

— Ça suffit petit gnome, suis moi sans résister, sinon…

— IONTACH VARSIKUR !

Ce cri fut le dernier son que l’esprit torturé de la goule fut capable de percevoir. Eadrom, qui avait suivi l’assassin depuis le château, le décapita d’un seul coup d’épée.

Antonius le suivait de quelques pas.

— Et bien nous sommes arrivé à temps, s’exclama Eadrom en essuyant son épée sur la partie la moins sale du suaire d’Hector. Mais s’il s’était retourné…

— Oh, aucune chance, répliqua Fradj. Personne ne me croit quand je signale un danger, je n’ai jamais compris pourquoi mais… oh… regardez le loup !

Tout trois se tounèrent vers le loup garou qui fut pris de violentes convulsions, il poussa une plainte rauque et s’effondra. Puis, petit à petit, ses membres s’allongèrent alors que ses poils disparurent. Son apparence changea totalement et bientôt, Fizran l’assassin, toujours inconscient, avait repris la forme qui était la sienne.

— Vous croyez qu’il est…

Eadrom n’osa pas terminer sa phrase. Fradj déglutit. Il était en partie responsable de son état.

— Il n’est pas mort, annonça Antonius. Regardez ! Ses blessures se referment. Ça signifie que ses pouvoirs de régénération fonctionnent encore.

— régénération ? s’étonna Eadrom.

— Oui, reprit le magicien. Les lycantropes guérissent très rapidement des blessures qui ne sont pas infligées par des armes magiques ou en argent, les seules capables de le blesser sérieusement ou de le tuer. Ce pouvoir perdure encore quelques minutes après qu’il ait reprit forme humaine, mais il s’interrompt immédiatement s’il meurt.

S’approchant de l’assassin, il palpa ses blessures.

— Ici, il y avait un belle estafilade, mais sa taille a diminué de moitié, et elle se réduit encore…

L’assassin ouvrit les yeux et saisit la main d’Antonius.

— Oui je guéris très vite ! Clama-t-il. Et ce n’est pas demain la veille que je passerai sur la table d’autopsie d’un nécromancien, même aussi sympathique que vous.

— Vous êtes vivant ! Fit Fradj d’un ton triomphant ! Et bien je suis sacrément content… heu… quand vous êtes humain vous oubliez tout ce qui s’est passé sous forme de loup, n’est ce pas ?

— J’ai des bribes de souvenir, répondit Fizran. Je me souviens qu’il y avait un autre loup et que j’ai du montrer les crocs pour l’éloigner d’un groupe d’humains, puis j’ai repéré une créature à l’odeur infecte… j’ai été tenté de fuir, mais j’ai eu le pressentiment que c’était important.

— Ah oui, reprit Fradj, c’était sacrément important… et vos vêtements ?

— Je les ai enterré près du château. Il est vrai que je ne suis pas très présentable.

Il essaya de se relever, mais retomba aussitôt.

— impossible de plier la jambe gauche, grogna-t-il.

— C’est à cause de la griffe des goules, expliqua Antonius. Hecor vous a griffé avec son toucher paralysant et il faudra plusieurs heures avant que les effets ne prennent fin.

— Mais il n’est pas question d’attendre ! Messire Fizran, nous vous porterons jusqu’au château.

— Heu… nous ? Demanda Fradj.

— Je le porterai, précisa Eadrom.

Et sitôt dit, le chevalier chargea l’assassin sur son dos, et il prirent la route du retour.

— J’ai cru vous entendre glousser, messire l’assassin, fit Eadrom. Mais je présume que c’est mon ouïe qui me joue des tours.

— Pas le moins du monde, messire chevalier, répondit Fizran. J’étais bel et bien en train de glousser, et il s’en est fallu de peu que je me mette à rire.

— Et puis-je connaître la raison de cette hilarité contenue ?

— Je me souviens seulement de l’époque, pas si lointaine, ou vous et vos compagnons galopiez à bride abattue pour essayer vainement de me semer… qui aurait cru à ce moment là que vous me porteriez sur votre dos ?

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