[14] L’esprit du loup

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Le loup était sur une piste… c’était l’odeur caractéristique d’un humain, tendre et goûteux comme il n’avait pas souvent l’occasion d’en croquer. Mais un autre odeur le retenait… celle d’un autre loup.

Un « grand » loup… grand par la puissance.

Le grand loup était entre l’humain et le petit loup… impossible d’atteindre sa proie sans le croiser. Lorsque les deux prédateurs se trouvèrent face à face, un dialogue s’établit entre eux, sans qu’aucune parole ne soit échangée.

Les loups communiquaient par la pensée.

— Viens avec moi, petit frère, proposa le grand loup. Il y a de nombreuses proies peau vertes de ce côté, nous chasserons côte à côte.

— Il y a un humain de l’autre côté, tendre à souhaits…

— NON ! Nous chasserons les proies à peau verte.

Grand loup accompagna cette pensée d’un sourd grondement. Petit loup n’osa insister…

Les deux loups se dirigèrent vers le troupeau de peaux vertes. Plusieurs groupes d’individus se tenaient à l’écart de la harde pour surveiller l’arrivée des prédateurs, mais Grand Loup était passé maître dans l’art d’échapper à leur vigilance. Petit loup n’eut qu’à le suivre pour les surprendre, et le festin commença. Il mordit une gorge, arracha les chairs, sentit le corps tomber et se jeta sur une nouvelle proie. Pendant un court instant, il eut pitié de ces petites créatures, comme s’il avait appartenu à leur espèce dans une vie antérieure, mais la faim fut la plus forte et le carnage reprit.

Dans la fureur du combat, il ne remarqua même pas le départ de Grand loup.

* * *

Le dernier souvenir de Fradj était un sangliér monté par un orque qui chargeait sans sa direction avant qu’il ne perde l’équilibre. Ensuite, plus rien avant de se réveiller dans une cage.

C’était une cage en métal, solide mais rouillée, que les orques avaient sans doute récupéré chez un esclavagiste particulièrement retors : elle était conçue pour un occupant humain, mais sa taille ne permettait ni de se tenir debout, ni de s’allonger. Grâce à sa petite taille, Fradj pouvait faire l’un comme l’autre, mais il n’était pas assez mince pour passer entre les barreaux.

Un guerrier préposé à la garde le surveillait du coin de l’oeil en jouant négligemment avec une grosse clé en métal.

Les orques faisaient rarement des prisonniers. S’il était encore en vie, c’était pour une raison précise : soit un chef de horde mélomane avait été séduit par son talent, soit il était gardé pour une torture ultérieure. Il était également possible que les orques le conserveraient comme otage, bien qu’il n’osait imaginer quelle pourrait être la contrepartie.

Ses réflexions furent interrompues par une agitation soudaine, des cris et une panique générale. Il comprit immédiatement qu’une alerte venait d’être lancée et il reporta son attention sur les moyens de sortir de cette cage.

Comme les autres guerriers, son gardien dégaina son arme et se rendit sur les lieux du tumulte. Il avait lassé la clé sur une souche d’arbre à côté du feu, mais le gnome était trop loin pour l’atteindre… à moins de se saisir d’un bâton assez long et d’entreprendre une manœuvre assez compliqué de « pêche à la clé ».

C’est à ce moment là qu’il aperçut « la main ».

C’était une curieuse main, légèrement translucide, qui flottait dans l’air. Si elle appartenait à un corps, elle le cachait bien car elle en était manifestement séparée et voletait lentement vers la cage de Fradj.

Comme elle ne semblait pas appartenir à un orque, le gnome la considéra comme une alliée.

— Va me chercher la clé, souffla-t-il. Là bas, sur la souche !

La main modifia aussitôt sa trajectoire et ramassa la clé – à défaut de bras, elle avait des oreilles –, Fradj s’en empara dès qu’elle fut à portée et se libéra.

Sa mission accomplie, la main disparut.

Grâce à sa petite taille et à un talent naturel pour échapper aux regards des plus grands, Fradj réussit à quitter le camp, en choisissant la direction opposée aux cris de ralliement qu’il entendait encore. Si c’était une diversion, il était aisé de deviner que ses libérateurs devaient être de ce côté.

Puis il entendit une voix s’adressant à lui dans sa propre langue…

Dirige-toi vers le grand chariot

Cette voix n’était pas humaine, c’était une sorte de murmure portée par le vent. Même sans être un expert en magie, le gnome s’y connaissait suffisamment pour reconnaître un « vent des murmures » qui permettait à un magicien d’envoyer un message sur une longue distance vers un destinataire qu’il ne pouvait voir.

Les orques devaient l’entendre eux aussi, mais il y avait peu de chance qu’un d’eux la comprenne.

Mais « le chariot », qu’est ce que ça pouvait être ?

Puis il leva les yeux, la réponse était dans le ciel, juste à côté de la lune.

Quatre étoiles formaient un trapèze que deux autres étoiles tiraient vers le nord. Les bretons appelaient ce groupe d’étoiles : « le char de Brennus », tiré par deux créatures fantastiques qui étaient, selon les régions, deux dragons ou deux centaures. Pour les nains, c’était simplement « le chariot de mithril », rempli de métal précieux et poussé vers le sud par deux nains.

Fradj quitta le camp des orques et suivit la direction indiqué, le ciel fut bientôt masqué par la canopée mais, estimant la direction à l’instinct, le gnome poursuivit sa route. Les gnomes partageaient avec les elfes et les nains une vision nocturne qui leur permettait de voir dans une obscurité presque totale et Fradj aperçut bien vite une silhouette humaine qui semblait l’attendre.

La créature en question portait une étrange robe blanche que le gnome identifia immédiatement comme une robe de mage ou de prêtre.

— Qui que vous soyez, dit-il en s’avançant vers le personnage, je vous remercie d’être venu à mon aide. Mes compagnons sauront vous récompenser… hem… vous comprenez le breton ?

— Oui, petit-être, je comprends le breton, lui répondit une voix rauque. Approche.

Fradj fit quelques pas en avant. Cette voix lui semblait étrange… en fait, le personnage en lui même était bien mystérieux et son instinct lui commandait de s’en éloigner. L’homme en blanc vint à sa rencontre, et Fradj comprit tout à coup l’étendue de sa bévue.

Il voulut courir, s’éloigner le plus rapidement possible de ce personnage, mais ses jambes refusaient de lui obéir. L’homme en blanc le regardait fixement en murmurant des incantations et le gnome était maintenant sans défense alors qu’il venait de comprendre à qui il avait affaire.

Le vêtement blanc qui recouvrait ce personnage n’était pas une robe, c’était un suaire. Quant au personnage qui le portait, il n’appartenait plus au monde des vivants.

— Le maître sera content, gloussa le mort-vivant.

Hector venait de mettre la main sur une des cible de Nécros et le spectreliche serait effectivement fier de lui.

* * *

Antonius était incapable de trouver le sommeil. Malgré l’alliance avec les pictes, la situation ne s’était pas vraiment améliorée. Les orques conservaient une large supériorité numérique. Il n’avait aucune confiance en ce « roi calédonien », pas plus qu’en Fizran qui s’éclipsait presque toutes les nuits.

Quel était encore le nom de ce roi, tellement froussard qu’il avait besoin d’une ceinture magique pour aller au combat ? Har-Kull, ou quelque chose du genre…

Un nom qui ressemblait furieusement à « Hercule », le héros de la chanson préférée de Fradj.

Et pour couronner le tout, le gnome avait disparu.

Le cliquetis d’une porte en train de se refermer tira le magicien de ses réflexions. Une fois de plus, Fizran était en train de filer en douce, et on le reverrai le lendemain, probablement couvert de sang après une rencontre avec des orques. C’était assez curieux, car en temps normal l’assassin était un escrimeur remarquable, capable d’expédier plusieurs adversaire sans faire la moindre tache sur sa chemise. Il y avait là un mystère à résoudre, et c’était le moment idéal.

Il tira le bras d’Eadrom et le secoua.

— Seigneur Eadrom, murmura-t-il. Fizran vient de filer.

— Hein ? Et que veux tu qu’on y fasse grogna le chevalier en s’éveillant. Il nous cache pas mal de choses depuis le début, et je ne vois pas comment on pourrait tirer les choses au clair.

— Il suffit de le suivre, suggéra Antonius.

— Tu veux que j’espionne, sans qu’il s’en doute, le meilleur assassin du continent ? Merci de ta confiance mais tu surestimes mes capacités.

— Je pensais plutôt que nous pourrions le suivre à deux… Je ne serais pas étonné qu’il soit parti pour essayer de libérer Fradj tout seul.

Eadrom se redressa. Ce magicien avait décidément bien changé depuis l’époque ou il se cachait derrière son ombre à l’idée du moindre affrontement. Un chevalier de l’épée ne pouvait pas décemment faire moins que le magicien que chacun s’accordait à décrire comme « le plus lâche de Brocéliande ».

— D’accord, répondit le chevalier. Je ne sais pas ou tout ça va nous mener, mais je n’ai jamais abandonné un compagnon, et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer.

En quelques instants, ils furent prêts et découvrirent assez rapidement le passage dérobé que Fizran venait d’emprunter. Ils traversèrent un souterrain qui déboucha dans la forêt. La lune encore ronde leur permettait de distinguer les arbres et les chemins, mais ils n’auraient jamais pu retrouver les traces de l’assassin sans le sortilège de vision nocturne d’Antonius.

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