L’auberge du chêne des pendus

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Voici l’histoire d’un terrible assassin

qu’était connu pour être vachement redoutable

Il fut chargé de tuer un magicien

qu’était connu comme le dernier des minables

aaaaa-vec ses copains, il en avait beaucu

les voilà sur les ch’mins, faut une chance de cocu

pour changer son destin, et sauver son-on cul

— Mon cher Fradj, je trouve que ce couplet n’est pas très gracieux pour le mage Antonius, surtout que c’est grâce à lui que tu as finalement été admis au Collège des Bardes de Brocéliande. Je me demande même si c’est une bonne chose…

— C’est grâce à mon talent que j’ai été admis au Collège des Bardes ! Antonius n’a été que le déclencheur d’un événement de toute façon inévitable.

— Mouais…

L’auberge du chêne des pendus, ainsi nommée en raison de sa proximité avec le chêne du même nom, n’avait qu’une seule table dans la salle commune, et c’était plus que suffisant. Elle était occupée par un chevalier breton d’imposante carrure et un barde gnome pratiquant son activité favorite : faire des vocalises en accordant son instrument.

— Mais même en mettant de côté ce vers désobligeant envers ton bienfaiteur, reprit le chevalier, et en faisant abstraction des rimes quelques peu discutable…

---Oh, t’es vraiment vieux jeu !

— …je m’interroge tout de même sur la quatrième strophe avec « beaucu » je présume que c’est pour la rime mais ça me semble un peu facile,

— Tu n’y connais rien du tout, coupa le gnome. Les très grand artistes peuvent se permettre de petites distorsions linguistiques pour parfaire une œuvre qui est déjà parfaite… enfin, presque parfaite.

— Les très grands artistes ? Hem… Je ne pense pas qu’on puisse faire un cylindre en remplaçant « beaucoup » par « beaucu ».

Le « cylindre » était un étui de cuir dans lequel les bardes rangeaient les partitions et les paroles de leurs chansons. L’expression « faire un cylindre » indiquait qu’un barde avait composé une chanson exceptionnelle que les autres bardes recopiaient dans leur propre répertoire.

— C’est exactement ce que je disais, tu n’y connais rien.

L’arrivée de l’aubergiste et de son plateau chargé de deux assiettes fumantes mit fin au débat.

— Tourte bretonne aux champignons et fromage pour messire Eadrom, vous m’en direz des nouvelles ; rôti de marcassin et fruits de saison pour messire Fradj… Je vous prépare deux paillasses ?

— Ce ne sera pas nécessaire, répondit le chevalier. Il nous reste encore quelques heures de soleil pour arriver à Brocéliande avant la nuit.

— De toute façon, j’ai horreur de dormir sur une paillasse, s’exclama Fradj d’un ton cynique. La dernière fois que ça m’est arrivé, j’ai eu des démangeaisons dans les jambes pendant plusieurs jours… tiens ! Je me demande si ce n’était pas ici.

L’aubergiste ne jugea pas utile d’insister et s’éloigna en grognant.

— C’est vrai, quoi ! poursuivit le gnome. Nos ancêtres à Castelforge ont du dormir sur des lits de paille pendant des siècles quand ils étaient les esclaves des Solariens et nous avons finalement acquis notre liberté. Ce n’est pas pour dormir sur des paillasses pleines de vermines en nous mettant au service des Bretons.

— Tu exagères Fradj ! La plupart des auberges entretiennent très correctement leurs chambres, et je te rappelle que c’est grâce au courage chevaliers bretons, dont mes ancêtres, que vous devez votre liberté.

— Je le reconnais, mais j’y pense… c’était encore à l’époque ou tes ancêtres étaient encore de puissants seigneurs, non ? Ils n’y ont peut-être pas participé directement, mais ils ont sans doute envoyé des dizaines de chevaliers… que dis-je ? Certainement des centaines… il faut absolument que je compose une ballade sur le sujet.

— Quand a été libérée Castelforge ? À l’époque du Prince Galador ou un peu avant ?

— Un peu après, corrigea le gnome.

— Dans ce cas, ma famille était déjà ruinée et si un de mes ancêtres a participé, c’était le fils ou le petit fils de Guillaume Longue-tache, un chevalier sans terre combattant sous la bannière d’une des grandes familles du nord… les Montdragon ou les Galmor. Notre domaine familial n’a pas duré bien longtemps.

— Tu en es sûr ?

— Tu devrais manger pendant que c’est encore chaud, répondit Eadrom, j’aimerais qu’on arrive à Brocéliande avant la nuit… mais oui j’en suis sûr.

Sur ces mots, il ouvrit sa besace et en sortit un ouvrage relié en cuir.

— Guillaume Longue-tache avait cinq chevaliers à son service, il les a employé pour protéger sa baronnie de l’appétit de ses voisins et contre les maraudeurs orques pendant une vingtaine d’années, il a eu pour fils Hugon le jeune qui fut contraint de fuir la baronnie pour mettre sa famille à l’abri d’une horde d’orques particulièrement redoutable. Ce faisant, il perdit ses terres et ni lui, ni ses deux fils Caladus et Ganides ne purent les récupérer. Ils entrèrent au service des Comtes de Montdragon. Caladus se distingua ensuite lors de la guerre civile contre les fils de Mordred et le Prince Carianis lui fit don du manoir, mais le reste du domaine avait été offert à d’autres chevaliers méritants.

— Triste histoire… tu conserves toujours ce bouquin ? Il y a toute l’histoire de Bretagne ?

— Uniquement ce qui concerne mes ancêtres direct, Chaque chevalier Iontach en conserve un exemplaire pour se souvenir que rien n’est jamais acquis… C’est une sorte de Talisman. Bon, nous avons suffisamment traîné ! Termine ton repas, je vais payer l’aubergiste et nous repartons.

* * * * *

Le calme était revenu dans la salle commune, l’aubergiste nettoyait consciencieusement l’unique table de son modeste établissement.

— Quelle journée, je vous jure, maugréa-t-il. D’abord ce messager royal qui m’annonce tout naturellement que les prochains courriers passeront par la route de l’Ouest, jugée plus sûre, puis cette tempête avec un arbre qui tombe sur mon écurie, il me faudra des semaines pour réparer les dégâts, et ensuite ce gnome et ses commentaires… je devrais peut-être changer de métier.

Un violent craquement se fit entendre. Encore un arbre arraché par le vent ? L’orage était pourtant terminé… un courant d’air froid dans la nuque informa l’aubergiste que la porte était ouverte, Il se retourna.

La porte n’était pas ouverte, elle était réduite en morceau, et une créature en métal, haute de deux mètres, lui faisait face.

— Où est le gardien de Chronos ? demanda la créature d’une voix mécanique.

— Le quoi ?

— Le gardien de Chronos ! Un redoutable combattant ! Il porte la marque du dragon.

Tout en parlant, la créature avança, saisit et le souleva de dix centimètres en le secouant.

— Je ne sais pas, suffoqua l’aubergiste, je vous jure que je n’en sais rien… attendez ! Il y avait un chevalier ici, il y avait un dragon sur son bouclier…

— C’est ça ! Un chevalier ! Il porte la marque du dragon ! Où est-il parti ?

— Brocéliande… ils vont à Brocéliande…

— Je vais à Brocéliande ! et toi ! tu ne parleras à personne !

— Oh non je vous jure… à personne !

Les vertèbres de l’aubergiste craquèrent et son cadavre tomba sur le soL

L’être de métal se dirigea vers la sortie,

— Ce n’était pas une requête !

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