Sur le chemin de l'oubli

2 minutes de lecture

Saber, il s’appelait Saber et malgré la certitude qu’il s’agissait bien de son nom, il avait encore – quand il le prononçait – cette saveur particulière qu'ont les mots étrangers. Honteux, il se mordit les lèvres. Comment cela avait-il pu lui arriver si vite ? N’était-il pas le Porteur de la troupe ? N’avait-il pas survécu pour se souvenir ? Certes, il avait fait le serment de renoncer à tout et il savait parfaitement qu’il devrait se défaire de son nom au cours de se voyage, mais il aurait aimer qu’il y survécût. Cela était un désir bien naïf aux regards des enjeux. Il soupira longuement. Perché sur un rocher plat, il méditait sur ce qu’il venait de se passer : les choses étaient claires en son esprit et son erreur cuisante.

Quand il se réveilla ce matin là, au deuxième jour de leur voyage, il avait été incapable de se rappeler son nom. Sans panique aucune, il avait éprouvé un à un les stratagèmes d’évocation, alors que ses compagnons – saisis pas la crainte de le perdre – ne parvenaient plus à se mouvoir. Les yeux clos, il marmonna toutes les lettres qu’il connaissait : parmi elles, l’une était son initiale. Il répéta plusieurs fois ce mantra, comme une prière désespérée, puis, lasse de s’assécher la gorge, il fini par renoncer. Il s’efforça de fixer ses compagnons immobiles : l’un d’eux savait ce qu’il cherchait, il avait même la réponse, mais lequel était-ce ? Harga ? Non, elle n’avait de la mémoire que pour les savoirs belliqueux et elle en usait assez bien, il était vrai, quand ils étaient nécessaires. Non, c’était Sénder, qui d’autre que lui pouvait se souvenir le mieux des choses de valeur ? Il savait son nom et il brûlait de le lui demander. Il n’en fît rien hélas. Contre lui même, l’amnésique ne suivi pas la première règle de survie, la plus élémentaire : observe et agis. Au lieu de cela, il préféra se plonger au plus profond de sa mémoire, cherchant en ces abysses des épaves de son enfance. Quelque part en ces salles antiques, un flambeau brûlait, perçant les ténèbres de l’oubli. Des arabesques ardentes y dansaient, frêles mais vivaces, traçant les lettres d’un mot, du mot ! C’était son nom, il en était certain. Il pouvait presque le lire, mais plus s’y essayait et plus les formes se floutaient. Il insista pourtant – forçat du savoir – s’éreintant de plus en plus, avant de se perdre totalement. Il se sentait partir, s’abandonnant de plus en plus aux abîmes – après tout, tout s’oublie. Il était bien malgré tout. Apaisé, il serait bien resté là, à ne plus voir, à ne plus sentir, mais ses compagnons se rappelèrent leur devoir. Un cri perça les ombres – éclair suivi de son concert tonitruant – lançant une bouée qu’il saisit presque malgré lui : Saber !

Il ouvrit les yeux, toujours perché sur son roc. Les autres l’attendaient pour poursuivre le voyage. Ils ne pouvaient guère partir sans lui : ce serait comme puiser de l’eau avec une passoire. Il se leva donc, se répétant, frénétique, ce qui ne devait pas oublier pour le moment : il s'appelait Saber. Il devait s'en souvenir s’il voulait survivre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Dahu Hypnotique ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0