13 - Au chaud (Part. 2)

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Cenelle soupira.

— Des capes noires.
— Vous m'expliquez ?

Elle se laissa tomber dans le foin et sembla chercher ses mots.

— Il s'agit d'une organisation secrète. Tellement secrète que peu de gens croient en son existence.
— Eh bien ma gorge n'est pas d'accord avec eux ! Il se massa le cou d'un air entendu.

Elle ne sourit pas cette fois.

— On dit qu'ils traquent les chasseurs de démons.
— Ils vous avaient déjà attaquée ?

Elle fit non de la tête.

— Ont dit même que ce sont eux qui les invoquent. Qu'ils sont les ennemis de la Main Blanche.

Elle le regarda droit dans les yeux.

— C'est pourquoi je me demande... Si c'est après moi ou après vous qu'ils en avaient ce soir.

Il baissa les yeux sur sa ceinture de bracelets qui gisait à côté de ses bottes.

— Vous pensez que je fais partie de la Main ?
— C'est leur poinçon qui marque ces bracelets.
— Mais je ne porte pas de cape blanche, je ne...
— Portez-vous un pendentif ? Un écusson ? Un tatouage ? Il voulut répondre que non mais réalisa qu'il n'en savait rien. Il disparut derrière le tas de foin, et après s'être inspecté des pieds à la tête, répondit par la négative avec un soulagement qui le surprit. Pourquoi était-il si heureux ne n'avoir rien trouvé qui le reliait à eux ? Cela aurait au moins eu le mérite d'être une piste, une ancre à laquelle raccrocher le fil de ses souvenirs. Il aurait eu un foyer où retourner. Elle ne les aime pas lui répondit une voix dans sa tête. Je ne veux pas qu'elle me déteste comme elle les hait.

— Seuls les prêtres et les prêtresses portent de tels attributs. Vous pouvez très bien travailler pour eux sans faire partie de leur ordre... Cela dit, je pensais que vous auriez au moins un laisser-passer, une lettre portant leur cachet, quelque-chose...

— J'étais peut-être en mission secrète ?
— Sur le champ de bataille ?

Il soupira.

— Je ne sais pas... Vous voulez bien m'en dire un peu plus sur cette guerre ?

Cenelle prit un brin d'herbe séché et le fit rouler entre ses doigts.

— Je n'y comprends pas grand-chose, c'est une affaire entre notre roi et le roi de Safkine. L'Eravoc et la Safkine sont séparés par deux chaînes de montagnes, entre lesquelles coule une rivière. Cette imposante frontière naturelle avait assuré la paix entre les deux royaumes, jusqu'à ce que le jeune roi de Safkine a l'esprit beaucoup plus belliqueux que feu son père, décide qu'il grignoterait bien un peu de l'Eravoc, au moins jusqu'à ses mines de diamant. Cela fait maintenant quatre ans que nous sommes en guerre, et que les armées du royaume gagnent ou perdent du territoire, col après col, pont après pont, défilé après défilé.

— D'où son nom de la guerre des Portes...

— Nombre de ces passages portent en effet le nom de Porte du Diable, Porte des Marchands, Porte Miséricordieuse, Porte ...

Il se laissait bercer par la voix grave de Cenelle, prêtant moins d'attention à ses paroles qu'à son visage, qui semblait enfin vivant et animé, presque doux.

— ... partie de l'armée du roi de Safkine a pris la mer pour contourner les montagnes, et envahit le royaume plus au nord, c'est pourquoi des combats sont livrés jusque dans le duché. Il se peut que nous changions bientôt de souv...

Rien ne venait éveiller la moindre réminiscence dans le récit de Cenelle. Aucun événement ne faisait écho à son passé, aucun nom ne venait résonner dans le néant de ses souvenirs, aucune anecdote ne venait abreuver de fleuve asséché de sa mémoire. Son esprit était comme en sommeil. À dire vrai, il s'en moquait. Le drôle de vide était là, dans son estomac, dans sa tête, mais n'avait aucun rapport avec celui laissé par son amnésie. C'était un manque qu'il ne comblerait pas avec la connaissance d'un passé de toute façon révolu. Quelque chose en lui le poussait d'ailleurs à le fuir plutôt qu'à partir à sa rencontre. Il n'était pas certain d'aimer ce qu'il allait retrouver. Il n'était pas certain qu'elle allait aimer. Il eut envie d'aller se blottir contre elle dans le foin. Son esprit se mit à vagabonder, à s'imaginer voyager avec elle, apprendre à chasser, s'endormir à ses côtés.
Il demanda soudain :

— Où allons-nous ensuite ?

Aussitôt, elle se referma. Il était encore allé trop vite. Il savait maintenant comment l'apprivoiser.

— Si je comprends ce que vous me dites, je l'ai échappé belle ! J'ai la chance d'être laissé pour mort, comment comptez-vous organiser ma fuite ?

— Pardon ?

— De toute évidence, s'ils apprennent que j'ai survécu, on va me renvoyer au casse-pipe ! Un guerrier comme moi ! Voyez comme je me suis débarrassé de nos deux agresseurs ?

Il brandit un maigre biceps et se fendit d'un sourire enjôleur.

— Vous êtes fou ! lâcha-t-elle, mais il vit avec soulagement qu'elle s'était détendue.

— Ah ? Pensez-vous que ces bracelets m'étaient en fait destinés ? Afin que je m'entrave moi-même ?

Cenelle leva les yeux au ciel.

— Vous devriez peut-être me les confier, je me chargerai de vous mettre aux fers !

— Vous comptez donc me garder ?

~

Elle ne répondit pas. Était-il réellement inoffensif ? Elle s'était réveillée dans ses bras sur le chemin. Il aurait pu s'enfuir et l'abandonner à une mort certaine. Il était resté. Il l'avait soutenue, encouragée durant tout le trajet jusqu'à la taverne. Sa raison lui disait de se méfier de lui, mais il lui paraissait tellement sincère. Quelque chose en lui la touchait. Ses yeux noirs avaient le don de la happer sans crier gare. C'était différent de ce qu'elle ressentait lorsqu'elle allait se ressourcer auprès d'une aubépine, mais cela avait quelque chose d'aussi réconfortant. C'était comme un lien invisible qui les rapprochait lorsqu'un contact, physique ou visuel, s'établissait entre eux. Un lien... animal. Le ressentait-il lui aussi ? En était-il à l'origine ? Il était spécial, il avait un don interdit, comme Coryla, comme elle. En était-il conscient ? Agent de la Main ou pas, Il fallait qu'elle sache. Il fallait qu'elle obtienne des réponses auprès de Lynx. Peut-être voudrait-il l'accompagner ?

Le martèlement de la pluie sur le toit avait enfin cessé, et le calme les envahit, douce invitation à la rêverie et au repos. La fatigue s'abattit sur eux comme un orage dans les montagnes : sans prévenir. Le jeune homme laissa échapper un soupir las, et sombra dans un sommeil agité dans lequel des cadavres aux yeux rouges dévoraient des corbeaux bardés d'épines.
Cenelle luta contre ses paupières qui tenaient à se fermer. Elle craignait qu'on ne les ait suivis, qu'on ne les attaque à nouveau. Personne n'avait semblé se soucier d'eux à la taverne, mais qui savait ce que les soudards avaient pu raconter dès qu'ils avaient mis un pied dehors ? Elle crut entendre des pas, tendit l'oreille. Un cheval renâclait dans son box. Le foin lui picotait le cou. Il sentait bon. Ses bras se calèrent dans ce matelas végétal infiniment plus doux que nombre d'endroits où elle avait dormi ces dernières années. Ses yeux se fermèrent malgré elle, et elle s'envola dans les bras d'un inconnu aux cheveux noirs qui lui murmurait « Viens avec nous, n'aie pas peur ! »

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