037 Etat de siège

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  La nuit commençait à tomber. Steve fit une nouvelle fois le tour du bâtiment où ils étaient retranchés. En forme de « L », il avait sa grande entrée au milieu de la façade principale coté intérieur, et une entrée de service dans l’angle du « L » coté extérieur. Tous les éclairages avaient été allumés. Certains spots, destinés à illuminer la façade, avaient été réorientés vers le parking. Deux hommes étaient placés derrière chaque entrée, pour arrêter toute intrusion. D’autres étaient en planque derrière les fenêtres les surplombant, pour en interdire l’approche. Erin avait investi la loge des gardiens, pour utiliser les caméras de surveillances, mais toutes celles qui étaient à la portée des assaillants étaient déjà hors d’usage. Au troisième et dernier étage du bâtiment, Steve retrouva Carlos.

  — Tu as vu quelque chose ?

  — Oui. Il y a une demi-heure, un groupe de véhicules est arrivé. De quoi transporter entre trente et cinquante personnes.

  — A ajouter aux trente présents. Grommela Steve.

  — Et certains des nouveaux arrivants m'ont l'air trop disciplinés pour que se soient des mineurs.

  — Des mercenaires ?

  — Peut-être.

  — Il ne manquait plus que ça !

Il examina les environs avec ses jumelles. Les mineurs avaient garé leurs navettes en travers de la piste, afin d’interdire l’entrée du site. Quelques guetteurs faisaient les cent pas au loin. Le reste des assaillants n’était pas visible. Sans doute s’étaient-ils installés dans la cantine, un petit bâtiment bas à une centaine de mètres de là. A l'extérieur le silence régnait.

Steve refit mentalement sa check-list, surtout par acquis de conscience. Peut-être aussi pour faire tomber son stress :

Chaque entrée est gardée. L'obscurité s’installant très vite, il sera de plus en plus difficile de surveiller les assaillants. Les projecteurs éclairant les abords constituent des cibles fragiles et ne rempliront pas leur office très longtemps. Les yeux perçants de Carlos et sa position dominante restent nos meilleurs atouts pour ne pas se faire surprendre. Important : il faudra penser à mettre les employés présents en sécurité, avant que la situation ne dégénère.

Rassuré, il redescendit au rez-de-chaussée. Il passa dire quelques mots d'encouragement à ses soldats en faction, puis rejoignit le bureau qui lui avait été attribué.

Vers vingt et une heure trente, il reçut un appel du Président.

  — Quel est la situation ?

  — Nous sommes assiégés. Les individus qui s’en étaient pris à Mademoiselle Kalenberg étaient très excités. Ils vont certainement tenter quelque chose cette nuit. Ils sont armés.

  — Vous pensez pouvoir leur résister  ?

  — Ils sont assez nombreux, mais il est probable que certains vont se défiler dès que le sang va commencer à couler. Nous avons une puissance de feu supérieure, et de l’entraînement aux situations de conflit. S’ils attaquent, nous risquons de faire un massacre. Espérons qu'ils soient assez intelligents pour attendre. Ce qui m'ennuie, par contre, c'est qu'il semble y avoir des mercenaires parmi eux, disciplinés et évidemment armés. Vous avez une idée de leur provenance ?

  — Des mercenaires il y en a partout, vous êtes bien placé pour le savoir. Mais les mineurs grévistes n'ont pas les moyens de se les offrir. Vous êtes sûr?

  — C'est un de mes lieutenants qui les a repérés, et il sait de quoi il parle. Enfin, nous verrons. En ce qui concerne la logistique, nous faisons tourner un groupe électrogène pour avoir de l’électricité et nous avons de l’eau en réserve. Ce qui nous manquera en premier ce sera la nourriture. Pouvons nous espérer de l’aide de l’extérieur  ?

  — Je m’y emploie. Si mon plan fonctionne, l’armée pourrait intervenir, mais pas avant demain de toute façon.

  — Je pourrais tenter une sortie en force. Cela les surprendrait et nous pourrions nous échapper de ce piège.

  — Non. Il n’est pas question de leur abandonner la mine. Il faut tenir jusqu’à demain.

  — Bien reçu. Je disais cela en pensant aux civils qui sont présents ici, mais c'est vous qui décidez. Je vous tiendrai au courant de l’évolution de la situation.

Il avait à peine mis fin à la communication que Carlos l’appelait.

  — Chef, un émissaire s’avance avec un drapeau blanc.

  — Seul  ?

  — Et sans arme.

  — Ok j’y vais. Couvrez-moi, et descendez le type à la moindre entourloupe.

  — Compris.

Steve alla dans les toilettes et se tailla un drapeau blanc dans un morceau de tissus du sèche-mains. Puis il se dirigea vers la porte.

Avant de l’ouvrir il passa une communication à Erin.

  — Je vais parlementer. Tu suis ça sur la vidéo. En cas de pépin tu prends le commandement.

  — Tu es sûr que ce n'est pas un piège ?

  — Non, mais il faut y aller. Je ne peux pas négliger une possibilité d'éviter un assaut.

  — J'ai horreur de faire ça. Sortir à découvert, sans arme, c'est l'angoisse.

  — Je suis d'accord avec toi. Sois attentive.

Il posa ses armes dans l’entrée puis ouvrit la porte. Le représentant des mineurs se tenait debout à une quinzaine de mètres, son drapeau à la main.

Steve inspecta les environs du regard, avant de se diriger lentement vers lui. Il s’arrêta à trois mètres du parlementaire, faisant attention à ne pas se trouver dans la ligne de mire de ses tireurs.

  — Vous voulez parler, je vous écoute.

  — Nous sommes plus nombreux que vous et nous bloquons les accès de la mine. Nous sommes là pour occuper les lieux jusqu’à ce que nos revendications soient satisfaites. Nous ne souhaitons pas nous battre contre vous. Rendez-vous et nous vous laisserons partir.

  — Avec nos armes  ?

  — Pas question. Nous n’avons pas envie de vous voir revenir nous attaquer.

  — Quelles garanties nous offrez-vous ?

  — Je m’appelle Tenos. C’est moi qui dirige le mouvement. Vous avez ma parole.

  — Vu ce qu’il s’est passé cet après-midi, je ne suis pas convaincu de votre autorité, sur les membres les plus enragés de vos troupes.

  — C’était une bavure, je le reconnais. Mais elle était due à l’imprévu de la situation. De plus, je n'étais pas sur place. Cela ne se reproduira plus.

  — Votre parole me paraît insuffisante comme garantie.

  — Il faudra vous en contenter. Autre exigence de notre part : nous garderons en otage les membres de la direction de la mine présents, ainsi que l’experte d’Ursianne. Il ne leur sera fait aucun mal mais ils seront une monnaie d’échange utile pour nous.

  — Vous exigez beaucoup, vous ne garantissez rien. Il n'est pas question de laisser des otages entre vos mains. Je suis obligé de refuser votre proposition.

  — Avez-vous une contre-proposition à faire ?

  — Oui ou plutôt un avertissement. Si vous nous attaquez, il y aura beaucoup de pertes de votre coté, car nous sommes lourdement armés et bien entraînés. Je vous conseille de rester sur vos positions. Vous bloquez l’accès à la mine, c’est ce qui vous intéresse. De notre coté nous ne cherchons pas l’affrontement, et nous resterons retranchés dans notre bâtiment. Qu’en pensez-vous  ?

  — J’en pense que vous espérez du renfort de l’extérieur et que dans ce cas c’est nous qui serions pris entre deux feux.

  — C’est à vous de voir. Certains ont essayé de se mesurer à nous, dans ce genre de situation. Ils l'ont regretté. De toute façon, ça vous avance à quoi de bloquer une mine qui doit être fermée  ?

  — Et vous, ça vous avance à quoi de défendre une mine qui va être fermée  ?

Les deux hommes s’observèrent en silence quelques instants. Steve reprit.

  — Avons-nous encore quelque chose à nous dire  ?

  — Je ne le crois pas, et je le regrette. Je répugne à la violence mais vous ne nous laissez pas le choix.

  — Et si je vous donnais ma parole de rester neutre en cas d’intervention de la police ou de l’armée  ?

  — A mon tour de vous dire  : que vaut votre parole ? Qu’est-ce qui me prouve que vous ne quitterez pas votre neutralité si l’on vous en donne l’ordre ?

Steve eu un geste fataliste.

  — Quoi que vous en pensiez, l’initiative est dans votre camp. Ou vous êtes raisonnable et respectez le statu quo, ou vous nous attaquez, avec toutes les conséquences que cela pourra avoir. N'oubliez jamais que, s'il y a des morts parmi vous, celui qui aura donné l'ordre d'attaquer en portera la responsabilité.

  — La responsabilité, c'est le patron qui nous jette comme des mouchoirs usagés, et qui va partir les poches pleines grâce à notre travail...

Steve leva le bras pour couper cours à la tirade de Tenos.

  — Vous n'êtes pas dans un meeting ici. Vos raisons m’indiffèrent. Où vous restez tranquilles ou il y aura des morts. C'est aussi simple que ça. Et gardez vos belles paroles pour ceux qui aiment les entendre.

Tenos resta quelques instant à regarder le mercenaire, indécis.

  — Vous faites un sale métier.

La réflexion fit sourire Steve.

  — On me l'a déjà dit. Question de point de vue. Je suis là pour faire régner l'ordre, pas pour faire du sentiment.

Il se retourna et marcha avec décision vers le bâtiment. Tenos le regarda partir, haussa les épaules et fit demi-tour lui aussi.

Steve retrouva dans l’entrée les «civils», c’est à dire les employés de la mine présent plus Christa. Il leur résuma en deux mots sa discussion. Il en profita aussi pour se renseigner sur son interlocuteur précédent.

  — Au fait qui est ce Tenos ?

Ce fut Elio Castagoni, le responsable du personnel, qui lui répondit.

  — Tenos s'appelle en fait Ted Nostun. C'est un mineur, délégué syndical, et depuis peu disciple du prophète. C’est depuis qu’il s’est «converti» qu’il se fait appeler Tenos. Depuis la mort de son gourou, c’est lui qui harangue les fidèles, et son message est beaucoup plus radical. Il prône l’affrontement pour imposer une justice sociale. Il a repris son discours syndicaliste, en l’adaptant à son nouveau rôle de guide spirituel. Cet homme est très dangereux.

  — Et certainement très intelligent. Il a bien monté son coup. Personne ne se doutait qu'il allait attaquer la mine, sauf le président. Mais l'alerte a été trop tardive pour l’arrêter à temps.

  — Que va-t-il se passer maintenant ?

  — Ils ne peuvent pas se permettre de garder un ennemi dans le dos, alors que, d’un moment à l’autre, l’armée peut intervenir. D’autre part, ils ont besoin d’avoir des otages pour disposer d’une monnaie d’échange, et même, pourquoi pas, de boucliers humains. Donc, étant donné que j'ai refusé de me rendre, ils sont obligés de nous attaquer.

  — Tout de suite ?

Le directeur était devenu livide.

  — Dans la nuit. Ils vont commencer par nous harceler sans s’engager vraiment, pour tester nos défenses, puis ils lanceront un assaut concerté, normalement assez tard, vers minuit. Mais Tenos est rusé. Je pense qu’il attendra un peu plus longtemps.

  — Pourquoi ?

  — Il est évident que l’on s’attend à être attaqué. En dépassant largement minuit nous risquons d’être tentés de croire qu’ils ont renoncé, et de se fait être moins vigilant.

  — Ce ne sera pas les cas alors ?

  — Avec mes hommes et moi, pas de risque. Par contre, je veux que tous les non-combattants aillent s’abriter au sous-sol. C’est là que vous serez le plus en sécurité. Et vous y restez ! Je ne veux personne dans les jambes de mes hommes.

Il fut interrompu par une série de coups de feu. Il pressa son oreillette.

  — Carlos ! au rapport !

  — Ils tirent sur les projecteurs de façade. Leurs armes ont l’air performantes, et ceux qui s'en servent ne sont pas maladroits. Ils ont déjà réussi à en dégommer deux.

  — C’était prévu. Allumez ceux qui sont derrière les fenêtres, et tirez sur quiconque s’approcherait pour essayer de les éteindre, sans sommation !

Il jeta un regard autour de lui. Les employés de la mine s’étaient précipités vers le sous-sol dès le premier coup de feu. Seule Christa restait plantée au milieu de hall, à le regarder, très pâle.

  — Christa, vous avez des employés avec vous ?

  — Un. Il est en bas.

Elle désigna du menton l’escalier menant au sous-sol.

  — Bien. Allez-y aussi.

Elle ne bougea pas, se tordant les mains nerveusement.

  — Je voulais vous dire… Tout ça c’est de ma faute. C’est en s’appuyant sur mon rapport qu’ils vont fermer la mine.

  — Mais c’est un faux !

  — Quand même… j’ai été manipulée… Vous croyez que, si je me constituais prisonnière, ils ne vous attaqueraient pas ?

Steve la regarda avec des yeux ronds.

  — Vous constituer prisonnière ? Après ce qui s’est passé cet après-midi ? Vous êtes folle !

  — Comprenez-moi, si cela pouvait éviter un bain de sang... Vous vous rendez compte, si certains de ces pauvres gars se font tuer... Que vont devenir leurs familles, leurs enfants.

Steve se frappa le front.

  — Que vont devenir leurs familles ? Vous risquez de vous faire tuer par des excités, et tout ce que vous trouvez à dire c’est: « que vont devenir leurs familles » ! Vous êtes complètement folle. Arrêtez vos élucubrations et allez vous mettre à l'abri, tout de suite !

  — Mais..

  — Il n’y a pas de mais.

Il l’empoigna par le bras et la tira vers l’escalier.

  — Et sortez de votre petite tête, ce sentiment de culpabilité qui n’a rien à y faire. Ce n’est pas de votre faute si le Président est un vrai tordu. N’empêche, c’est lui qui nous paye et, pour le moment, il me demande de défendre la mine. Alors je la défends. Allez, je ne veux plus vous revoir à cet étage.

Il regarda la jeune femme descendre l’escalier, puis se détourna en secouant la tête. Il se dirigea ensuite vers la loge des gardiens. Erin, renversée dans un fauteuil, les bottes sur la table, était en train de grignoter une barre énergétique.

  — Du nouveau coté caméra ?

Elle eut un signe d’impuissance.

  — Il me reste deux caméras qui montrent l’extérieur, mais avec la nuit, et depuis qu’ils ont descendu les spots, elles ne sont plus guère exploitables. Reste les caméras intérieures. D’ici je pourrais suivre l’assaut en direct… S’ils arrivent à entrer.

  — Il vaudrait mieux pas. J’ai envoyé les «civils» en bas. Il ne reste plus qu’à attendre.

  — Et Christa ?

Le ton était neutre, mais une petite lueur d’ironie dans le regard éclairait le visage austère de la guerrière.

  — Elle culpabilise ! Elle voulait se constituer prisonnière pour éviter l’affrontement.

  — Se constituer prisonnière, après ce qu’elle a subi cet après-midi ? Il en faut du courage. Elle est bien cette petite.

  — Elle est bien cette petite ! -Singea Steve- Décidément j’aurai tout entendu aujourd’hui.

Furieux il tourna les talons et sortit de la pièce en claquant la porte. Erin le regarda partir, amusée, puis son visage se referma et elle se concentra à nouveau sur sa barre vitaminée, tout en laissant son regard errer sur les écrans de contrôle devenus inutiles.

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