022 Révélations

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Les voitures s’arrêtèrent devant la Maison du Mineur et les passagers descendirent. Ceyla s’était imposée dans la troisième, n’ayant certainement pas envie de se retrouver aux cotés de Prita dans l'autre véhicule.

Le prophète annonça:

  — Conseil restreint dans la petite salle de réunion au premier étage.

Il ajouta à l’intention de la femme noire :

  — Vous y êtes conviée, naturellement.

Elle inclina simplement la tête en signe d’assentiment.

Ils montèrent l’escalier en silence. Personne n’osa s’approcher d’elle et un vide respectueux l’entoura.

Au milieu de la salle de réunion trônait une grande table rectangulaire. Le prophète s’assit à un bout, Tenos à sa droite et Alter Pavi à sa gauche. Les quatre autres membres du conseil se répartirent de part et d’autre de la table, soit Neja et Redo à droite, Alma et Gali à gauche. Prita prit une chaise qu'elle plaça à droite du prophète, un peu en retrait, comme pour pouvoir lui parler à l'oreille. Il ne restait plus qu’un siège de libre pour Ceyla, à l’autre bout de la table. Elle s’y installa avec dignité.

Le prophète ouvrit la séance.

   — Vous savez tous ici que je ne suis pas procédurier. Aussi j’irai droit au but. L’objet de cette réunion concerne l’arrivée de notre sœur Ceyla et de ce qu’elle implique. Alter, peux-tu nous situer tout cela afin que la discussion parte sur de bonnes bases ?

Le journaliste eu un petit sourire et pensa « grande gueule mais prudent ! »

  — Je voudrais tout d’abord, et au nom de tous, souhaiter la bienvenue à notre nouvelle adepte, Ceyla. Son arrivée a fait sensation et je pense pouvoir dire que, même si nous avons été sensible au symbolisme de son intervention, nous aurions préféré être au courant avant afin que cela se passe avec l’assentiment de tous. Nous sommes désireux d’en savoir plus sur elle et particulièrement curieux de savoir pourquoi cette mise en scène. A moins que quelqu’un d’autre ai quelque chose à ajouter je passe la parole à notre sœur Ceyla.

Le prophète approuva de la tête. Prita semblait très en colère mais n’osa pas intervenir, les autres attendaient visiblement d’en savoir plus. Tous les visages se tournèrent vers Ceyla, toujours imperturbable.

Elle laissa le silence s’installer en regardant successivement toutes les personnes présentes puis elle prit la parole, d’une voix grave et d’une diction très articulée, certainement pour combattre son accent.

  — Les voies du Seigneur sont impénétrables, mais la révélation est venue plus tôt que prévue. Le hasard d’un glissement de terrain, un mineur prisonnier du silence et de l’obscurité qui accède à la connaissance, une connaissance qui n’était à priori pas prévue pour lui initialement…

   — Que veux-tu dire par « pas prévue pour lui » - le prophète s’était levé d’un bond- Si tu es venue pour remettre en cause ma légitimité, tu peux repartir tout de suite !

Alter lui prit le bras et l’obligea à se rasseoir. Ceyla n’avait même pas ciliée et le fixait toujours de ses grands yeux noirs. Alter tenta d’arrondir les angles.

   — Je pense que tu t’es mal exprimée. Le prophète a su nous convaincre de la valeur de son message et nous sommes tous là pour l’aider. Peux-tu nous préciser pourquoi tu nous a dit « pas prévue pour lui » ?

Un peu ennuyée par cette question directe, Ceyla réfléchit quelques instants avant de s'expliquer.

  — Vous avez raison. J'ai sauté aux conclusions sans expliquer le contexte. La Révélation devait être faite à une date précise, par divers messagers répartis dans la galaxie. Ces messagers recoivent actuellement leur enseignement. Ils ne seront tout à fait prêt que dans quelques années et ne devraient lancer leur message que lorsque la situation politique et sociale sera favorable. Pour une raison que j’ignore, il semblerait que le messager prévu pour cette planète n’ai jamais reçu la Révélation et que c’est celui que vous appelez le prophète qui en a eu connaissance accidentellement et malheureusement partiellement, lors de la catastrophe de la mine.

Un silence lourd s’établit. Le prophète était rouge de colère mais Alter avait posé la main sur son avant-bras pour l’inciter à attendre.

  — Si je comprends bien, le prophète n’est pas le prophète. Pourtant, votre petite mise en scène de tout à l’heure semblait destinée à lui donner une certaine légitimité n'est-ce pas ?

  — Tout à fait. La révélation précipitée est une catastrophe par rapport au plan prévu mais ce qui est fait est fait. Nous sommes donc contraints de nous adapter aux événements. Le prophète ici présent devient le pivot de notre action. Ce jour, par mon geste symbolique, je le consacre comme premier messager et première pierre de notre église.

La stupéfaction régnait dans la salle. Même le prophète, intronisé "première pierre", ne savait plus s’il devait se sentir flatté ou humilié. Ce fut Alter, avec son esprit cartésien qui relança la discussion.

   — Tu nous parles de plan, de messagers. Mais qui est derrière tout ça, et qui décide des actions à mener, comme la tienne par exemple ?

La jeune femme soupira.

  — Le mieux est que je vous décrive ma propre expérience. Je m'appelle Ceyla Bouabe et je suis fille de Al Radji Bouabe roi de Lavar, une province du sud de Trascan, une petite planète agricole pour ceux qui ne la connaissent pas. Un sang royal coule donc dans mes veines, mes ancêtres ayant toujours régné sur Lavar. Mais cela n'a guère d'importance dans l'affaire qui nous occupe. Notre royaume est couvert de forêts et le palais de mon père est construit au milieu de l'une d'elles. Enfant, j'avais l'habitude de m'y promener. Je connaissais tous les animaux qui y vivaient, toutes les plantes qui y poussaient. Mes pas m'amenaient souvent en haut d'une colline dominant le paysage verdoyant. L'endroit s'appelle « Banatou tome carlamo » ce qui veut dire dans notre langue « Là où passe le souffle de Dieu ». Je faisais une pose, toujours au même endroit, près d’un rocher à la forme curieuse. Et là, je sentais mon esprit s’ouvrir. Tout me semblait simple, facile à comprendre. Je n’étais plus seulement une petite fille qui se promenait, mais je faisais partie du monde, au même titre que la fourmi traînant une brindille plus grosse qu’elle ou l’oiseau perché sur la branche, ou l’arbre dont les feuilles sont caressées par le vent. En grandissant, j’ai continué à venir près de ce rocher et petit à petit j’ai appris à voir le monde tel qu’il devrait être…

  — Tu as vu la lumière au bout du tunnel ! s’écria le prophète, transfiguré.

Il se retourna vers le journaliste.

  — Elle a vu ce que j’ai vu au fond de la mine ! C’est ça, cette sensation de faire partie du monde entier. Les choses nous paraissent si simples, si logiques…

  — Cela a duré des années –reprit Ceyla- et la connaissance, d’abord intuitive, a fini par se structurer dans mon esprit. Je ne sais pas qui est à l’origine du message, Dieu, ou bien des hommes, ou même des extraterrestres, mais ce que je sais c’est qu'il est juste et que j'ai appris ce que je devrai faire pour le diffuser, quand et comment. La révélation a été faite trop tôt sur Solera mais je le répète, ce qui est fait est fait. Je ne suis pas sure que les autres messagers soient capables d’intégrer ces nouvelles conditions dans leur démarche ou que le... « moyen » par lequel nous avons reçu le message puisse faire preuve d’interactivité et de gestion de crise. Je ne me suis pas posé ce genre de question et, étant la messagère la plus proche de Solera, j’ai décidé de venir sur place voir ce que je pouvais faire.

Le silence retomba, le temps que chacun intègre ces nouvelles données. Alter préféra reprendre l’initiative, ayant peur que le prophète réagisse avec trop de vigueur.

  — Tu es bien consciente que tu viens d’une autre planète, que personne ne te connaît ici et que tu arrives dans une véritable équipe, qui s’est formée autour du prophète. Tu prétends que nous avons mis en péril ton plan en parlant trop tôt mais, de notre coté, quelles raisons avons-nous pour, d’une part te faire confiance, et d’autre part prendre en compte tes désirs, tes volontés voire tes projets ?

La jeune femme ne parut pas désarçonnée, son hésitation fut brève.

  — Pour prouver ma légitimité et pour exposer ce que j’espère pouvoir vous apporter, je désire parler seule à seul avec le prophète, entre initiés. Ensuite, ensemble nous vous dirons ce que vous devez savoir et quels sont nos projets.

Prita qui se contenait depuis un bon moment explosa :

  — Il n’est pas question de la laisser nous manipuler. Nous avons assez entendu ses contes à dormir debout. Vous connaissez tous la tâche du prophète et vous êtes tous ici pour l’aider. Nous n’avons pas de temps à perdre avec une vulgaire usurpatrice.

Ceyla la regarda longuement mais ne répondit pas. Tout en elle indiquait un mépris profond pour l’ex-infirmière. Les autres personnes présentes, mal à l’aise regardaient ailleurs. Prita jeta un regard à la ronde et ne recueilli aucun soutient. Même Alter détourna son regard. De dépit elle se retourna vers le prophète.

  — Dis-lui, toi, que tu ne l’a pas attendu pour annoncer le message, qu’elle n’a qu’à retourner sur sa planète et annoncer la bonne nouvelle à ses chèvres !

Le prophète se leva, visiblement mécontent.

  — Je vous ai réuni autour de moi pour bénéficier de votre aide et de vos conseils, mais je n’apprécie pas que l’on me transforme en statue et que l’on parle à ma place. Je vais m’entretenir en privé avec sœur Ceyla, comme elle le désire, et je vous reconnaissant de bien vouloir patienter le temps qu’il faudra, pour connaître ma décision.

Il se dirigea vers son bureau en faisant signe à Ceyla de le suivre. Tous les autres restèrent figés, stupéfaits par la violence de sa sortie. Prita jeta de rage sa petite pochette sur la table.

  — Vous avez compris ? Vous tous, vous ne comptez plus. C’est elle qui va tout régenter. Il va devenir sa marionnette. Elle va le faire manger dans sa main. Et vous, vous la laissez faire!

Elle fit plusieurs aller-retour dans la pièce puis finit par se camper devant la fenêtre, tournant le dos à la salle.

Alter se frotta le menton pensivement. Au delà de ces révélations inattendues, il trouvait que certains points du discours de Ceyla manquaient de clarté. Elle avait semblé plusieurs fois mal à l'aise, comme si elle devait omettre certains détails contre son grès. Il décida cependant de ne pas relever ces passages . Les mineurs n'avaient pas son sens professionnel de l'analyse et auraient certainement beaucoup de difficultés à comprendre déjà ce qui avait été dit.

Il regarda les autres membres du comité. Personne n’avait envie de parler maintenant. Il valait mieux attendre la décision du prophète pour savoir d’où soufflait le vent. Seul Tenos avait l’air indifférent à ce qui se passait autour de lui. Il avait ouvert un dossier devant lui et examinait les documents qu’il contenait, prenant des notes dans la marge ou biffant des paragraphes. Devant le regard interrogatif du journaliste il grogna :

  — Des nouvelles de la base. Ici tout le monde plane, mais il faut bien que quelqu’un garde les pieds sur terre.

  — La situation n’est pas fameuse pour les mineurs –hasarda Alter.

  — C’est un euphémisme. S’il se confirme que les mines ferment définitivement, ce sera une catastrophe humaine. Certains ont payé de leur sang les profits monstrueux de la Compagnie Intergalactique des Mines et les rescapés vont se retrouver sans ressource, sans travail, sur une planète dont l’économie est déjà en crise.

  — Quel rapport avec le prophète ?

  — Quand les gens sont heureux, ils n’ont pas besoin de porteurs d’espoir. Par contre, dans l’adversité, l’espoir c’est tout ce qui leur reste. Il faut aller leur parler, considérer que leurs problèmes sont nos problèmes, que seuls ils ne sont rien mais qu’ensemble ils peuvent construire leur avenir.

  — C’est plus un discours syndicaliste que religieux que tu nous fais !

Tenos jeta un regard noir au journaliste.

  — Tu ne peux pas t’empêcher de faire de l’humour. Tu ne crois en rien de toute manière. Je n’ai jamais compris pourquoi tu restais avec nous.

  — Justement parce que tu te trompes : je crois en quelque chose. Moi qui suis un cynique profond, j’ai reçu le message du prophète comme une révélation. Mais je ne vois pas le rapport avec les problèmes sociaux.

   — Tu ne vois pas le rapport parce que tu es resté dans ta bulle. Tu as un métier, de bons revenus, pas de problème en fin de période. Alors tu peux te permettre de considérer le discours du prophète d’un point de vue intellectuel. Pour toi c’est une révélation. Pour eux ce doit être un espoir.

  — Crois-tu que des mineurs ayant perdus leur travail seront plus réceptifs à la parole du prophète ?

  — Je ne désespère pas de convaincre le prophète d’être un peu moins ésotérique dans ces discours. Il a l’opportunité de parler à leur cœur, d’épouser leurs angoisses, pour mieux les rassembler derrière lui.

  — Le but du prophète est d’enseigner la vérité, pas de lever des troupes.

   — Tous ces mineurs, qui bientôt ne seront plus rien que des traîne-misère sur Solera, seront nos soldats. Avec eux, grâce à eux, nous pourront combattre l’injustice.

Neja rentra dans le débat.

  — Tu est complètement fou. Parler de troupes, de combats, ici ! Tu n’as rien compris : le message du prophète ce n’est pas cela !

  — Je perds mon temps à discuter avec vous, de la même façon que le prophète perd son temps à discuter avec cette Ceyla. Vous n’êtes tous que des intellectuels ravis par la contemplation de votre nombril.

Tenos referma brutalement son dossier, se leva et sorti de la pièce.

Les personnes restantes se regardèrent, interloquées. Seule, dans son coin, Prita n’avait pas suivi le débat. Le silence s’installa. Alter sortit de sa poche un petit carnet électronique et commença à rassembler ses idées pour son interventions aux informations vidéo de la soirée.

L’entretien entre le prophète et Ceyla dura plus d’une heure et demie. Lorsque la porte du bureau s’ouvrit, tous les regards convergèrent vers les deux « élus ». Ceyla sortit la première, digne et droite comme d’habitude. Derrière elle, le prophète était agité, pressé d’en finir. Ils reprirent leurs places autour de la table et il résuma la situation d’une manière sibylline.

  — Rien n’est changé pour le moment. Je reste le seul et unique prophète sur Solera. Alter, je te renouvelle ma confiance comme assistant à la communication. Quand à Ceyla, elle sera présente pour s'assurer qu’il n’y ait pas de dérive entre nos dires et le contenu du message original.

Comme Prita, devenue plus rouge que ses cheveux, voulait intervenir il l’arrêta d’un geste de la main.

  — Ceci est un accord définitif et non renégociable entre Ceyla et moi-même. Nous avons estimé que, compte tenu de l’importance de la mise en place des messagers sur de nombreuses planètes, il était important qu’il n’y ait pas de dissonance entre mon discours et le leur. En attendant que le moment soit venu, il ne doit pas être fait mention des messagers. Je vais présenter Ceyla comme une personne qui a eu la révélation de l’existence d’un homme qui enseigne la vérité. Elle est venue sur Solera pour connaître le message et pouvoir le diffuser plus tard sur son monde d’origine. Alter, je t’autorise à en glisser deux mots dans tes interventions vidéo de ce soir. D’autre part, je te serrais reconnaissant d’écrire le communiqué de presse que je diffuserai à l’ensemble des journalistes demain matin. Je compte sur toi.

Alter hocha de la tête en signe d’assentiment. Le prophète se leva pour dire ses mots de conclusion :

   — De ce que nous avons parlé avec Ceyla je vous dirai seulement qu’elle m’a complètement convaincu du fait que mon expérience au fond de la mine correspond à celle des messagers. Par conséquent, il est indispensable que nous ayons une cohérence dans nos déclarations. Je le répète : fondamentalement il n’y a tien de changé. Je ne retire pas une virgule à ce que j’ai dit et de toute façon il est improbable qu’il y ait de grandes divergence entre nous. Messieurs, plus que jamais je compte sur vous pour m’aider dans ma tâche.

Neja essaya timidement d’attirer son attention mais le prophète avait déjà tourné les talons. Alter lui fit signe de ne pas se presser, la journée avait été bien assez remplie.

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