044 Donerio Dornier

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  Donério Dornier relu pour la troisième fois le message. Ce n’était pas possible : fermer définitivement la mine était une absurdité. Lorsqu’il avait vu les mineurs manifester en ville, puis prendre d’assaut le site, il les avait cru manipulés par leur leader. Fermer complètement la mine, c’était inenvisageable ! Et maintenant, le siège de la société sur Ursianne lui demandait officiellement de rentrer, les mines de Solera ayant été fermées et vendues.
Vendues ! A qui ? Qu'elle entreprise aurait la carrure pour reprendre l’exploitation, si la compagnie intergalactique des mines elle-même jetait l’éponge ? A moins que cela ne soit un coup monté ? Depuis quelques temps, le Président était injoignable. Impossible de savoir si la décision venait «d’en haut» ou s’il y avait participé sans lui en parler. Donério contacta une agence immobilière pour mettre en vente son appartement, retint une place dans un vol vers Ursianne, et commença à rassembler les affaires qu’il comptait emporter. Tout en remplissant ses valises, il retournait dans sa tête ce problème, incompréhensible pour lui. Et brusquement, il n’y tint plus. Plantant là ses bagages, il quitta son appartement et pris sa voiture personnelle, direction la mine.

En arrivant au portail il fut arrêté par un homme en arme.

  — Halte. Vous êtes sur une propriété privée. Vous ne pouvez pas entrer.

Donério reconnu un des mercenaires de l’équipe de Maroco.

  — Laissez-moi passer, je suis le directeur adjoint de la mine.

  — Désolé. Ce site n’appartient plus à la Société Intergalactique des Mines.

  — Mais à qui appartient-il alors ?

  — Je ne suis pas autorisé à vous en parler. Veuillez faire demi-tour, le site est fermé au public.

Donério furieux fit mine de sortir de son véhicule. Aussitôt le gardien braqua un pistolet paralysant dans sa direction. Tous les deux se jaugeaient du regard lorsqu’un homme cria de loin : «Laissez-le passer». Aussitôt le gardien rengaina son arme, puis, sortant une télécommande de sa poche, ouvrit le portail. Il fit signe à Donério d’avancer.

Celui-ci dirigea sa voiture vers la personne qui l’avait autorisé à entrer, un homme jeune, habillé d’une chemise écossaise fripée, aux manches retroussées, et d’un jean délavé. Ce n’est qu’en arrivant devant lui que Donério le reconnu.

  — Président ! C’est vous le repreneur… ?

Le Président rit, très amusé par la tête ahurie de son ex-bras droit.

  — Surpris mon cher Donério ? Ou alors c’est mon nouveau style vestimentaire qui te choque ? Vois-tu, ça me plaît de superviser les travaux, mais c’est salissant. Alors, je m’adapte. Suis-moi.

Donério descendit de son véhicule et emboîta le pas au Président.

  — Je ne voulais pas croire que ce site ai pu être abandonné. Il avait encore tant de possibilités…

  — Mais il rouvrira, tu peux en être sûr ! Mais plus avec nous.

Donério, désabusé, secoua la tête.

  — C’est vous qui avez racheté la mine ?

  — En quelque sorte, mais je ne compte pas la garder longtemps. Il s'agit d'un petit tour de passe-passe à ma façon. Quelques jours encore et puis…

Il fit un geste vague de la main. Ils étaient arrivés devant le puits numéro quatre. Une navette de transport lourd stationnait à proximité. Des travaux avaient été entrepris autour du puits, mais des palissades protégeant du vent de sable empêchaient Donério de comprendre leur but.

  — Qu’est-ce qui se passe ici ?

  — C'était ton idée au départ.

  — Mon idée ?

  — Oui, rappelle-toi ce que tu m’as dit, le jour où le Prophète a été sorti du puits : « Si Dieu est réellement dans notre sous-sol, celui-ci va prendre une valeur considérable ». Cette réflexion m’est restée en tête, et voilà le résultat. C’est pour récupérer «Dieu» que j’ai incité notre direction à jeter l’éponge.

Donerio fronça les sourcils. Ne comprenant pas tout, il fit remarquer:

  — Mais le site est encore exploitable !

  — Parbleu ! Mais pour que ma trouvaille m’appartienne, il fallait aussi que le sol tout autour m’appartienne. C'est la loi ici. J’ai donc falsifié les rapports techniques, pour faire croire à la direction générale que les filons ne valaient pas les travaux de réparation.

  — Vous avez fait ça ?

Donério était atterré par ce qu’il entendait. Le Président regarda avec amusement la mine défaite de son ancien directeur. Il ironisa:

  — Tu as l’air choqué.

  — Non, je pense surtout que je vais devoir expliquer ça à votre père, et tout seul, car je serrais surpris que vous rentriez sur Ursianne avec moi.

  — Tout à fait. Mais une chose m’étonne de toi : tu ne m’as pas encore demandé ce qu’était «Dieu». Il est vrai que les problèmes métaphysiques, ce n’est pas ta tasse de thé.

  — Ça n’a rien de métaphysique - Grogna Donério - Vous avez trouvé dans le sous-sol une machine de Rupert-Tholan, destinée à l’enseignement, par une technique proche de l’hypnose, et dont l’utilisation est interdite par le décret Brunski. Ce qui n’empêche pas l’armée de poursuivre les recherches en secret.

Le président lui fit une petite tape condescendante sur l'épaule.

  — Bien mon cher Donério, très bien même. Très bonne déduction. Moi aussi j’ai pensé à une machine de Rupert-Tholan, mais ce n’en est pas vraiment une. Ou alors il s'agit d'un modèle très amélioré, bien plus puissant que celui que l'on connaissait jusqu’à présent. Et surtout, il marche beaucoup mieux. Rappelle-toi que le décret Brunski avait été voté après quelques incidents malheureux, des patients ayant été quasi lobotomisés..

  — Un nouveau modèle ? Et l’armée l’aurait cachée ici ?

Agacé, le président secoua la tête.

  — Réfléchis un peu. Si l’armée l’avait cachée ici, nous n’aurions jamais eu l’autorisation de creuser. Et puis, une machine de l’armée qui créerait des prophètes, ce serait surprenant.

  — Alors, qu’est-ce que c’est ?

  — Je n’en sais rien. Je la récupère, je la mets en sécurité, et ensuite je me pencherai sur le problème.

  — C’est prendre énormément de risques pour un résultat incertain. Si cette machine ne sait fabriquer que des prophètes son intérêt est limité.

  — Oui, mais si on arrive à la reprogrammer…

  — De toute façon, le décret Brunski s’appliquera à elle aussi et vous ne pourrez jamais l’exploiter.

Le Président secoua la tête, navré comme un instituteur devant un enfant butté.

  — Donério, tu me déçois. A force de ne faire que de petites combines, tu as perdu toute ambition. Il faut penser «grandiose». Si j’ai une machine à suggestionner les gens, je ne vais pas m’en servir pour faire de l’enseignement accéléré. Mon but est de devenir un Maître, un Gourou, un Dieu même. Je vais reprogrammer cette machine, afin de devenir le Messie d’un tas de braves gens qui, en toute bonne foi, seront persuadés que je suis le sauveur du monde.

Donério regarda le Président, complètement ahuri. Puis il se demanda avec angoisse s’il n’était pas devenu fou.

  — Donério, ne fait pas cette tête. Pour la première fois de ma vie peut-être, j’ai un but précis. Plus seulement l’envie de monter dans la hiérarchie sociale, c’est devenu trop facile. Manipuler sociétés, syndicats, hommes politiques, tout cela ne m’amuse plus. J’ai un challenge autrement excitant. Si je réussis, toute la galaxie entendra parler de moi. Viens dans mon bureau, nous serons au frais.


Les deux hommes se dirigèrent vers le bâtiment administratif, Donério suivant le Président, la tête basse. Il croyait avoir touché le fond en apprenant la fermeture de la mine, mais ce qu’il venait d’apprendre dépassait l’entendement.

Une fois dans son bureau, le Président se dirigea vers un petit bar et il en revint avec une bouteille de whisky et deux verres.

  — Je crois que tu as besoin de te remettre de tes émotions. Tiens, à ta santé.

Les deux hommes trinquèrent et Donério but d’un coup, l’alcool qui lui mit la poitrine en feu. Au moins une chose qui ne changeait pas. Le Président le regardait curieusement.

  — Je me demande ce que tu vas raconter à mon père.

  — Tout se négocie. Mais vous me mettez dans une situation délicate. En votre absence, ce sera moi le bouc émissaire.

  — Donério, tu aurais du le voir venir. Comment as-tu pu te laisser rouler à ce point ?

L’ex-directeur haussa les épaules, fataliste.

  — L’élève a dépassé le maître.

Il avala une nouvelle gorgée de whisky, observa une seconde le fond de son verre, fronçant les sourcils.

  — Vous n'auriez pas du boulot pour moi par hasard. Ça solutionnerait tout.

Le Président contempla la lumière à travers la boisson ambrée.

  — C’est vrai, on faisait un bon tandem ici. Mais voilà, il ne faut pas abuser des bonnes choses. Nouveau projet, nouvelle équipe. Je suis désolé Donério, mais j’ai tourné la page.

  — Tant pis. Je vais retourner sur Ursianne…

Le président se redressa sur son siège. Son visage, jusque là souriant, prit une expression sadique.

  — J’ai oublié de te dire, Donério...

Le président prit son temps pour continuer sa phrase, faisant tourner son verre d'alcool entre ses mains. Il jeta un petit regard à son ex-directeur et sourit d'un air goguenard.

  — Pour les besoins de mon petit tour de passe-passe, j’ai été amené à faire quelques faux en écriture. Malheureusement, certains sont à ton nom…

  — Quoi ?!

Donério voulu se lever, mais ses jambes refusèrent de le porter. Il retomba lourdement au fond de son fauteuil. Son verre vide roula sur la moquette épaisse.

  — Et oui, Donério.

Le Président posa avec ostentation son verre encore plein sur le bord du bureau.

  — Tu en savais trop, Donério. Et ce que tu ne savais pas, était encore plus embêtant. Tu as bien protégé mes petites embrouilles sans t’en douter, mais maintenant tu es devenu très… gênant. Je pense que tu vas te suicider, une noble fin pour un escroc de ton acabit.

Donério tenta en vain de se lever. Il voulu parler mais seul un grognement pu franchir ses lèvres. Sa respiration commençait à être difficile. Le Président le regardait avec curiosité, suivant les progrès du poison sur le corps de son ancien complice. Lorsque celui-ci ne respira plus, il décrocha son téléphone.

  — Le colis est prêt, il vous attend dans mon bureau, sa voiture est à l’entrée de la Mine.

Il ramassa son attaché-case et se dirigea vers la porte d'un pas rapide.

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