040 Le jour se lève

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  Quand Christa rouvrit les yeux, il faisait grand jour. Elle se redressa, et jeta un coup d’œil à la ronde. Carlos était toujours allongé dans le lit médicalisé, mais il respirait plus régulièrement. De l’autre coté de la pièce, un soldat était assis sur une chaise, la tête posée sur ses bras repliés contre la table. Il sommeillait.

  « Comment s’appelle-il déjà ? Ah oui, Abdhul ! »

Le souvenir de l’incident l’ayant opposé à Gunther la fit sourire : elle avait connu tellement pire depuis ! Elle arracha le pansement qu'elle avait au bras et se leva péniblement. La tête lui tournait un peu. Elle sentit des tiraillements du coté de son estomac : il était temps de se mettre en chasse d'un casse-croûte. Ses mouvements sortirent le soldat de son sommeil. Elle lui sourit et, avant de sortir, lui fit signe de surveiller Carlos. Il hocha la tête et se redressa sur sa chaise.

Le calme régnait dans le bâtiment, pas de coup de feu, pas de cris. L'ambiance était irréelle comme semblait iréel le souvenir des événements de la nuit. Sans réfléchir, elle se dirigea vers le bureau de Steve. Elle le trouva en grande discussion avec Erin et Rob. Il lui fit un petit geste distrait et continua à parler à ses lieutenants. Ils avaient tous les traits tirés. Sans doute n'avaient-ils pas pris le temps de dormir.

Elle attendit en regardant les documents fixés au mur. C'étaient les plans du bâtiment, niveau par niveau ainsi qu'un plan général du site. Ils étaient annotés de mots ésotérique pour elle et balafrés de grandes flèches tracées au feutre. Comme quoi, le travail de mercenaire n'est pas seulement physique, surtout pour les officiers. A la fin de la harangue du chef, Rob se leva et quitta la pièce. Steve se tourna alors vers la jeune femme.

  — Et bien voilà, nous avons connu un matin de plus comme je vous l'avais promis. J'ai appris ce que vous avez fait pour Carlos, je n'ai pas de mot pour vous remercier suffisamment.

Christa haussa les épaules, gênée.

  — Dans une situation de crise, chacun doit tenir sa place. Je suis incapable de me servir d'une arme, par contre j'ai quelques connaissances en médecine.

  — Je pensais aussi à votre don du sang. Après une journée si chargée en émotions... Comment vous sentez-vous maintenant ?

  — Un peu faible, étourdie aussi. Et puis j'ai une de ses faim !

Steve écarta les bras en signe d'impuissance.

  — Désolé. Il n'y a rien dans ce bâtiment qui puisse se manger.

  — Mais, et le repas que j'ai eu cette nuit?

  — Ration de survie. Elles étaient réservées aux combattants sur mon ordre. De toute façon nous n'en avions pas assez pour tous les civils. Ce que vous avez mangé était la ration d'Erin.

La mercenaire s'approcha.

  — Sais-tu qu'il a eu le culot de refuser de partager avec moi sa ration, alors qu'il savait très bien quel usage j'avais fait de la mienne.

  — C'est très bon pour ta ligne - coupa Steve.

Christa sourit en regardant la silhouette élancée de la guerrière: visiblement elle n'avait pas un gramme de graisse à perdre. Elle répondit avec humour.

  — C'est plutôt à moi que cela ferait du bien. Je suis désolée Erin de t'avoir ôté le pain de la bouche.

  — Je n'ai pas donné mon sang, moi. Ne t'en fait pas, je m'en remettrai.

Steve fronça les sourcils en constatant que les deux femmes se tutoyaient, mais il ne fit pas de remarque. Christa l'interrogea à nouveau.

  — Où en est la situation? On dirait que tout est calme.

  — Nous avons contenu leurs assauts cette nuit. Les combats ont été très durs. Tout n'est pas clair dans l'histoire: nous étions censés avoir des mineurs en face de nous et, en fait, nous avons dû affronter des personnes très entraînées, possédant un armement moderne.

  — Des mercenaires?

  — C'est ce que nous pensions, mais nous avons récupéré une arme appartenant à l'armée. Très curieux. Peut-être a-t-elle été volée...

Christa se sentit soulagée en constatant que le danger semblait écarté.

  — Alors les combats sont finis?

  — Pour le moment, nous nous observons. Chacun campe sur ses positions. Il y a une heure, nous leur avons restitué quatre blessés que nous avions fait prisonniers. Nous avons autre chose à faire que de les soigner, à eux de s'en occuper... Attendez, j'ai un appel audio... Oui Rob, je t'écoutes.

  — Je suis sur le toit. J'aperçois au loin des véhicules se rapprochant à grande vitesse. Ça ressemble à l'armée. Attends, il y a aussi deux hélicoptères de combat.

  — Enfin une bonne nouvelle. Que font les mineurs ?

  — Ils viennent d'apercevoir les arrivants. Visiblement, ils ne les attendaient pas. Ça court dans tous les sens. Seul un groupe semble calme. Il se tient vers le portail d'entrée, sans arme.

  — Ceux que nous appelons les mercenaires ?

  — Sans doute.

  — OK. Tu me tiens au courant.

Steve résuma à Erin et Christa son entretien, mais elles avaient deviné en partie ce qui se passait. Christa était euphorique. Elle remarqua néanmoins qu'Erin ne débordait pas de joie.

  — On dirait que ça t'ennuie l'arrivée de l'armée. Pourtant c'est la fin du cauchemar.

  — Hum... On s'amusait bien. J'aurais aimé qu'ils tentent encore un petit assaut, comme ça, pour le plaisir.

  — Erin!

Christa était indignée.

  — Quoi ? Qu'ai-je dit ?

Visiblement Erin était sérieuse et ne comprenait pas ce qu'il y avait de choquant dans ce qu'elle venait de déclarer. Elle était un guerrière et ne vivait qu'au travers du combat. Cette nuit, elle avait vécu ce pour quoi elle s'était engagée dans le métier de mercenaire.



Dix minutes plus tard, les soldats étaient maîtres de la place, sans qu'un seul coup de feu eu été tiré: le rapport de force était par trop défavorable aux mineurs, et les supposés mercenaires qui les avaient aidés n'avaient visiblement pas envie de se colleter à l'armée régulière.

A partir de ce moment là, les choses allèrent vite. Les soldats, qui avaient bouclé la mine, firent prisonniers la majorité des mineurs. Ceux-ci n'avaient guère de possibilité pour se sauver du site, en plein désert, avec la seule piste praticable maintenant interdite.

Les soldats désarmèrent aussi l'équipe de Steve, mais ils traitèrent néanmoins les mercenaires avec respect. Visiblemen, le colonel commandant l'opération était très impressionné par la résistance opposée aux attaquants. Un long débriefing eu lieu néanmoins. Steve dû raconter plusieurs fois, dans le détail, tous les événements, depuis l'agression sur Christa jusqu'à l'arrivée de l'armée. Par contre, lorsqu'il voulu savoir qui étaient les mystérieux combattants qui avaient participé à l'assaut au coté des mineurs, il se heurta à un mur de silence. Visiblement, sa question gênait. Le colonel renouvela seulement son admiration pour l'héroïsme de Steve et de son groupe.

Des psychologues arrivèrent ensuite, pour s'occuper des civils, très ébranlés par une nuit de terreur. Ils étaient affamés et s'étaitent précipités sur le ravitaillement qui leur avait été distribué.



En fin de journée, Christa, Erin et Steve purent enfin quitter la mine, un peu étourdis par ce qu'ils avaient vécu. Les deux mercenaires ramenèrent la scientifique à son hôtel. Ils firent une pause au bar tous les trois avant de se séparer. Christa était la plus désorientée.

  — Après tout ce qui s'est passé cela va être dur de reprendre le travail.

Steve essaya de la rassurer :

  — Maintenant il n'y a plus rien à craindre: qui oserait nous attaquer ?

  — Je sais, mais la peur de connaître encore une telle épreuve est quelque chose d'irrationnel, qui ne se contrôle pas. Je risque de faire des cauchemars pendant longtemps.

Erin se pencha vers elle, inquiète.

  — Tu devrais profiter de l'aide des psychologues. Il n'y a rien de honteux d'être marquée par une telle épreuve. Nous-même trimballons dans un coin de notre tête quelques mauvais souvenirs. Mais cela fait partie de notre métier, pas du tien.

Christa hocha la tête, émue par la prévenance de la guerrière. Elle préféra changer de sujet de conversation.

  — Et votre mission, à vous deux, se termine quand ?

Ce fut Steve qui répondit :

  — A priori dans trois semaines, le temps que vous finissiez votre travail.

Ils restèrent pensifs, buvant distraitement leurs verres. Erin, toujours soucieuse, se pencha vers Christa et lui posa la main sur le bras.

  — Tu as besoin d'un peu de repos. Même pour nous, ces deux journées ont été dures, alors pour toi !

  — Je ne pense pas que le président me laisse souffler. Il est très pressé de récupérer cette mystérieuse machine. Je voudrais vous remercier tous les deux pour ce que vous avez fait pour moi. Je me rends compte que je vous ai donné du boulot.

Steve voulu répondre, mais Erin fut la plus prompte.

  — Voyons Christa, tu as fait plus que t'acquitter de ta dette en aidant Carlos. Personne n'aurait pu te demander d'en faire tant après ce que tu avais subi dans la journée.

  — Je ne pouvais pas rester là, les bras croisés, à attendre qu'il meure, alors que vous vous battiez tous pour nous protéger.

  — Quand même, tu as fait preuve d'un sang froid remarquable. Tu as des antécédents dans ce domaine ?

Christa opina du chef, les yeux dans le vague, revivant un souvenir vieux d'une dizaine d'années.

  — Je me rappelle ma première intervention en tant que sauveteur bénévole sur le bord des routes, les jours où la circulation était chargée. Il s'agissait d'un crash de deux voitures particulièrement violent. Dans l'une d'elle, une famille. Les deux parents étaient morts sur le coup, complètement écrasés par la déformation de la carrosserie. Leur petit garçon était coincé à l'arrière, apparemment indemne. C'était un gamin de trois ou quatre ans. Après l'avoir désincarcéré, les pompiers me l'ont confié. Je ne sais pas si vous imaginez ce que cela peut faire, de tenir dans ses bras un enfant qui vient de devenir orphelin, dans les conditions les plus horribles qui soient. A l'époque, j'avais à peine dix huit ans. Je l'ai gardé contre moi jusqu'à notre arrivée à l'hôpital. Lorsque les médecins sont venus le prendre en charge, il ne voulait pas me lâcher : il se cramponnait à moi de toute la force de ses petits bras.

Elle dut faire une pause, la gorge serrée par l'émotion. Elle se força à reprendre son récit, après avoir dégluti.

  — Ensuite, je me suis écroulée. Il m'a fallu plusieurs jours pour m'en remettre, et périodiquement je pense encore à lui. Lors du briefing, avant le début de notre mission, le capitaine des pompiers m'avais expliqué que je ne devais pas culpabiliser pour les morts. Nous n'étions en rien responsable de ce qui leur arrivait. Par contre, nous devions tout faire pour aider ceux qui pouvaient encore s'en sortir. Cette nuit, je ne pouvais pas rester au sous-sol en sachant ce qui se passait en haut. Dès qu'il sera conscient, j'irai voir Carlos à l'hôpital.

La grande mercenaire posa à nouveau sa main sur l'avant-bras de Christa. Son geste était plein de douceur. Elle avait l'air très émue en lui confiant :

  — Tu sais, je t'admire beaucoup. Je n'ai jamais rencontré de personne qui ait, à ce point, ce courage et cet altruisme.

  — C'est toi, Erin, qui parles de courage ?

  — Ce que je veux dire, c'est que moi, dans le combat, je me shoote à l'adrénaline. La peur et l'excitation ressenties sont des drogues. Mais cela reste une démarche égoïste. Toi, tu surmontes ta peur pour aider les autres, généreusement. Et ça, je ne sais pas le faire.


Steve se taisait en écoutant l'échange entre les deux femmes, furieux de voir Erin devenir si intime avec Christa, mais aussi furieux contre lui-même, de ne pas savoir trouver les mots que disait si bien sa partenaire.

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