021 Ceyla

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Rappel du chapitre "018 Sylvane" : j'avais promis un bref résumé pour ceux qui, ayant vu mon avertissement, ont préféré le sauter. le voici donc.

Le prophète, avec la complicité de sa compagne Prita, a piégé la naïve Sylvane. Profitant de l'admiration qu'elle lui voue et grace à un habile discours l'incitant à croire que c'est la volonté de Dieu, il abuse d'elle. La pauvre fille sombre dans le déni et se persuade qu'effectivement son sacrifice est nécessaire à la réussite de la mission du prophète.

La clairière se remplissait progressivement d’une foule venue assister au sixième prêche du prophète. Celui-ci était déjà installé en haut de la butte, sur un simple siège pliant. Sylvane s’était assise dans l’herbe à ses pieds. Prita faisait les cents pas derrière lui. Les mineurs de sa garde rapprochée formaient une ligne, utilisant leurs vêtements de travail comme un uniforme. Alter Pavi s’était installé au premier rang, afin de pouvoir faire des signes discrets à son «élève» en cas de besoin. Il vérifia machinalement l’heure : dans cinq minutes allait résonner la désormais fameuse formule « Écoutez tous, écoutez et comprenez ».

Brusquement, les membres de l’entourage du prophète commencèrent à s’agiter et à regarder vers le fond de la clairière. Intrigué Alter se retourna et aperçu deux femmes qui traversaient la foule. La première était une grande noire, au port majestueux, drapée dans un boubou multicolore. La deuxième, noire elle aussi mais plus petite et plus âgée, semblait mal à l’aise et trottinait derrière, les épaules courbées, sans regarder personne. Un silence lourd s’était établi dans la clairière. Les noirs n’étaient pas très nombreux sur Solera mais c’était surtout les vêtements traditionnels des deux femmes qui surprenaient.

Elles arrivèrent bientôt devant la petite butte. La grande femme noire s’approcha du prophète et s’agenouilla devant lui. Toujours très digne, elle lui enleva ses chaussures. Sa suivante lui tendit un broc d’eau qu’elle portait sous son boubou dont elle se servi pour lui laver symboliquement les pieds. Puis sa suivante lui tendit un tissu avec lequel elle lui essuya les pieds. Tout cela dans un grand silence. Personne ne bougeait dans la clairière.

Après avoir remis au prophète ses chaussures la grande femme noire se releva et se tourna vers Sylvane. Elle lui tendit la main et l’aida à se relever. Puis, la prenant par l’épaule, elle la fit redescendre de la butte. Elle lui parla à l’oreille. Sylvane, blanche comme un linge, opina du chef. La grande femme s’arrêta devant Philippe et le regarda droit dans les yeux. Le jeune homme baissa la tête, se dandinant d’un pied sur l’autre. Elle poussa doucement Sylvane près de lui. Le jeune homme fit un pas de coté comme si elle était pestiférée. De grosses larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille.

La grande femme noire regarda longuement Philippe puis, sans un mot, se retourna et remonta vers le prophète. Deux pas devant celui-ci Prita attendait. Les deux femmes se mesurèrent du regard, Celui de Prita était plein de haine pour l’étrangère. Elles restèrent face à face de longues secondes. L’infirmière frissonna et fini par détourner les yeux. La grande femme noire passa fièrement à coté d’elle et vint se placer à la droite du prophète.

  — Je suis Ceyla. Je suis celle qui reconnaît celui que nous attendions tous. Je suis la servante de celui qui dit.

Sa voix était grave, son débit lent. Un petit accent et sa façon de mâcher les « u » rendaient sa déclaration encore plus étrange. Le prophète semblait un peu perdu, ne sachant que penser de cette curieuse cérémonie. Alter le contacta sur un canal privé.

  — Remercie là et souhaites lui la bienvenue.

Il parut sortir d’un songe.

  — Je voudrais dire merci à notre sœur Ceyla qui vient de nous rejoindre et j’espère qu’avec elle, comme avec tous ceux qui me font confiance, nous marcherons bientôt dans la lumière.

Un murmure parcouru l’assistance, chacun ayant envie de partager ses impressions avec ses voisins. Alter en profita pour contacter à nouveau le prophète.

  — Abandonne l’ordre du jour. Abrège la réunion. Il faut d’abord savoir qui elle est et ce qu’elle veut.

Le prophète leva le bras pour réclamer le silence.

  — Aujourd’hui nous n’irons pas plus loin sur le chemin de la Révélation. L’arrivée de notre sœur Ceyla est l’occasion pour nous de nous interroger sur notre foi, la nature de notre engagement, ce que nous sommes disposés à donner, ce que nous espérons recevoir. Je vous ai promis de vous enseigner le chemin vers la Lumière, mais vous mes frères et mes sœurs qu’attendez-vous, qu’espérez-vous ? Aurez-vous le courage de franchir l’étape ultime, celle qui sépare l’enseignement de la pratique ? Permettrez-vous que la Vérité dont vous serez pénétrés devienne le moteur du monde ? Serez-vous à votre tour le guide pour aider d’autres personnes à trouver la Lumière ?

Il laissa son regard balayer la foule avant de reprendre.

  — Vous constatez qu’aujourd’hui ma parole est interrogative. Mais rassurez-vous : je sais au fond de mon cœur que vous tous ici présents, et bien d’autres physiquement plus lointains mais tout aussi près moralement, êtes convaincus du pouvoir de changement qui est en nous. Je vous propose donc avant de nous séparer de partager un moment de méditation. Puisse cette parenthèse dans le temps vous apporter la force et la sérénité.

Alter observait Ceyla. Pendant tout le discours, son regard était resté braqué dans le vide au dessus de la tête des gens. Elle n’avait laissé apparaître aucune émotion. Elle ne semblait même pas concernée par ce qui se passait. Comme la foule se dispersait il se trouva face à face avec Philippe. Le garçon semblait hébété.

  — Où est Sylvane ? lui demanda Alter.

Il haussa les épaules.

  — Je ne sais pas. Des amis l’ont emmenée.

  — Pourquoi n’es-tu pas avec elle ?

Philippe le regarda d’un air désespéré.

  — Je n’ai pas pu. Je n’arrête pas de penser à lui (il désigna du menton le prophète), à ses sales pattes sur son corps…

Alter le pris par les épaules et le secoua.

  — Enfin mon gars, cela fait des semaines que tu viens à ces réunions, que tu souffres de la voir entre ses mains et maintenant qu’elle en est libérée tu la repousses ?

  — Cela aurait- dû être à moi de la sauver. Je n’en ai pas eu le courage.

  — Et c’est ton manque de courage que tu veux lui faire payer ? Ça n’a pas de sens. C’est maintenant qu’elle a besoin de toi. Vas vite la retrouver. Demande-lui pardon pour ne pas l’avoir aidée, pour l’avoir repoussée tout à l’heure. Prosterne-toi devant elle, prends lui les mains, prends-la dans tes bras. Persuade-la que la vie peut être merveilleuse loin d’ici. Sois un homme Nom de Dieu !

Philippe renifla, hocha la tête et t le chemin de la ville. Alter frappa d’impatience ses mains l’une contre l’autre. Il pressentait que le jeune homme n’était pas de taille devant cette situation. Il repensa à l’image de ce couple lorsqu’il les avait croisés, devant la Rivière sans Retour. Pourquoi avait-il fallu qu’ils viennent ici au lieu d’aller s’amuser comme tous les gosses de leur age ? Une seconde il eu à nouveau envie de laisser tomber le prophète, écœuré. Mais son regard tomba sur le profil hiératique de Ceyla et l’importance de sa mission lui revint à l’esprit. Cette histoire lamentable n’était qu’un dégât collatéral qui ne devait pas remettre en cause le principal. Et Alter eut l’intuition que la nouvelle venue allait veiller à ce que le prophète ne fasse plus de faux-pas.

Il en était là dans ses pensées lorsque celui-ci l’interpella.

  — Alter ! On retourne à la Maison du Mineur. Tu viens avec nous.

Visiblement ce n’était pas une question. Ils se dirigèrent vers les véhicules garés sous les arbres. Comme Prita faisait mine de monter avec lui, le prophète la repoussa et fit signe au journaliste de le suivre. Deux mineurs montèrent à l’avant, l’un pour conduire la voiture, l’autre pour assurer la sécurité.

Le prophète arracha l'oreillette qui lui permettait d'entendre les conseils du journaliste pendant sa prestation. Il ne s’y était jamais vraiment habitué et il l’enlevait dès la fin des réunions publiques.

  — Ça veut dire quoi cette histoire ? grommela-t-il.

  — L’arrivée de sœur Ceyla ?

  — Évidemment. Elle va foutre en l’air tous nos plans cette…

  — Pas forcément. Ce cérémonial du lavage des pieds remonte à l’antiquité. Je crois que Marie-Madeleine aurait fait la même chose à Jésus. C’est une expression de sa volonté de devenir symboliquement ta servante et de confirmer ton importance. Cela ne peut que renforcer ton aura.

  — Mais je n’ai pas besoin d’elle pour ça.

Alter ne répondit pas. Le prophète réfléchit une seconde puis explosa à nouveau.

  — Et sa manière d’éloigner Sylvane de moi ! Pour qui elle se prends ? Pour ma mère peut-être ?

  — Ce n’est pas ça le plus important.

  — C’est quoi alors ?

  — Visiblement elle n’est pas de Solera. Personne ne l’a vu avant aujourd’hui. Elle n’a donc jamais assisté à un prêche. Et pourtant elle connaissait Sylvane et surtout Philippe son ex petit copain. Personne ne lui a dit quoi que ce soit et pourtant elle n’a pas hésité une seconde. J’ai l’impression qu’elle sait beaucoup de choses qu’elle n’a pas pu apprendre en regardant les reportages de StarCom.

  — Que veut-elle ?

  — Demande-lui.

  — Un petit peu que je vais lui demander.

Le prophète se tut quelques instants, imaginant quelque apostrophe cinglante. Pris d’un doute il se retourna vers le journaliste.

  — Tu crois que l’on pourrait s’en débarrasser ?

  — Après le cinéma qu’elle a fait aujourd’hui cela me parait difficile. Pour tes adeptes elle fait maintenant partie de ton entourage. Il faut reconnaître que son coup était bien monté.

  — Alors elle peut nous faire chanter comme elle veut ?

  — N’allons pas jusque là. Calme-toi et attendons d’avoir discuté avec elle. Courtoisement je précise. Nous sommes entre gens de bonne compagnie.

  — Tu parles. Quand on est bien élevé on attend d’être invité avant de se mettre à table.

Alter eut un petit rire.

  — Qu’est-ce qui t’amuses ? grogna le prophète.

  — Sa mise en scène. D’une part en te lavant les pieds elle te donne un statut hiérarchiquement supérieur à elle, d’autre part grâce à son attitude avec Sylvane elle se place moralement au-dessus de toi. Elle est très forte. Méfie-toi d’elle et encore plus de tes propres réactions. Ne pers pas ton sang-froid face à elle sinon tu n’auras pas le dernier mot.

Le reste du trajet se fit en silence.

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