Chapitre 34 - Saorsa

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Je tendis les doigts pour caresser la nouvelle peau de ma main. Troisième fois ce mois-ci qu’il m’écorchait les mains. Je refermais en poings, mes tendons étaient visibles aussi. Faim, soif, torture… J’observai au travers de la fenêtre le camp des Nomades qui étaient revenus et cette fois… je n’avais pas l’autorisation d’y aller, mais je pouvais les voir de loin être en train de danser avec tout le bonheur du monde ! Et il y avait du monde ! C’était un énorme campement cette fois, on entendait jusqu’ici la musique. On disait qu’il y avait même une Shulkanu, un félin des îles de la mer et du ciel. J’en avais vue une gravure, c’était impressionnant, d’un brun presque noir, il était un chasseur nocturne, relativement petit, comparé aux félins du nord, avec des pupilles de chats, mais avec une endurance digne d’un loup, des griffes rétractables et une crête de poil sur le dos. On les disait capable de sauter à plusieurs dizaines de mètres et surtout savoir nager, une gueule un peu plus longue que la moyenne et deux crocs qui sortait gueules comme des sabres. Une vraie machine à tuer, seulement, ils étaient peu nombreux, encore heureux. Si bien que je doutais clairement de cette information. Toutefois, j’observai et écoutai comme je le pouvais le spectacle des danseurs, pas de vert cette fois. Il n’y avait pas de Danseur du vent, sinon j’aurais senti ses fluides jusqu’ici.


Petite, j’avais eu envie de devenir une Danseuse, pour servir la déesse et le Phénix, les Loups n’avaient pas le droit d’être des Danseurs ou des Danseuses. Nos corps étaient faits pour le combat, pour nous affronter, nous manquions de souplesse et de la grâce nécessaire pour faire partie de cette caste prestigieuse et ce n’était pas faute d’essayer. C’était ainsi, nous étions déjà des bénis de Tungl, nous n’avions pas à danser pour elle puisque nous chantions et nous prenions la forme de son amant. Quant au Phénix, nous rependions assez de sang pour lui. Tungl et Lycanos, les parents des Loups qui Marchent parmi les Hommes, Lycanos était moins connu, cependant également honoré, différemment, il n’avait pas de statue ou de temples, mais bien des prières s’envolaient vers lui et des célébrations lui étaient adressées. Combien de temps devrais-je encore attendre pour les revoir ? Les plus belles étaient au cœur des meutes. Je quittai mon poste d’observation de la fenêtre pour me mettre à danser sur les joncs en suivant le rythme d’une musique qui n’était qu’un souvenir.


La Danse des Héritiers que j’avais fait me revient en mémoire. Ce n’était pas la première fois que je la faisais. La dernière fois, c’était au palais royal du royaume des Montagnes et des Neiges. J’aimais cela, danser. Et cette danse était une démonstration de force, les héritiers du trône n’étaient pas toujours des enfants du roi ou de la reine, oh non. Les seigneurs pouvaient proposer leur propre enfant, c’était pour cela que les dynasties de chez moi étaient si changeantes. Parce que les princes et les princesses n’étaient pas toujours celles qu’on pensait, oui Itham, Aolis et Eoran étaient des princes, mais Eoran n’était pas un héritier. Il avait participé à la danse des princes et des princesses, mais pas à celle des héritiers… Jamais sa mère ne l’aurait exclu, alors il avait lui-même décidé de ne pas se poser en héritier. Et surtout personne n’avait cherché à se rajouter comme prince ou princesse ? Bizarre… quoi que la reine était relativement populaire, ce n’était pas si étonnant qu’on espère que ses fils soient du même acabit. Je me hissai sur la pointe des pieds avant de lever le plus haut possible la jambe. La Danse des Héritiers étaient un rituel précis, il fallait montrer sa force en faisant s’incliner un plus grand nombre de jambe possible, de passer d’une simple « princesse » à une « majesté ». Et c’était très important pour moi. Et j’avais réussi.


Je pivotai lentement sur moi-même en étendant les bras comme des ailes, je m’imaginais dans la forêt, mes pieds sur un tapis de mousse épaisse, le craquement des branches et l’odeur de la sève. J’entendais le bruissement des branches, des rires et les murmures des discussions ainsi que les quelques notes de musiques s’élevant au milieu de la clairière, le gros rire de Caenar. Je fredonnais doucement quelques notes en continuant de faire quelques pas de danse. Je ne m’arrêtais pas en entendant Sadralbe arriver. Il ouvrit la porte qu’il laissait fermer à clé quand il n’était pas là.


« Tu t’amuses bien, chienne ? »


Je tournai sur moi-même, les yeux toujours fermés, sans lui donner aucune réponse, d’un petit saut sur le côté je l’évitai en continuant de fredonner, lui il continuait son monologue :


« Tu avais envie peut-être d’aller voir les Nomades ? Ils sont nombreux aujourd’hui ! Un grand camp, la princesse Liliraele voulait te voir, mais j’ai dit que tu avais besoin de te reposer. »


Mmh… Sans doute ? Oui, une fois rentrée à la maison je me reposerais… Quitte à ce que ma couverture soit de terre. Je ne reviendrais pas ici. Je rouvris les yeux et m’étirai longuement, quelques rayons du soleil caressèrent doucement quelques-unes de mes cicatrices. J’observai l’homme avec attention, inspirant son odeur, il avait chaud et surtout il était heureux. Mmh… Mmh… Il me détaillait avec attention, comme toujours, il ne me touchait pas, il attendait le mariage, je le savais. Quel homme pieu. Ironie quand tu nous tiens. Je m’assis sur le lit pour masser doucement mes chevilles qu’il m’avait brisé hier, Heureusement que Lycanos et Tungl dans leur miséricorde nous avaient offert des corps se régénérant vite. Bien trop vite. Je souris simplement, pour moi, pensant que d’ici quelques jours nous allions bientôt partir pour chez moi. J’avais juste à tenir encore un peu. Le vent, le froid…


« Midelia ! »


Je levai les yeux vers Liliraele qui me sourit, elle avait les joues rosies d’avoir passé une bonne journée en plein air à profiter des Nomades qui jouaient encore e la musique. Ils ne savaient pas s’arrêter de danser et faire la fête. En quelque sorte c’était aussi leur manière de vivre. Sadralbe renifla, mais je suivis vivement ma sœur, lui sur nos talons, elle avait besoin d’aide pour ses valises.


J’observai avec attention les robes épaisses qu’elle avait prises, elles n’avaient pas, contrairement aux miennes et à toutes mes tenues, une ouverture sur l’épaule et la clavicule gauche, c’était plus simple pour montrer ses marques d’avoir une ouverture sur le côté. Je levai les robes une à une. C’était sûrement ses plus épaisses, même s’il y aurait des fourrures en plus, j’espérais bien, et on lui ferait faire des tenues à sa taille et adaptée pour là-haut. Je souris simplement en pliant les linges avant de les ranger dans les coffres avec l’aide des servantes en les écoutant raconter leur journée. Les Nomades, plus encore que la dernière fois, s’en étaient donnés à cœur joie dans les jeux, la musique et la danse. Mais le Danseur des Vents n’étaient pas là. Pas étonnant, il y avait presque autant de tributs de nomades qu’il y avait eut de meute et seulement deux danseurs des vents, et je ne connaissais que peu de chose à la culture Nomade, seulement qu’ils étaient très doués, trop sûrement, avec les fluides. Et pourtant, ils étaient de loin être un peuple agressif, c’était même tout l’inverse.


« Tu auras froid dans le Royaume. J’espère que tu as un coffre de fourrure ? Finis-je par dire d’une voix douce, coupant son babillage.

- Oui, bien sûr ! Tu penses que cela suffira ?

- Non. »


Je lui fis un léger sourire en chassant quelques mèches de devant mon visage d’un mouvement de tête avant de reprendre la parole d’une voix douce :


« Mais ne t’inquiète pas, Aolis chassera sûrement et tu auras sans doute de belles fourrures bien chaudes. »


Même si elle allait souffrir du froid pendant les premiers temps, c’était inévitable, mais une fois habitué, il n’y aurait plus de problème. Quoi que moi je ne m’étais jamais habituée à la chaleur de ce maudit pays. Ma sœur me regarda avec une certaine angoisse dans les yeux, je le soutiens et inclinai doucement la tête sur le côté pour l’inviter à parler. Elle attendit que les servantes sortent et elle dû ordonner à Sadralbe de partir pour que nous puissions être toutes les deux.


« Je t’écoute. »


Je refermai soigneusement le couvercle de la dernière malle avant de m’asseoir dessus et de regarder ma sœur qui se racla la gorge. Elle était nerveuse, ça se sentait, ça s’entendait, son cœur battait plus vite que d’habitude et surtout elle s’agitait, oh… ce n’était que ses doigts se refermant sur les plis de sa robe pour les réarranger, mais cela n’avait pas de fin.


« Arrête de t’agiter, tu veux, tu me fatigues. »


Déjà que je faisais peine à voir… Elle rougit jusqu’à la racine des cheveux, mais je lui souris un peu avant de m’installer sur son lit, en tailleur avant de l’inviter à m’imiter, je tendis les mains pour saisir ses doigts, chauds, entre mes mains.


« Tu as la peau froide Saorsa. »


Je relevai le visage vers elle, un mince sourire aux lèvres :


« Je suis de neige et de froid, c’est pour ça. Mais dis-moi ce qui te pèse.

- J’ai peur. »


Peur ? Pour avouer quelque chose comme ça il fallait du courage quand même, mais soit, je l’écoutai, avait-elle peur de coucher avec Aolis ? Je voulais bien qu’elle préfère les femmes, soit, ça me paraissait curieux, mais c’était son droit, mais malheureusement, pour la descendance elle allait devoir passer par là.


« Tu crois que je vais m’y faire à ton royaume ? Que je m’y plairais vraiment ? Que je serais capable de suivre toutes les traditions ? Que je serais acceptée là-bas ? Et les langues ? Comment vais-je faire ?

- Respire. Déjà, Aolis sera là pour t’aiguiller, t’aider, tout comme Aalrika. Pour les langues, tous les peuples du royaume des Neiges et des Montagnes, pour l’acceptation… je ne te cache pas que cela va être dur, mais il va falloir tenir le choc. »


Je serrais doucement ses mains dans les miennes pour la rassurer avant de lui apprendre, enfin d’essayer ma sœur n’était pas une très bonne élève, la méditation pour qu’elle puisse se calmer un peu. Je ne savais pas si elle pourrait faire des méditations profondes comme moi, c’était à la limite de transe chez moi, mais parce qu’on m’avait appris à le faire ainsi. Il paraissait que c’était une technique de Nomade pour ressentir les fluides. Enfin, ma sœur passa plus de temps à glousser parce que visiblement mes explications étaient très amusantes, soit, soit… Je n’avais jamais pensé ça, mais si elle oui, je n’allais pas la contrarier dans ce domaine de l’humour où j’étais plus que novice. Mais au moins je pus m’éloigner quelques heures de Sadralbe et ça… c’était plus de bénéfique. Et bientôt… je m’en éloignerais totalement. Il fallait simplement attendre d’arriver chez moi… Et ensuite je ne quitterais plus ces terres, Aalrika m’y avait officiellement invitée, on ne pouvait dire non à la reine Aalrika… Enfin si… on pouvait. Mais disons que l’espérance de vie après était… très réduite. Ou elle pouvait durer, mais jamais autant que prévu. Les dangers de la chasse ou de contredire une reine qui n’aimait pas les mensonges et le manque de respect. À moins que je ne meure, elle ne tolérait pas que je ne vienne pas. La lettre que j’avais écrite pour le mariage d’Eoran me revient en mémoire…


Je l’avais codé, en plus d’utiliser une vieille langue du nord. La langue ne pouvait être percée que par les nordistes, mais le code était celui des meutes. Impossible de le percer si on n’était pas un loup, enfin si, c’était possible, très dur ! Mais possible. J’avais donné mon nom et demandé des informations sur les meutes. Et personne n’avait pu lire et comprendre mon message pas étonnant que le mot de retour fut froid. Il fallait maintenant attendre plus que quelques jours avant de pouvoir partir. Il me fallait juste encore attendre un peu.

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