IV - Le Monde des Hommes

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Lorsqu’il se réveilla, l’astre, au zénith de sa gloire, le regardait. Des hommes non loin de là, vêtus de tuniques bleues, vaquaient autour de tentes immenses, vestiges de toiles livrés aux quatre vents. Des créatures bossues dentelaient de leurs formes curieuses cette vision salvatrice. Lorsqu’il fut capable de se lever, malgré son corps douloureux et fatigué, les hommes, dont les visages étaient masqués par un chèche, se ruèrent sur lui. Ils lui firent boire une gorgée. Leurs gourdes en cuir ressemblaient à des trésors.

Ils s’adressèrent à lui dans une langue dissonante et barbare qu’il ne connaissait pas : les paroles qu’ils proféraient lui semblaient menaçantes. Leurs timbres caverneux résonnaient en lui, semant tout autant de doutes que d’interrogations.

Sa voix intérieure, plus bavarde que jamais, l’inquiéta plus encore : souviens-toi les histoires que te racontaient les sages dans ta chambre. Souviens-toi de cela : les peuples qui sont déchirés jusqu’à s’anéantir. Souviens-toi comment l’humanité s’est conduite à sa propre perte, qu’il n’existe plus de villes parce que l’homme s’est pris pour un Diable et non comme l’animal doué de raison qu’il est. C’est pour cela qu’il s’est condamné à vivre ainsi, reclus. Ceux qui bravent le monde extérieur cherchent à retrouver les richesses qui ont mené l’homme à l’exil. Si tu les rencontres, méfie-toi. Leurs dieux sont peut-être différents.

Mais ils m’ont fait boire ! objecta-t-il. Ils m’ont sauvé de la mort, quand je suis tombé !

Pour obtenir quelque chose de toi ! continua la voix. Souviens-toi de ce qu’ont dit les sages. La réalité de ce que tu vois n’est pas la réalité profonde. Ils veulent probablement faire de toi un esclave. Un esclave doit vivre. Avant que cela n’arrive, tu vas devoir t’échapper et te méfier d’eux davantage quand tu seras loin, car ils connaissent le désert mieux que tu connais la Vie.

Mais que faire ?

Observe-les, puis fuis avant qu’il ne soit trop tard.

Et s’il est trop tard ?

La voix intérieure ne répondit rien. 321 n’avait pas la force de fuir, encore moins celle de se défendre. Il capitula lorsque les hommes le relevèrent. Porté par les plus vaillants d’entre eux, ils entrèrent d’un seul mouvement dans une tente immense où des femmes et des enfants, diaprés d’étoffes fabuleuses penchés sur d’étranges ouvrages, rirent à sa vue : il était nu, et le resterait tant qu’il ne serait pas des leurs.

Leurs voix bourdonnaient des dialectes insaisissables qui ressemblaient tantôt à des invectives, tantôt à des bribes de compassion. Leurs yeux, noirs et lumineux, ne cessaient de le dévisager. Néanmoins, cet inconfort ne dura pas : quelques femmes apportèrent au jeune garçon quelques victuailles. Le bol en terre cuite qu’elles lui confièrent lui évoquait celui qui était déposé chaque jour devant sa chambre. La nourriture était délicieuse, et au-delà. Ce festin éclipsait toutes les nourritures terrestres du monde : celle des siens, celles de l’Oasis.

Puis vint le temps des chants, de la musique et des danses : un enchantement de tous les instants ! 321 apprit, en les observant, à mettre un pied devant l’autre, à tourner en même temps que ce peuple qui s’animait d’une curieuse façon. Nu parmi eux, il se sentait des leurs, comme transcendé. Son sourire lui revint, comme au temps de l’oasis. Son corps, animé par le feu sacré, précipita sa chute.

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