Chapitre 30

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Malgré l'heure, Syrae était encore debout. Elle faisait les cents pas juste derrière la porte, avec un Klearn qui la fusillait du regard. S'il avait pu la mettre sous cloche, il n'aurait pas hésité une minute. Ce que j'avais à leur annoncer n'allait pas du tout lui plaire non plus.

Elle se jeta sur un Ash complètement déboussolé qui resta tétanisé sous l'étreinte. Je dus l'écarter doucement pour ne pas la froisser, tout en lui faisant comprendre qu'il faudrait du temps à son frère pour s'en remettre. Elle n'eut besoin que d'un coup d’œil pour en prendre conscience.

Il fut installé dans la chambre juste à côté de la mienne. Je n'aurais pas supporté qu'il soit loin de moi. Il n'avait plus dit un mot depuis la mort de ses parents. J'essayais de lui dire des paroles rassurantes, mais elles restèrent coincées. Alors je restais silencieusement près de lui, sa main accrochée à la mienne.

Il sombra dans les bras de Morphée avant même l'arrivée du médecin. J'en profitais pour m'éclipser annoncer les nouvelles à Syrae et Klearn, avant qu'ils ne l'apprennent par quelqu'un d'autre. Nous en avions convenu ainsi avec notre équipe.

— Comment a-t-il pu faire cela !? Il est complètement inconscient ! Tonna Klearn.

— Ose me dire dans les yeux que tu n'aurais pas abattu tes bourreaux si tu avais été dans la même situation ! Ose me dire que tu aurais laissé passer l'occasion ! Tu as bien regardé dans quel état il est ?! T'es-tu imaginé une seule seconde ce qu'il a pu vivre ?

J'étais folle de rage. Nous étions à vingt centimètres l'un de l'autre. L'énergie bouillonnait tellement autour de nous que l'air devenait brûlant.

En voyant sa tête, je compris que j'avais visé juste.

— Alors ne te permets pas de juger, assénais-je finalement.

— Je retournerais au château dès demain à la première heure, annonça Syrae, la voix sure malgré ses yeux brillants de larmes.

On voyait dans son maintien qu'elle avait été formée pour prendre des décisions pour le bien du peuple avant le sien.

— Je vais chercher à la bibliothèque sur quels fondements vous ne pourriez pas être ensemble, dit Oregon. Sans qu'aucun de vous ne doive renoncer à ses fonctions.

Trois paires d'yeux se braquèrent sur elle, nous étions étonnés de sa proposition,

— Quoi ? Il n'y a pas de raison que cet enfant vive caché pour des superstitions à la con.

Je savais bien qu'elle avait un faible pour les enfants. Elle n'avait jamais supporté d'en voir un souffrir. Et ce n'était pas aujourd'hui que ça allait commencer.

Il était tard, je devais essayer de grappiller quelques heures de sommeil avant d'affronter le lendemain. Avant de partir, je pris Syrae dans mes bras.

— Je suis désolée, lui chuchotais-je.

— Tu n'y es pour rien, c'était évident que nous en arriverions là, me rassura-t-elle, la voix entrecoupée de sanglots.

Elle n'avait pas tort. Ça avait juste accéléré les choses.

Avant de regagner ma chambre, je passais voir Ash une nouvelle fois. Il dormait toujours à poings fermés. J'en profitais pour l'observer une nouvelle fois. La boule qui s'était formée dans ma gorge continua de grossir et les larmes menacèrent de déborder. J'allais certainement rompre ma promesse. Je les laisserai couler plus tard dans l'intimité de ma chambre.

Larmes pour les épreuves que nous avions tous dû subir, larmes pour ceux tombés au combat, larmes pour ces parents qui n'avaient pas su aimer leurs enfants, larmes pour cet homme que j'aimais, trahit par ceux qui auraient dû l'aimer envers et contre tout. Quand aurions-nous droit au repos ? Pas encore maintenant. Je le savais bien.

Je m'approchais pour poser un délicat baiser sur son front. En même temps, je m'entaillais la paume et la posais sur son cœur. Je lui insufflai une douce vague d'énergie réparatrice. Il faudrait du temps pour apaiser le mental, je n'étais pas sûre que celui-ci arriverait à guérir. Je pouvais au moins aider à atténuer le physique.

Le médecin nous avait dis de faire attention à ne pas surcharger ses sens, car nous risquions de faire plus de mal que de bien. Je dus freiner ma magie qui ne demandais qu'à jaillir pour lui.

Je mis également en place un cercle de protection autour de sa chambre. On n'était jamais trop prudents. Je ne voulais pas qu'un serviteur trop zélé veuille venger la mort de ses maîtres.

C'est seulement après cela que je pus revenir dans ma chambre et m'effondrer sur le sol, telle une poupée de chiffon désarticulée. Je me recroquevillais en position fœtale pour pleurer toutes les larmes de mon corps. Un sort de silence plus tard, je poussais un hurlement qui aurait réveillé toute l'Académie sans celui-ci. Je repensais à tout ce que nous avions vécu depuis notre rencontre. Mon sauvetage à deux reprise, la découverte de cette prophétie à la noix, notre départ et ma découverte de son monde, l'Académie, ma fuite, mon retour, ma perte, son sauvetage. Qu'est ce qui m'attendait encore ? Je n'allais quand même pas devenir Unificateur en me débarrassant de tous les dirigeants. Pourtant, s'ils étaient tous comme ça, ce serait peut-être la meilleure solution.

Vidée de toute rage, de toute énergie, je réussis à grimper tant bien que mal sur mon lit où la fatigue m'emporta malgré mes préoccupations.

Je passais plusieurs jours au chevet d'Ash qui ne se réveillait pas. Le médecin nous assurait que c'était normal, il n'y avait pas que les séquelles physiques, il y avait aussi tout le reste. Grâce à nos efforts combinés, il reprenait des couleurs et ses hématomes se résorbaient sous nos yeux. Un poids me pesait dans l'attente. Quand je voyais son corps, je me demandais comment était son esprit. La torture psychique était beaucoup plus sournoise et vicieuse que la torture physique. Nous aurions beaucoup à faire pour nous relever de cette épreuve.

Je m'en voulais. J'aurais dû le sentir, j'aurais dû revenir plus tôt et remuer ciel et terre. Alors que je connaissais ses parents, j'aurais dû me douter qu'ils allaient préférer le garder pour le torturer. C'était de ma faute s'il était dans cet état-là. Les larmes coulaient sur mes joues. Je craquais une nouvelle fois. Je lâchais prise et posait ma tête sur son épaule, sa main serrée dans la mienne. Je n'arrivais plus à tenir. C'était trop pour moi.

— Ellie ... souffla une voix éraillée. Tu n'y peux rien.

Je sursautais et fixais l'homme de ma vie. Il venait de sortir de son inconscience. Ce fût maintenant des larmes de joie qui coulèrent de mes yeux. Je n'arrivais pas à articuler un seul mot. Envolés tous ces beaux discours que j'avais imaginés. Envolés ces excuses qui me brûlaient le palais.

— Partons d'ici, me demanda-t-il.

Il avait des cernes énormes sous les yeux. Je dus l'aider à se redresser pour s'asseoir. Comment comptait-il chevaucher ?

Je mourrais d'envie de lui dire oui. Mais j'avais déjà fui une fois sans me retourner. Et voilà où on en était aujourd'hui. Il avait beau dire que ce n'était pas ma faute, je ne pouvais m'empêcher de me sentir responsable de son état. C'était facile de partir sans se retourner, c'était plus compliqué d'affronter les choses en face. Même si j'étais d'accord qu'il valait parfois mieux de se mettre à l'écart, le temps de se poser et de réfléchir.

— Nous devons d'abord voir ta sœur. Nous lui devons au moins ça, lui répondis-je en lui tendant un verre d'eau.

— Pourquoi ? Je ne supporte plus cet endroit.

Je n'arrivais pas à savoir s'il grimaçait parce qu'il nous voulait pas rester plus longtemps, ou parce qu'il avait du mal à parler.

Je le comprenais. La pomme avait l'air magnifique de l'extérieur mais le ver l'avait pourrie. Syrae allait avoir fort à faire, même si je ne doutais ni de ses capacités et ni de son engagement. De plus, elle pouvait compter sur le soutien de Klearn. Même s'ils devraient rester discrets le temps de trouver une solution.

— Moi non plus je ne le supporte plus. Mais tu ne peux pas partir sans lui dire au revoir. Il faut que quelqu'un prépare les chevaux et notre paquetage. Et j'ai quelque chose de très important à te dire. Si ensuite, tu ne veux plus de moi, je comprendrais.

Je n'osais pas croiser son regard. J'avais peur qu'il ne veuille pas endosser avec moi le fardeau que je trimbalais. Je ne pouvais exiger ça de lui.

— Ash ... Je suis ... La Reine choisie par l'Ezékie, soufflais-je d'une traite en relevant la tête. Etre avec moi, signifie devenir le roi de ce pays.

Je ne décelais dans ces yeux qu'une acceptation profonde qui me réchauffa le cœur. Je n'osais y croire.

— D'accord. Je ne sais pas si je serais à la hauteur.

Mon enthousiasme retomba quelque peu. Je devais trouver comment l’entraîner avec moi. J'avais besoin que cet homme se reconstruise avec notre pays.

— Je comprends tes doutes. Crois-tu que moi je pense être au niveau ? J'ai beaucoup voyagé et découvert dans ce monde. J'ai fait des choses que je regretterais toute ma vie. Pourtant, qui de mieux que toi, qui aime profondément ce monde, qui a tout quitté pour lui redonner une chance, pour m'aider dans cette tâche ?

— Ellie ... Je ne suis plus le même.

— Ça tombe bien, moi non plus.

Je serrais sa main dans la mienne avant de continuer.

— Nous devons nous reconstruire avec lui. C'est grâce à ça que nous y arriverons. Je suis prête à te laisser tout le temps qu'il faudra. Je t'aime Asher, concluais-je en me penchant pour poser délicatement mes lèvres sur les siennes.

Il me surprit par la vigueur qu'il mit dans ce baiser. Ses yeux brillants de larmes n'enlevant rien à l'intensité du moment.

— Mon Amour, souffla-t-il tout proche de mes lèvres.

Nous dûmes patienter encore quelques jours avant de pouvoir partir. Malgré sa volonté à toute épreuve, Ash devait encore récupérer. J'avais dû mal à le quitter plus de cinq minutes. J'avais peur qu'il disparaisse à nouveau. Nous passions toutes nos nuits ensemble. A se redécouvrir sagement et lentement. Nous n'avions que trop été séparés.

L'impatience bouillonnait également en moi. L'Ezékie m'appelait de plus en plus fortement. Je devais retrouver mon palais. Quel palais ? Je n'en savais rien. Je compulsais tous les livres que je pouvais trouver sur le sujet. C'en était maladif. Je devais absorber le plus d'informations possible. Je ne trouvais que de brèves allusions à un palais magnifique et resplendissant, une des plus belles merveilles de ce monde. Mais la localisation était floue. Tous les repères avaient changé depuis le temps qu'il avait disparu.

Il était temps pour nous de partir. Je me réveillais fiévreuse en pleine nuit, J'avais beau me dire qu'il fallait qu'Ash récupère, je n'arrivais plus à patienter. Lui non plus ne supportait plus la situation. Etre enfermé en ces lieux lui rappelaient trop de mauvais souvenirs. Le peu de fois où nous nous éloignions l'un de l'autre, je le retrouvais errant sans but dans les jardins de l'Académie. Les yeux perdus dans le vague. Je devais alors user de force de douceur et de persuasion pour le faire revenir dans le présent.

Nous réussîmes à prévenir Syrae de notre départ. Elle vint en douce nous dire au revoir. Elle faisait courageusement face en attendant qu'Oregon trouve une solution qui satisfasse tout le monde. Elle nous assurait être proche du but, mais je la sentais soucieuse. Après un dernier signe de la main, nous partîmes dans la Brume à la recherche de notre avenir.

FIN

[Suite or not suite ? Cela dépendra de vos retours ! :) ]

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