Chapitre 24

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En sortant de la salle d'audience, je fus interceptée par les gardes.

— La Reine souhaite vous parler en privé, m'informa le capitaine.

Je n'arrivais pas à cerner cet homme froid. De quel côté était-il ?

— Juste me parler ? Permettez-moi d'avoir des doutes, répondis-je avec aigreur.

Ils ne bougeaient pas et nous ne laissaient pas passer. Ash et Oregon me jetèrent un regard interrogatif, je leur fis signe de rester calme.

— Ça ne vaut pas la peine de faire une nouvelle scène juste après le procès.

— Capitaine, vous assurerez vous de sa sécurité ?

— Bien entendu mon Prince, acquiesça ce dernier.

Celui-ci semblait acquis à la cause d'Ash. Celui-ci semblait lui faire confiance. Je devrais faire de même. La Bête n'était pas totalement revenue et nous n'avions pas encore eu le temps d'en chercher plus à son sujet. Oregon avait fait chou blanc et elle avait lancé l'Ambusien Suprême sur le sujet. Galaeron avait l'air de dire qu'il savait ce que j'étais, mais je ne croirais rien qui sorte de sa bouche.

Je fus conduite dans son boudoir où elle m'attendait. Une rage froide et calculatrice animait son visage.

— Etes vous fière de vous très chère ?

— Je suis fière que justice ait été rendue.

— Tss tss, vous pensez vraiment pouvoir gagner face à nous ? Vous avez peut-être pris le fou, mais rien ne dit que vous n'êtes pas déjà échec et mat. Vous n'êtes qu'un pion.

Un vilain pressentiment s'accrocha à moi telle une toile d'araignée visqueuse. Que m'avait-elle réservée ?

— Profitez bien de votre idylle avec mon second fils. Tant que vous le pouvez encore ... susurra-t-elle avant de se détourner pour sortir.

Je me retrouvais abandonnée dans cette pièce, glacée jusqu'aux os par ces paroles. J'avais beaucoup plus à perdre que ce que je pensais au premier abord. Selana, Oregon, Ash, Syrae, Klearn, ... Ils étaient tous des piliers dans ma vie. Je lui avais enlevé le fils qu'elle avait formaté pour lui succéder, qui allait-elle tenter de m'enlever ?

Les semaines suivantes permirent de faire retomber l'agitation. L'héritier étant tombé en disgrâce, le peuple se demandait qui prendrait la suite du couple régent. La fille Dotée qui était trop proche de l'Ambusien Suprême pour garantir la séparation du pouvoir et de l'Académie ou le Prince Vagabond ? Heureusement, le couple royal était encore assez jeune pour que la question ne se pose pas tout de suite.

Nous effectuâmes de nombreuses recherches à l'Académie, mais nous ne trouvâmes pas grand-chose sur mon cas. Ce que je vivais se rapprochait d'une fusion démoniaque mais sans la folie et toutes les joyeuses modifications physiques y afférent. J'avais mal au crâne et à la nuque de rester penchée en permanence que les écrits. La bibliothèque était si vaste que je n'étais pas certaines que nous aurions assez d'une vie pour tout compulser.

J'avais régulièrement des nouvelles de Selana. Elle reprenait goût à la vie et progressivement confiance en soi grâce au soutien de sa famille. Il restait quand même certains crétins pour insinuer qu'elle aurait mieux fait de se taire et que c'était un honneur pour elle d'avoir été remarquée par le Prince. Bizarrement, ils étaient de plus en plus rares. Ah bon, ça calmait de les voir réapparaître avec autant de bleus que ce qu'elle avait eu ? Enfin ... Quand ils réapparaissaient ...

À part ça, la vie était plutôt tranquille quand tout partis en couille.

— Elisabeth !

C'était Syrae, essoufflée, qui venait de franchir en trombe les portes de la bibliothèque.

— Humpf ?

Je relevais à peine les yeux de l'ouvrage que je consultais.

— C'est Ash, il lui est arrivée quelque chose.

Le sang quitta mon visage et je crus que mon cœur allait sortir de ma poitrine d'affolement. Je me levais pour me précipiter à sa suite.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Comment va-t-il ?

Elle nous fit entrer dans une salle et lorsque je vis les larmes envahir ses yeux, un étau pressa mon cœur et une horrible certitude s'ancra en moi.

— Père et mère l'avaient envoyé en mission de surveillance. Il a été pris dans une échauffourée, son cheval a trébuché et a dû l'écraser. Elisabeth, je suis désolée ... Asher est mort.

A ces mots, je hurlais de douleur et de rage. Mon premier amour, le seul, l'unique, était mort ? Non ce n'était pas possible ! Je l'aurais sentie ! Ça ne se pouvait pas ! Pourtant, vu le visage de Syrae, ça ne pouvait qu'être vrai. Mon âme s'enfonça au plus profond de moi, perdant tout sens de la réalité. Laissant complètement les rênes à cette chose qui m'habitait.

Nous ne savions toujours pas pourquoi j'étais comme ça et si à terme la Bête pouvait grignoter mon âme. A ce moment-là, je m'en foutais royalement. Je ne voulais pas vivre dans un monde où Ash n'était plus.

J'étais sûre que ce n'était pas une coïncidence. Pas après les menaces de la Reine. Elle ne reculerait devant rien, pas même assassiner un fils, pour obtenir sa vengeance.

Je perdis tout sens commun, et pour la seconde fois, je m'enfuis de l'Académie. La Bête avait pris le contrôle de mon corps. Elle pensait que c'était la meilleure chose à faire, s'éloigner de tout ça pour aller panser ses blessures. Après, nous reviendrions achever le mal à la racine. Le meurtre allait devenir ma solution de prédilection. Si j'avais pu m'y résoudre avant, mon amour serait encore de ce monde, j'en étais persuadée. Ah ils voulaient un Purificateur, ils n'allaient pas être déçus du voyage.

Je m'enfonçais au plus profond de moi, abandonnant complètement le navire. J'avais envie de retourner me ressourcer auprès de mes parents. Et en même temps, j'avais peur de ce qu'ils pourraient penser de moi. J'étais devenue une meurtrière, j'avais fait des choses qu'ils réprouveraient, même si c'était dans le but de sauver ma peau. Pourtant, j'avais espoir qu'ils ne me jugeraient pas et prendraient soin de moi comme ils l'avaient toujours fait. Au plus je m'enfonçais, au plus j'avais l'impression de me rapprocher d'eux.

— Ma chérie ! Que fais-tu là ? Comment es-tu revenu ? Oh mon bébé !

Ma mère se précipita sur moi, en pleurs. Mon père déboula de la cuisine, les yeux écarquillés, s'emplissant également de larmes en me voyant. Je sentis leurs bras s'enrouler autour de moi et leur amour m'envelopper. Je m'autorisais une entorse à ma résolution et m'effondrais, des torrents salés dévalant mes joues.

— Papa ! Maman ! C'est bien vous ?!

— Mon cœur, tu viens d’apparaître de nulle part au milieu du salon.

Il s'écarta de moi pour me contempler.

— Deux longues années ! Mon dieu que tu as grandi ! Que tu es belle ! Nous avons reçu de tes nouvelles peu après ton départ et il y a plusieurs mois de ça.

— Tu as l'air effondrée ma puce. Que se passe-t-il ?

Je sentais ma peau me tirailler des tous les côtés. Je ne savais pas comment j'avais atterri là, je savais juste que mon temps était compté avec ma famille.

Je secouais la tête, la gorge serrée, je n'arrivais pas à parler. Je devais profiter de ces quelques instants qui m'étaient accordés. Je ne devais pas les inquiéter plus qu'ils ne l'étaient avec mes problèmes.

— Vous me manquez ...

— Tu nous manques aussi mon cœur. Mais nous savons que est bien entourée, n'est-ce pas ?

Je dus mettre toute ma volonté en œuvre pour ne pas craquer et ne pas tout leur dire. Je me contentais de hocher la tête et d'à nouveau les serrer fort contre moi.

— Oui tout va bien, c'est juste dur loin de vous. J'aimerais tellement que vous puissiez venir ... Je ne peux pas rester longtemps et je ne sais pas si j'arriverai à revenir ... Je sens que je commence à repartir.

Mon esprit commençait à flotter et se déliter. Ma vue se floutait.

— C'est déjà un super cadeau que nous avons eu là de pouvoir te revoir. Nous t'aimons tellement ma chérie ...

— Je vous aime aussi !

Et comme un élastique qui claque, mon esprit repris place dans mon corps. J'étais complètement désorientée, toujours spectatrice de mon corps qui s'enfuyait en quatrième vitesse sur le dos de Shadow. Je n'avais pourtant pas l'impression que cet intermède bienvenu ait duré longtemps.

J'étais persuadée que ça n'avait pas été un rêve ni une construction de mon esprit dérangé. J'avais senti l'odeur de mes parents, leurs bras autour de moi. Ça m'avait fait un bien fou, comme un baume sur mon coeur meurtri.

Je ne savais pas si la vie valait toujours la peine d'être vécue, s'il n'était pas mieux que les mondes soient purifiés avant d'être unifiés. Pour autant, je savais que pour eux, je n'avais pas le droit d'abandonner. Ils avaient sacrifié leur amour pour moi à une pseudo-destinée. Ils comptaient sur moi. Je ne pouvais pas les décevoir.

Shadow galopait. Vers où ? Je n'en savais rien. Mon esprit oscillait entre raison et folie. Nous ne nous arrêtions que pour que nous puissions dormir et manger, faisant non pas en fonction du rythme journalier mais par rapport au nôtre. Quelques bandits tentèrent d'entraver notre route. Je n'avais aucune conscience en les abattant. La pitié n'avait plus sa place. J'avais trop perdu à cause d'elle. J'avais de la peine pour mon innocence perdue en chemin.

Les pas de ma monture me conduisirent dans une région qui m'affectait particulièrement. L'Ezekie. Une fois sur ces terres, Shadow calma le rythme, se contentant de trottiner ou marcher, on était loin du triple galop des débuts.

Mon âme repris peu à peu sa place dans mon corps. Repoussant progressivement l'obscurité. Je regardais cette terre qui après une terrible histoire commençait à reprendre goût à la vie. Des touffes d'herbes venaient progressivement reprendre leurs droits dans ce désert.

A force d’errer, nous tombâmes sur un groupe de nomades qui nous connaissions bien. Jusqu'à présent, je les avais tous soigneusement évités. Cette fois-là, je fus poussée par une force invisible m'obligeant à les rejoindre.

— Bonjour Marcheur, allais-je me présenter.

— Bonjour à toi Enfant de Lune, s'inclina-t-il. J'ai appris pour ton ami, que le vent emporte ses traces.

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