Chapitre 20

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— Tu veux bien m'expliquer ce que c'est ?

— Je ne vais pas avoir le choix pour que tu comprennes à quoi tu t'attaques. L'Ambus c'est une magie « facile », tu nais Dotée ou non, c'est ce qui fait que tu peux utiliser cette magie ou non, avec une certaine facilité pour un domaine.

J'étais toute ouïe qu'elle me parle enfin de cela. Je buvais ses paroles dans l'intimité du clair de lune.

— La Magie Ancienne, c'est autre chose. Contrairement à la première, tout le monde peut potentiellement y avoir accès. Mais ça peut être plus ou moins dur. Tu dois sacrifier une partie de toi pour t'ouvrir à elle et tu dois te lier à un être. Pour ça, tu peux devenir métamorphe ou alors effectuer une projection de ton essence vers cet être, avoir un familier.

Je repensais aussi tôt au serpent avec lequel Sylf se baladait en permanence.

— Ensuite, tu n'as plus beaucoup de limites, sauf que ce pouvoir n'affaiblit pas l'Ambus mais ton âme. C'est elle ton réservoir, c'est pour ça qu'il faut la consolider. Et si tu perds ton âme, tu perds la raison, la vie, l'amour ... Certains sorts vont pouvoir t'aider à la régénérer, d'autres vont t'épuiser et te vider jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à celle de trop.

J'eus très peur de comprendre. Peur que ce que j'avais cru entendre dans mon rêve une nuit ne sois une réalité. Peur de réaliser qu'elle ne vieillissait pas mais depuis bien plus longtemps que ce que tout le monde pensait.

— Ne me dis pas que ... Ton premier amour ... C'était ... L'Ambusien Suprême !

Je soufflais difficilement ces derniers mots. Au cours de notre périple, les seules fois où elle avait abordé la Magie Ancienne c'était pour parler de lui. Tout s’emboîtait et concordais. C'était pour ça qu'elle en savait autant, que ce livre semblait sortir directement de la collection privée de l'Ambusien Suprême. Elle avait assisté à la grandeur des royaumes, à leur déclin, à l'engagement de cet homme qu'elle aimait encore de toute son âme immortelle.

Elle serait en droit de me détester, c'était à cause de cette prophétie qu'il avait disparu. Pour un espoir qui ressemblait à quoi ? A une gamine de presque 18 ans qui essayait de devenir forte ? Qui faisait semblant de tout comprendre et de garder la foi ?

Reprenant légèrement mes esprits, je tournais la tête mais aussi silencieusement que j'étais arrivée, elle était partie. En même temps, ça faisait un paquet de siècles qu'elle pouvait s'entraîner.

Je m'étonnais qu'elle ne soit pas devenue folle à vivre comme ça. Garder espoir que son grand amour ne se soit pas sacrifié pour rien, tout en s'attachant à des personnes qu'on sait qu'on perdra. On ne sait pas quand sera la dernière génération avant l'Enfant de Lune. Et même si, je n'avais aucune idée de ce qu'elle souhaitait faire par la suite. Peut-être se voyait-elle veiller sur nos enfants, nos arrières petits enfants ?

J'eus un nouveau choc en pensant à ça. Je m'imaginais des petits blonds presque blancs aux yeux couleurs océans courant partout. Je ne m'étais jamais sentie aussi proche de quelqu'un.

Mes yeux commençant à me piquer de nouveau, je repris mes affaires et repartis dans ma chambre. Toujours sous le choc, je sombrais dans un sommeil agité.

Je fus réveillée le lendemain par des coups légers frappés à ma porte. Me demandant qui venait me déranger, je grommelais un « entrez » qui dû être intelligible vu que la porte s'ouvrit.

— Elisabeth ?

J'étais tellement heureuse d'entendre cette voix.

— Selana !

Je me redressais pour la serrer dans mes bras. Je la sentis se crisper légèrement, certainement un peu de gêne. Après tout, ça faisait un an et demi qu'on ne s'était plus vue. Je n'avais même pas pu lui dire au revoir avant de me sauver d'Arenlone.

— Mais tu n'es plus au château ?

— Exceptionnellement, je te suis détachée à l'Académie. Syrae pensait que ça te ferait plaisir de me voir alors elle a insisté dans ce sens.

Elle souriait mais celui-ci n'atteignait pas ses yeux.

— Que se passe-t-il ? demandais-je en attrapant son bras.

Je vis son visage changer totalement d'expression. Non seulement la moindre parcelle de son corps se raidit, mais en plus de ça elle blanchit à rattraper la couleur de mon drap et à se protéger le visage de son second bras. Bien que ma posture n'était pas menaçante, elle se trouvait maintenant en position de victime. Le tout en moins de trente seconde.

— Rien du tout, répondit-elle d'une toute petite voix.

La colère commençait bouillonner dans mes veines. Il ne fallait pas être sorti de Saint Cyr pour voir que non, il n'y avait pas rien.

Je ne répondis pas mais commençait à remonter sa manche. Cette fois, ce fut moi qui blanchis à mesure que je découvrais ses bras. Ils étaient couverts d'ecchymoses. Je quittais ses bras pour la regarder dans les yeux en me défiant de me mentir une nouvelle fois. Elle baissa des yeux brillants de larmes, honteuse.

— Selana, s'il te plait, ne me mens pas. Que t'arrive-t-il ? Qui ?

Elle secouait la tête, incapable de répondre. Je tenais toujours son poignet dans l'étau de ma main. Elle ne partirait pas d'ici sans une bonne explication. J'avais conscience que ma poigne devait lui rappeler de très mauvais souvenirs. Pourtant, je ne pouvais pas la lâcher. Je sentais qu'elle prendrait la poudre d'escampette.

Elle ne peut que souffler un seul mot avant que je ne la libère.

— Galaeron.

Et sur ce, je deviens folle, j'enfilais une tenue à la hâte avant de descendre au terrain d'entrainement. J'avais croisé Syrae dans le couloir qui en me voyant s'était précipitée afin de soutenir une Selana en pleurs. J'espérais qu'il y aurait un adversaire à ma hauteur sinon j'allais défoncer tous les mannequins.

Je prenais sur moi-même pour ne pas aller défoncer ce connard. Le peu de raison qui me restait me soufflait que je ne ferais qu'anéantir tout le travail fait jusque-là. Ma partie la plus sombre quant à elle me disait de ne pas y aller maintenant non plus mais seulement dans le but de trouver une vengeance des plus appropriés.

L'information que je m'étais transformée en folle furieuse avait dû faire le tour de l'Académie car Oregon m'attendait de pied ferme dans l’arène. Je sentais que mes yeux étaient devenus écarlate comme le sang de mon ennemi que je rêvais de voir couler. Je sentis un sourire carnassier s'étirer sur mes lèvres, la même promesse de déchaînement se dessinais sur celle de mon mentor. Apparemment nous avions toutes deux de la fureur à revendre. Elle contre un ancien amant, moi comme contre un éconduit. Dans notre folie furieuse, nous nous étions malgré tout saisie des armes d'entrainement plutôt que de nos armes habituelles.

Oh nous n'avions rien à nous reprocher l'une à l'autre. Nous n'avions jamais eu d’engueulades sérieuses ensemble. Mais aujourd'hui, nous avions toutes les deux atteint un trop plein de violence qui devait sortir. Heureusement que nous en étions arrivées ensemble à ce point là. Nous avions l'habitude de combattre ensemble et, si j'avais été en état de réfléchir, j'aurais sincèrement plaint celui qui aurait pu se trouver en face. Je me félicitais de n'avoir pas cédé à l'appel de la vengeance de manière aussi barbare.

Nous nous tournions autour tels deux fauves se jaugeant. Je connaissais la plupart de ses faiblesses comme elle connaissait la majorité des miennes. Nous étions bien conscientes que ce ne serait pas le premier sang qui nous arrêterait cette fois-ci mais l'épuisement. Naturellement, je n'avais pas autant d'endurance qu'elle, mais ma rage et la Bête qui courait en moi m'amenait à son niveau. Nous nous faisions face en tant qu'égales.

Puis nous nous élançâmes et le ballet commença. Nous enchaînions les attaques, parades, estocs. Le silence était épais autour de nous, seuls nos râles et le bruit de nos armes s'entrechoquant résonnant. Ce n'était pas faute d'avoir un public. La foule s'était massée autour de l'arène et nous observait. Ils ne connaissaient pas la teneur de notre affrontement, pour autant, ils sentaient qu'à la moindre incartade de leur part, les prédateurs pouvaient s'associer face à cette nouvelle proie. Ils se contentaient d'admirer la technicité dont nous faisions preuve.

Je rendais coup pour coup. Jamais je n'avais réussi à autant l'atteindre, mais je ne me reposais pas sur mes lauriers. Je ne me concentrais pas non plus sur ma technique, ce n'était pas le moment de s'intéresser à la finesse de mes actions. Je cherchais la moindre faille dans sa garde. Je me fis quelques fois avoir par ce qu'elle laissait dans le but de me feinter.

Nous avions beau trébucher et tomber, jamais nous ne faiblissions et repartions à l'assaut avec toute la volonté qui nous tordait les tripes.

Je n'avais aucune notion de la durée de notre affrontement. Nous avions toutes les deux tant de colère à revendre. A celle contre Galaeron s'ajoutait tout ce que j'encaissais depuis le début. Il semblait que c'était mon moyen de craquer. Le choc de mes origines, le déracinement, les tentatives de manipulation, ma fuite à travers un monde que je ne connaissais qu'à travers des livres, cet endurcissement nécessaire, ces hommes que j'avais tués. Tout se mélangeait dans un maelstrom d'émotion qui dévorait tout sur son passage.

Progressivement, je sentis mon souffle se raccourcir, la douleur dans mes muscles s'amplifiait, ils se tétanisaient et commençaient à crier grâce. La rage envers Galaeron continuait de me brûler les tripes mais c'était un foyer couvert et maîtrisé par rapport à l'incendie qui se déchaînait auparavant. Mon mental commençait à fatiguer autant que mon corps.

Oregon devait être dans le même état que moi, nous ralentîmes le rythme pour petit à petit nous séparer en sueur et vidées de toute énergie. Elle arriva à rester droite et digne, elle semblait ne pas avoir brûlée toute sa rancune envers la vie. Elle était tout au moins mise sous contrôle. Quant à moi, je m'effondrais sans autre forme de procès. Je m'évanouis dans le sable.

Avant de laisser à Morphée l'emprise sur mon âme, je me promis de tout faire pour que ce peuple si fier de leurs dirigeants voit le vrai visage de ce Prince si imbu de lui-même. Combien de femmes étaient passées dans ses mains ? Combien d'innocence avait-il brisé ? Jusqu'au avait-il été ? Jusqu'au meurtre ? Il était hors de question que je laisse passer ça. Je compris que c'est aussi ça qui m'aurait attendue si j'avais cédé.

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