Chapitre 19

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Notre troupe me faisait du bien, j'aimais avoir cette proximité et cette complicité que nous entretenions chaque jour. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir de l'anxiété qui croissait avec la distance qui se raccourcissait.

J'appréciais de pouvoir chaque soir m'endormir à côté d'Ash. Je profitais de sa chaleur et de son réconfort. Nous restions sages. Après tout, nous n'étions pas seuls et ça ne faisait pas longtemps que nous nous étions rapprochés. Même si maintenant ça faisait presque deux ans qu'on se connaissait.

Pour autant, ce sentiment était aussi mêlé d'impatience. Syrae me manquait. J'avais hâte qu'elle me raconte les derniers potins de l'Académie, j'avais l'impression que ça faisait une vie que j'en étais partie. J'espérai que Klear et elle c'était toujours d'actualité.

Je me demandais aussi ce que devenait Selena. Elle avait été mon premier soutien à l'arrivée dans cette prison dorée.

Nous décidâmes d'aller directement à l'Académie. Ça risquait d'être pris comme une déclaration de guerre, mais nous ne savions pas ce qui risquait de nous arriver si on allait au palais. Là-bas, nous pouvions avoir du soutien.

— Ellie !

— Syrae !

Dès que nous nous vîmes, nous nous sautâmes dans les bras. L'information avait vite fait le tour, nous avions à peine amené les chevaux à l'écurie qu'elle nous retrouva.

Elle serra aussi son frère dans ses bras avant de saluer Oregon plus sobrement.

— Je n'y croyais pas quand on m'a dit qu'Ash et Oregon était revenu avec quelqu'un te ressemblant fortement. Qu'est ce qui t'a poussé à revenir ? Tu m'as manqué !

— Tu m'as manquée aussi. J'ai besoin de faire des recherches dans la bibliothèque et d'approfondir mes connaissances de l'Ambus.

— Vous allez rester un moment alors ?

— Et oui ! Tu vas devoir à nouveau me supporter ! riais-je.

Ash s'était rapproché de moi, ce que ne manqua pas de remarquer Syrae. Ses yeux s'agrandirent et m’exhortèrent de lui raconter. D'un sourire en coin, je lui confirmais ce que son imagination lui avait soufflé et, d'un signe de tête, je lui indiquais qu'elle saurait tout plus tard.

— Venez, je vais vous installer avant de vous conduire à Klearn.

Tiens tiens, elle avait spontanément laissé tomber le « Maître ». Il semblait qu'il n'y avait pas que moi qui avais des choses à raconter.

Nous eûmes droit à trois chambres dans l'aile des invités, proches des appartements de l'Ambusien Suprême. Ca me fit bizarre de me retrouver isolée de mes compagnons de route. Ca faisait tellement longtemps que je n'avais pas été seule avec ma conscience. J'en profitais pour repenser à tout le chemin parcouru. Bientôt deux ans que j'étais là et je n'étais pour autant qu'au début de mon cheminement et de ce qu'on attendait de moi. J'étais devenue bien plus forte, que ce soit grâce à mes Dons ou physiquement.

Maintenant que j'avais bien pris toute la mesure des responsabilités entraînées par le maniement de l'Ambus, je comprenais d'autant mieux l'intérêt de développer mes autres compétences. Allais-je réussir à me réadapter à ce cadre qui ne correspondait plus autant qu'avant à mon idéal ? Je devais pourtant y arriver. De plus, je n'avais pas le droit d'imposer ma vision à tous, même si elle était sensée.

L'Ambus était un cadeau de la nature. Comme toute ressource, il devait être utilisé en bonne intelligence et non pas à tort et à travers. Nous ne savions pas quelle quantité nous était allouée. Certes, nous avions compris qu'il se régénérait mais quand ? En combien de temps ? Y avait-il un maximum ? Tant que les limites n'étaient pas atteintes, nous ne pouvions pas le savoir.

Et cette Bête qui cohabitait avec moi, qu'est-ce que j'étais exactement ? Depuis que nous avions été en contact avec la Frontière, je ne la sentais plus pareil. Avant, grâce aux exercices de méditation, je pouvais en quelque sorte entrer en contact avec elle, sentir son ressenti. Aujourd'hui, j'avais comme l'impression que tout est diffus en moi. Certains angles de ma personnalité me semblaient érodés. Notamment des aspects moraux, j'avais moins de scrupules. Par exemple, je n'hésiterais pas à abattre froidement le roi et la reine s'ils se mettaient en travers de mon chemin, alors qu'avant notre fusion, je cherchais un moyen d'apaiser les tensions. J'étais plus déterminée, si je devais mettre les mondes à feu et à sang pour protéger les miens, je m'en sentais capable.

Ces pensées me provoquèrent des sueurs froides. Je décidais de me ressaisir en me lavant dans la baignoire. Elle me faisait envie depuis que j'avais passé la porte de cette chambre. Ah ce n'était pas pareil que le quartier des apprentis ! Ici on était aux petits soins. Je sortis de ma chambre propre bien que toujours soucieuse. J'espérais que je trouverais des réponses à mes questions.

Nous fûmes reçus dans le salon de Maitre Klearn. Je décelais par-ci par-là une petite touche féminine, celle de Syrae. Après avoir vécu plusieurs mois avec elle, je reconnaissais sa pâte dans d'infimes détails : une fleur, un bibelot, ... Leur relation avait donc bien évolué ! J'étais heureuse pour elle. L'avait-elle annoncé à ses parents ? Avait-elle renoncé à la cour ?

— Oregon ! Ça fait du bien de te revoir après autant d'année !

— Klearn ! Tu m'en diras tant ...

Ces deux-là se connaissaient bien. Klearn et Oregon avaient parcouru une partie du monde ensemble avant qu'il ne devienne l'Ambusien Suprême. Il ne s'était jamais rien passé entre eux.

— Tu es venue prendre ton poste ?

— Mon poste ?

— Eh bien celui de Maître de la Magie Ancienne !

Alors là j'étais scotchée. Elle n'avait pas voulu me l'apprendre et ici on lui proposait carrément de l'enseigner !

— Certainement pas ! C'est bien trop dangereux. Le débat est clôt depuis des années. J'ai juste besoin de consulter la bibliothèque.

— Oregon ! Il faut être affilié à l'Académie pour la consulter.

On sentait qu'il voulait à tout prix la rattacher à l'Académie. Apparemment on attaquait directement sur la discorde, ça donnait envie tient.

A ces mots, elle eut un rire franc.

— Mon cher Klearn ... Tu sais bien que tu ne m'auras pas comme ça. J'ai un accès privilégié que tu ne pourras jamais m'enlever. Professeur ou non.

— Tu ne peux pas m'accuser d'avoir essayé. C'est qu'aujourd'hui nous n'avons personne pour enseigner la Magie Ancienne. Pourtant, de nombreux manuscrits existent et circulent. A croire qu'ils ressortent du placard justement maintenant. Et sans personne pour les guider, comment veux-tu qu'ils fassent la différence et comprennent les enjeux ? Qui mieux que toi peut leur enseigner la valeur de la vie ? Ne me donne pas ta réponse tout de suite, mais j'ai dans l'idée que tu vas passer un peu de temps ici, alors, réfléchis-y s'il te plait.

Elle ne répondit pas, mais je vis ses arguments faire mouche. Il la titillait et la bousculait. Il lui faudrait un peu de temps pour admettre qu'il avait raison et qu'elle était la plus qualifiée pour ça. J'avais cru comprendre qu'il n'y avait que très peu de pratiquants ou au moins connaisseurs et qu'elle était la plus expérimentée. Pourtant, elle ne voulait pas toucher à cette magie.

Ensuite nous déviâmes sur les dernières nouvelles de la cité et des autres royaumes. Oregon lui fit un compte rendu détaillé de l'état de chaque contrée. Des échauffourées éclataient régulièrement un peu partout, les conflits semblaient devenir des plus en plus courants. Je sentais parfois le regard pesant de Klearn, comme s'il m'incitait à réagir mais que pensait-il que je doive faire ? C'était bien d'ailleurs cette prophétie à la noix, mais je devais en faire quoi ? Déjà, j'allais tenter de survivre à la prochaine confrontation avec les parents d'Ash et après on verrait.

Nous étions lessivés de la route que nous venions de parcourir, ce qui fit que la conversation ne dura pas des heures. Après un frugal repas, chacun regagna sa chambre. J'aurais aimé qu'Ash me rejoigne, mais il devait passer au palais. Ses parents avaient déjà eu vent de son retour et demandaient - enfin exigeaient - son rapport de la Frontière Maudite. On avait établi ensemble une version de ce qui avait pu m'arriver. Nous devions coller au plus près de la vérité, car ils avaient des espions partout. Heureusement, j'avais été le plus isolée possible et très peu de personnes m'avaient vue aussi affaiblie et en même temps pas vraiment sans défense.

J'avais aussi peur pour lui. Qu'est ce que ses parents lui réservaient ? J'espérais aussi que notre rapprochement ne lui nuirait pas. J'avais tenté d'en parler avec lui mais c'était peine perdue. Même en pleine civilisation, il n'hésitait pas à montrer que j'étais sous sa protection et que nous étions ensemble. Encore un peu et il me pissait dessus pour marquer son territoire. Après qu'il m'eut lâché la première fois, j'avais envie d'en profiter. En même temps j'appréhendais les conséquences.

J'étais allongée dans mon lit mais je ruminais tellement toutes ces pensées que je n'arrivais pas à m'endormir. Je me tournais, me retournais, me re retournais, me re re re... oui bon je m'arrêtais là et décidais de prendre l'air. Je m'installais à la fenêtre pour observer ce ciel étoilé et les trois lunes qui me regardaient. J'avais vu sur le pré où étaient les chevaux. A la leur des astres, je vis une silhouette que je reconnus assez vite. Il semblait qu'Oregon non plus n'arrivait pas à dormir. Sentant Morphée très loin de s'occuper de mon cas, je décidais de m'habiller pour la rejoindre.

— Hey mon beau.

Je flattais Shadow qui vint tout de suite me rejoindre. J'avais prévu le coup et chapardé quelques carottes en cuisine. Il posa ses naseaux contre mon épaule et son souffle chaud m'enveloppa. Sa présence m'apaisa.

Sans un bruit supplémentaire, je partis m'installer près d'Oregon. La nuit étant fraîche, j'avais aussi apporté deux couvertures. Bien qu'elle ne bougeât pas d'un pouce, je savais qu'elle avait senti ma présence. Perdue dans les méandres de ses pensées, elle observait les étoiles, comme si elle cherchait à en percer les secrets.

— Ai-je vraiment le choix d'enseigner la Magie Ancienne ?

— On a toujours le choix. Tu peux aussi les laisser se débrouiller.

— Et si celui qui vient prendre cette place n'a pas les mêmes intentions que moi ?

— Alors tu ne pourras rien dire. Mais c'est quoi cette Magie ? Pourquoi elle vous fait peur ?

Elle marqua une pause avant de tourner vers moi un regard triste et hanté. Je ne l'avais jamais vu aussi vulnérable et j'eus l'impression de recevoir un couteau chauffé à blanc dans le cœur. J'étais bouleversée au plus profond de moi-même de la voir comme ça.

— La Magie Ancienne m'a pris la personne que j'aimais le plus au monde ... Et quand j'ai cru cette personne réincarnée en ce monde, c'est encore elle qui l'a fait fuir.

— Sylf ...

Elle hocha la tête et ferma les yeux, comme si ces souvenirs étaient trop douloureux pour être partagés.

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