Chapitre 22

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La salle de bal était magnifique. On se serait cru à Versailles. De grands miroirs agrandissaient la pièce. Les lustres majestueux dispensaient une lumière vive et chaleureuse sans pour autant être éblouissante. Les immenses fenêtres donnaient quant-à elle sur des petits balcons avec la vue sur le jardin à l'anglaise et son joyeux fouillis magnifiquement organisé.

Je l'avais vu de jour en visitant le palais et elle m'avait déjà impressionnée. Décorée et mise en valeur comme elle l'était à cet instant, j'en restais ébahie, elle était époustouflante.

— Princesse Syrae de la cour d'Argentour et l'Enfant de Lune ... Elisabeth, annonça le héraut.

Il avait hésité à dire le prénom, mais voyant ma tête à l'annonce du titre, il s'était très rapidement adapté. Déjà que j'en avais marre de ce titre, alors ne me faire appeler que par ça, il fallait pas déconner.

Après avoir passé autant de temps cachée, j'étais fébrile d'être le centre de l'attention d'autant de monde. Je me serrais bien enfuie dans un trou de souris. Dommage, on ne fait pas que ce qu'on veut ...

Je me demandais aussi comment allait se passer mes retrouvailles avec le reste de la famille royale. Je repérai très rapidement le regard concupiscent de Galaeron. Je me demandais s'il n'avait pas oublié qu'il devait cligner des yeux. Je dus faire de très gros efforts pour lui adresser un signe de tête, voir un début de sourire. J'espérais que ça n'avait pas trop ressemblé à une grimace.

Je vis le roi et la reine. Ils ne trahissaient rien. Leurs émotions et leur cupidité soigneusement cachées sous un masque d'impassibilité. Pourtant, je me doutais qu'intérieurement, ils bouillonnaient encore de notre dernière rencontre.Je pris un instant pour les regarder dans les yeux, en tentant de ne pas y faire briller une lueur de défi.

Ensuite mon regard glissa sur Ash qui n'était pas très loin. Son regard était brûlant, plein de promesses de choses interdite aux moins de 18 ans. Heureusement que je les avais bientôt dites donc ... Une vague de chaleur parcouru mon corps et se nicha ensuite au creux de mes reins. Je devais faire très attention à ne pas trahir mon trouble. Syrae à côté de moi le remarqua, elle eut la délicatesse de ne rien dire.

Pour reprendre une contenance, je pris une coupe sur le plateau d'un serveur qui passa près de moi. N'ayant pas l'habitude, je devais faire attention. Un verre m'aiderait certainement à me détendre, mais pas plus.

De nombreux notables du royaume vinrent me saluer. Quelques regards trop insistants me mirent mal à l'aise. D'autres, plus nombreux heureusement, étaient chaleureux. Les commérages allaient bon train et je tentais de ne pas y accorder trop d'attention. Preuve que la famille royale n'était pas des plus sereines, de nombreux gardes se fondaient dans le décor. Oregon m'avait entraîné à détecter les hommes d'armes, je n'eus donc que peu de mal pour les repérer.

Une voix pleine de venin s'adressa à moi.

— Enfant de Lune ... Vous voilà enfin de retour parmi nous. Vous nous honorez de votre présence, me dit-elle avant de reprendre un ton plus bas, j'ose espérer pour vous que vous avez enfin compris où est votre place.

Je gratifiais la reine d'un signe de tête poli. Alors que j'avais juste envie de lui sauter dessus pour l'égorger. Intérieurement, je frémissais de dégoût. Rancunière cette garce ? Évidemment. Je devais jouer dans son jeu même si ça me coûtait beaucoup.

— Ma reine. Je ne sais pas, beaucoup de choses sont remises en questions ...

Ma voix hésitante et chevrotante n'était qu'en partie simulée par le malaise qu'elle m'inspirait. J'avais peur de jouer trop gros. Serais-je à la hauteur ?

Le sourire qu'elle arbora brillait d'une joie mauvaise.

— Ne vous inquiétez pas, mon fils saura vous convaincre que vous faites le meilleur choix.

Je compris parfaitement qu'elle parlait de Galaeron, comme s'il était son seul fils. Le coup d’œil qu'elle lança vers celui-ci appuya ses paroles. J'avais froid dans le dos, que m'avaient-ils préparé ? Quelle erreur avais-je faite en revenant ici ? Je n'avais qu'une envie, m'enfuir à toutes jambes et ne jamais revenir. Pour autant, au vu de ce que je savais du Prince, avais-je le droit de le laisser continuer à agir en toute impunité ?

Elle se méprit sur l'air pensif et soucieux que j'arborais, ce qui permit au moins qu'elle parte saluer le reste de ses invités en me laissant seule.

J'en boulottais de nombreux petits fours. Il allait me falloir du courage pour entamer l'étape suivante : faire croire à Galaeron qu'il m'intéressait. J'espérais qu'il ne mettrait pas longtemps à dévoiler sa vraie nature, je n'avais que peu de doutes mais je n'arriverais pas à maintenir mes apparences longtemps. Je ne devais pas trop me goinfrer non plus, il ne manquerait plus que je lui vomisse dessus. Ce serait de mauvais effet ...

— Ma Dame ! Vous ici est un exquis plaisir pour mes sens.

Galaeron me salua d'une courbette prononcée.

Quand on parlait du loup, il devait attendre l'approbation de sa mère avant de courir dans mes jupons. On voyait bien que c'était elle qui tenait la cour et les intrigues. Le roi la suivait et appuyait ses décisions mais il était plus fantôme qu'autre chose. Même s'il était du même moule que son épouse, on voyait assez rapidement qu'il n'avait pas sa force de caractère et son ambition. Pour autant, il ne lésinerait pas sur les moyens pour satisfaire celles de sa femme. La morale n'avait pas sa place dans leur vie. Je me demandais comment Syrae et Ash avaient pu s'en sortir en grandissant au sein de cette cour.

J'avais presque de la peine pour Galaeron, comment voulez-vous être sain d'esprit quand vos parents sont aussi tordus ? Je dis bien presque, le reste de la fratrie prouvait bien que rien n'était figé et qu'on pouvait se sortir de ça, ce n'était pas héréditaire.

— Moi de-même, me forçais-je à répondre en le saluant à mon tour.

Un sourire ravi et gourmand étira ses lèvres.

— J'espère que vous avez fait bon voyage. Je suis également attristé du comportement de mon cher frère qui peut être si .... impérieux parfois. J'ose croire que vous ne reporterez le déplaisir que vous a causé celui-ci sur le reste de notre famille.

Son ton obséquieux me répugnait. Enfin s'il n'y avait que ça, ça irait. Si on ne regardait que l'enveloppe, il était beau. Dans l'ensemble il ressemblait à Ash, avec des yeux tirant plus sur le gris que le bleu, et des cheveux plutôt blond que ce blanc neige que j'affectionnais. Par contre, si on commençait à regarder en détail, une lueur vicieuse et mauvaise brillait dans ses yeux, rappelant ainsi sa mère.

— Ne vous inquiétez pas, j'ai bien conscience que vous êtes très différents.

Distiller la vérité dans le mensonge. Contre toute attente, je réussis à ne pas mettre toute l'ironie dont j'étais capable dans ces mots. Juste la vérité, rien que la vérité, je le jure. Pfiou, quel exercice de style. Si j'étais amenée à rentrer chez moi, je ferais fureur au théâtre.

Il acquiesça d'un signe de tête ravi.

— M'accorderez-vous une danse ?

La musique venait d'entamer ses premières notes. Je compris que tout avait été parfaitement calculé par la reine mère. Ainsi, je n'avais pas le choix que d'ouvrir le bal avec lui, nous présentant d'ores et déjà comme un couple Princier. Je ravalai la bile qui remontait dans ma gorge.

Je ne pus m'empêcher de regarder en direction d'Ash et la jalousie me vrilla les tripes. L'une des meilleures parties du royaume était à son bras pour cette première danse si importante. Même si notre plan n'avait pas été en jeu, je ne pouvais pas créer un scandale ici au milieu de tous ces gens. Je me retins de toutes mes forces pour ne pas me dégager de l'étreinte de Galaeron.

A la fin de cette ouverture il ne me lâcha pas. Je ne supportais plus ses bras autour de moi, son souffle beaucoup trop proche de mon cou. J'avais eu des cours de danse accélérés, ce qui me permit de ne pas me rendre ridicule. Nous virevoltions sur la piste mais il ne semblait pas fatiguer. Heureusement que j'avais acquis de l'endurance.

Enfin il s'arrêta. Je grimaçais.

— Vous n'avez pas l'air bien, souhaitez-vous que nous sortions prendre l'air ?

— Je veux bien, j'ai un peu mal aux pieds, prétextais-je.

Il m’entraîna vers l'un des balcons et c'est là que tout dérapa. Après quelques minutes à observer côte à côte le paysage, il se colla sur mon dos et plaqua un tissu sur ma bouche. J'essayais de m'échapper. Impossible, j'étais complètement coincée et je ne pouvais pas bouger. Je sentais mon corps s'engourdir et mes jambes flageoler. Même la Bête au fond de moi s'agitait mais mollement, comme ankylosée. J'avais du mal à garder les yeux ouverts. Qu'est-ce qu'il m'arrivait ? J'étais dans la merde.

— Tu espérais pouvoir m’échapper sale garce ? Ne t'inquiète pas, que tu le veuilles ou non, tu seras mienne, chuchota-t-il.

Il appela les gardes.

— Gardes ! La Dame fait un malaise ! Portez là dans les appartements royaux !

Je m'effondrais lourdement dans ses bras puis je sentis qu'on me soulevait pour me déplacer. Sur ces sensations, je perdis connaissance.

Je revins à moi encore dans le gaz. Il me fallut un moment avant de me souvenir de ce qui s'était passée, mon cœur se mit à battre la chamade. J'étais installée sur un genre de chevalet. Les bras et les jambes écartées. J'étais attachée et ne pouvait pas bouger d'un pouce. La panique monta en moi. Surtout que je ne sentais aucun frémissement de la Bête, ni d'Ambus autour de moi. C'était dire si je m'étais habituée à compter sur eux. Je secouais mes membres afin de voir ce que je pouvais faire, mais en réalité je n'avais pas de marge de manœuvre.

Je regardais autour de moi. J'étais dans une chambre remplie de ce qui ressemblait à des instruments de torture. Un lit trônait au centre de la pièce. Vu l'ambiance glauque qui y régnait, on était loin de Christian Grey et de sa chambre rouge. On voyait que tout avait été utilisé et plus d'une fois. De ce que j'en voyais, des tâches coloraient encore des instruments. Je supposais que c'était du sang.

Je n'attendis pas longtemps avant que la porte ne s'ouvre.

— Ma Dame est enfin réveillée ! Les malaises ... Quel manque de chance ... Vraiment ... ironisa Galaeron.

Je le regardais avec toute la fureur que j'avais en réserve, ce qui ne le fit qu'exploser de rire. Ses yeux révélaient toute la folie qu'il avait en lui. Je réalisais qu'en public il jouait un rôle, et qu'il devait faire d'énormes efforts pour ne pas laisser filtrer tout ça. Je me demandais si ses parents étaient au courant quand je vis celle-ci entrer derrière lui. Je sentais l'air crépiter autour de moi à cause de la fureur qui me parcourait, pourtant je n'arrivais pas à me saisir de cette énergie.

— Je vous l'avais dit que vous seriez à nous, me jeta-t-elle dédaigneusement. Si vous n'aviez pas résisté, nous aurions pu faire cela en douceur. Malheureusement pour vous, vous avez été trop sotte pour accepter votre proposition.

Tout en disant cela, elle avançait langoureusement vers moi. Comme l'araignée qui avait attrapé sa proie et se pourléchait d'avance de la dévorer toute crue. Qu'est-ce que j'avais foutu ... J'aurais dû prévoir qu'ils ne me laisseraient pas filer comme ça entre leurs doigts et qu'ils ne perdraient pas de temps pour se venger. Je croisais intérieurement les doigts pour qu'Ash soit assez prompt à me retrouver.

— Oh mais ne faites pas cette tête ma chère, personne ne viendra vous sauver ... Il faudrait déjà qu'ils connaissent cet endroit. Pour une fois, les besoins de notre fils vont servir au lieu de juste nous apporter des ennuis.

Au vu du regard peu amène qu'elle lui lança, je compris qu'il s'agissait là d'un sujet de discorde récurrent. Pas aussi chiffe molle que ce que je pensais, Galaeron soutenait le regard de sa mère.

— Une fois qu'il en aura fini avec vous, vous n'aurez plus aucune volonté et serez à nous. Amuse-toi bien mon fils, cette fois-ci, tu n'as pas à te retenir.

Elle se détourna de moi pour serrer son fils dans ses bras et partir. Sans se retenir ? Vu l'état de Selana, je me demandais ce qui m'attendait.

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