Chapitre 15

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En moins de dix minutes j'avais remballé toutes mes affaires et harnaché Shadow. Il était intrigué par l'odeur de notre chère Oregon. Un sifflement appréciateur résonna quand nous arrivâmes.

— Sacré compagnon que tu t'es trouvée là chaton. Un étalon des Brumes en chair et en os !

— Pourquoi tout le monde fait une fixette sur ces chevaux ?

— Comment peux-tu ne pas savoir ça ?

— Je ne suis pas d'ici.

— Ne me dis pas que tu es une voyageuse et que tu viens d'un Autre monde !? Il ne manquerait plus que ça ...

— Alors je ne dirais rien ...

Malgré son air bourru si déplacé dans ce corps de rêve, je l'aimais bien et elle m'inspirait confiance. Je me demandais bien pourquoi Sylf et elle semblaient en si mauvais terme.

— Laisse-moi deviner. La Terre ! Hum oui ça correspond.

Elle s'approcha de moi pour écarter mes cheveux.

— Cheveux fins, oreilles arrondies, pas de dents qui dépassent. Alors si tu n'es pas d'ici c'est de la Grande Bleue !

— Tu connais tous les mondes ?!

— Oh, mais je connais beaucoup plus de choses que tu ne penses, me gratifia-t-elle d'un sourire narquois. Eh bien commençons ton éducation sur l'Ether ! Je pense que tu as pu voir c'est lui qui t'a choisi plutôt que l'inverse. Ils choisissent leur maître et au fur et à mesure, ils se lient à eux. Une fois que la connexion est totalement établie, ils peuvent développer des dons particuliers.

Je regardais Shadow d'un autre oeil. Et il n'aurait pas pu me dire tout ça ? Il me poussait du museau en faisant son innocent.

— Mais cette relation est tellement rare qu'aujourd'hui on les admire surtout pour leur port et leur allure. Les légendes se perdent et c'est bien dommage ...

Je voyais apparaître un autre aspect d'Oregon, elle affichait un air mélancolique et semblait perdue dans une autre époque. D'un coup, elle balaya cet aspect d'elle pour reprendre son aspect enjoué.

— Enfin bref ! Je parle je parle mais ce n'est pas comme ça que tu vas découvrir le monde !

Je souris et me mit en selle pour la suivre. Elle montait une jument grise mouchetée, une brave bête un peu ronchon qui regardais Shadow d'un oeil torve, lui indiquant de ne pas trop s'approcher. L'entente allait être sympa dites donc !

Les jours passèrent et je découvris du pays. Tous les jours nous avancions, et toutes les nuits nous installions les tentes et dormions comme des masses. Oregon adorait son monde, on le voyait bien dans la façon qu'elle avait de conter ses histoires. Je ne savais pas où nous allions et bien que la question me brûlait la langue, je n'osais pas lui poser.

Après près de trois semaines en sa compagnie, je savais aussi qu'elle pouvait se montrer explosive à la moindre contrariété. Pour peu qu'elle soit mal lunée, vous en preniez pour votre grade. Je l'avais vu exploser le nez d'un mec qui avait osé la regarder d'un peu trop près, et presque castrer un autre qui avait osé lui peloter les fesses. La plupart n'osaient pas l'approcher, sa réputation la précédait.

Ce soir-là, nous étions installées au milieu d'une clairière qu'elle avait protégée pour la nuit. Un feu flambait. J'avais le regard perdu dans les flammes tandis qu'elle observait les étoiles.

— Oregon ?

— Mmmm ?

— Quand m'apprendras-tu à me battre ?

Je ne tenais plus, j'avais enfin osé poser la question qui me turlupinait.

— Je me demandais combien de temps tu tiendrais avant de le demander. Que penses-tu des Maitres Guerriers ?

Je me demandais si c'était une question piège. Pour autant, je sentais que celle-ci était beaucoup plus profonde que ce qu'il n'y paraissait. Je décidais de répondre avec franchise, quitte à ce que ça ne lui plaise pas.

— Je ne sais pas trop. La plupart de ceux que j'ai pu observer à l'Académie me paraissaient imbus de leur personne, et ne semblait vivre que pour se battre. Je n'ai pas apprécié cette manie qu'avaient les aspirants à se battre pour attirer l'attention. Je ne vois pas l'intérêt de faire étalage de sa force.

Un fin sourire étira ses lèvres.

— Alors si tout ça ne t'attire pas, pourquoi veux-tu devenir l'un d'entre eux ?

Cette fois, ce fut moi qui eus un sourire triste et mélancolique. Je repensais à mes parents et à Ash qui me manquait, à ces mondes qui apparemment n'attendaient que moi, aux menaces de la reine ... Ça faisait beaucoup de choses à supporter. Je savais que la Bête était là au fond de moi, rassérénée par cette vie au grand air mais toujours sur le qui-vive. Ça faisait beaucoup de choses à porter.

— Je ne veux pas devenir un Maître Guerrier, je veux savoir me défendre et me battre. Me battre pour ce en quoi je crois et me défendre contre ce qu'on essaie de m'imposer contre mon gré. J'ai des choses sombres en moi à protéger et je ne peux pas uniquement me reposer sur l'Ambus pour me sortir de ces situations. C'est plus un besoin vital qu'une envie. Si devenir Maître Guerrier est le seul moyen pour y arriver, je le ferais.

Comme si le Bête voulait acquiescer mes paroles, ma voie était descendue d'un ton.

Elle s'était redressée et m'observait attentivement, essayant de voir beaucoup plus loin que mes paroles.

— Tu es arrivée quand en Ether déjà ?

Je souris en coin sans lui répondre. Je ne lui avais jamais dit.

— L'Enfant de Lune ... souffla-t-elle, un soupçon d'hésitation dans la voix.

Je me crispais en entendant ces mots, prête à déguerpir sur le champ si besoin. Je serrais un caillou tranchant dans ma main, à la moindre alerte, je déclencherais la tempête. Et je n'y pouvais rien, c'était épidermique, entendre ces termes me hérissait les poils.

Sa réaction me prit totalement au dépourvu, elle éclata de rire.

— Tu es vraiment pleine de surprise ! Cet abruti a bien fait de t'envoyer vers moi chaton !

J'étais dubitative, que comptait-elle faire de moi ?

— Ne t'inquiète pas ! Je ne vais pas te ramener à cette folle furieuse qui te cherche partout. Arenlone ... Au moins maintenant je sais que c'est une région à éviter pour l'instant. Elle a toujours eu un grain mais là ... Tes réponses m'ont convaincue. Je vais t'apprendre.

Maintenant, en plus d'être fourbue par la route, j'étais courbaturée par les exercices qu'elle m'imposait. En même temps, je l'avais voulu ... Je découvrais des muscles dont j'ignorais l'existence. Ça paraissait tellement facile quand elle le faisait, alors que c'était juste une horreur. J'étais gauche et maladroite à côté d'elle.

Dans l'un des villages qu'on avait croisés, elle m'avait acheté une épée assez courte, adaptée à mon gabarit. Elle avait insisté pour me l'offrir. Il semblait que c'était aussi le moyen d'acter que j'étais son apprentie.

Je passais avec elle et sur les routes mes 17 ans. Il s'était passé tellement de choses en un an. J'avais l'impression qu'une éternité s'était écoulée. Mon ancienne vie était loin, et à part pour la présence de mes parents, je n'étais pas sûre que j'arriverais à y retourner. J'avais beaucoup mûri en si peu de temps.

Nous repassâmes à la frontière de l'Ezekie. Elle semblait étonnée que les plantations repoussent sur cette terre si chargée de tristesse. Et encore plus quand je lui dis que c'était dans cette contrée-là que j'avais atterrie quand Ash m'avait rapatriée ici.

Elle me fit visiter de nombreuses régions en long en large et en travers. J'allais de découverte en découverte et j'étais émerveillée. Les canyons enchanteurs d'Ezekie en passant par les fleuves indomptables de Lusriven, en n'oubliant pas les horribles moustiques et la pataugeoire qu'était l'Ebrem. Les arbres plongeaient leurs impressionnantes racines dans les étendues d'eau. Les déplacements se faisaient essentiellement en barque. A ma grande joie, nous n'y avions pas croisé d'Enkir, ce qui ne nous empêchait pas d'affronter de temps en temps quelques ennemis, animaux comme humanoïdes. D'autant plus que nous essayions de nous joindre à des groupes de voyageurs pour se faire embaucher comme gardes. La tentation n'était que plus grande pour les bandits.

Dans ce cadre, pouvions-nous plaider la légitime défense lorsque nous tuions quelqu'un ? En effet, parfois la déroute n'était pas une option. Et quand c'était eux ou moi, j'étais assez égoïste. Pour autant, c'était moi qui m'étais proposée pour défendre ces voyageurs. Quand on agit en connaissant les risques, peut-on se dédouaner aussi facilement pour garder la conscience tranquille ? Que ceux qui y arrivent m'expliquent comme ils font.

— Oregon ?

— Hum ?

J'avais de la chance qu'elle soit très patiente et pédagogue. Parce que sinon, elle m'aurait déjà abandonnée au bord d'une route avec les questions que je lui posais tout au long de la journée.

— Tu te souviens de tous ceux que tu as tué ?

Elle me regarda fixement quelques secondes avant de me répondre.

— Alors c'est ça qui te travaille depuis ce matin chaton ! Je me demandais quand tu allais cracher le morceau. A vrai dire ... Non. Je me souviens du premier, c'est tout. Et toi ?

Je blanchis subitement avant de détourner les yeux. Je déglutis difficilement avant de répondre dans un souffle.

— Oui.

Chaque mise à mort provoquait une blessure au fer rouge dans mon âme. Même si j'essayais de me dire que c'était nécessaire, je le faisais quand même en connaissance de cause. Je ne croyais pas spécialement en Dieu mais, dans tous les cas, qui étais-je pour décider qui avait le droit de vivre ou de mourir ? Devais-je être juge et bourreau ?

— Tu n'as pas à avoir honte.

Cette fois-ci, ce fut elle qui semblait perdue une nouvelle fois dans son passé, un sourire désabusé sur les lèvres.

— C'est juste que moi j'en ai tué trop pour m'en souvenir. C'est peut être aussi ça qui fait ton humanité. Moi je ne rechigne jamais à abattre ceux qui se mettent en travers de mon chemin, toi tu réfléchis d'abord à toutes les autres solutions avant d'en arriver là. Ton raisonnement est bien plus noble que le mien.

— C'est une façon de voir les choses. C'est plutôt de la lâcheté de ma part que de la noblesse ... Toi tu as le courage d'aller au bout !

— Alors continue d'être lâche ! Le courage n'a rien à voir là-dedans. La seule recommandation que je peux te donner : une fois que ta décision est prise, n'hésite jamais, ça peut t'être fatal.

Je faisais tourner son conseil sur ma langue. Au-delà du maniement des armes qu'elle m'apprenait avec toute son excellence et son exigence, c'était surtout son expérience de la vie qui m'était profitable.

J'aurais aimé revoir Sylf pour le remercier. La compétence physique, j'aurais pu l'appréhender avec les Maîtres de l'école, mais cet endurcissement mental ne se faisait qu'à l'épreuve de la vie. Il suffit de voir un gamin à qui on dit « attention le feu ça brûle », jusqu'à ce qu'il ne se soit pas brûlé, il le fera juste pour vous faire plaisir. Par contre, quand il aura eu mal, ce ne sera pas la même chose ...

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