Chapitre V: La guerrière libre

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Chapitre V: La guerrière libre


Je suis cette femme, libre de toute entrave,

Rejetant mon destin, mon histoire je grave,

Avec ma lame, avec le sang, mais toujours d'autres.

De l'indépendance, je suis première apôtre.

 

  Toujours aussi bonne en l'art subtil de la guerre, je viens encore une fois d'exécuter un homme. Seulement, cette fois-ci, c'était bien différent: ni de peur dans son regard, ni d'incompréhension, ni de haine en ses yeux, ni d'espoir d'ascension. Juste cette étincelle de liberté, ou du-moins du sentiment qu'elle provoque. Ce sentiment qui m'exalte, ce sentiment qui m'emporte, cette force plus intense que la plus immense des joies, et qui à chaque à bataille s'empare de moi. J'aime ça. J'adore ça. Malheureusement, si cela semble évident, je ne suis pas née pour cela. Pas en ce lieu, pas en ce temps, pas en ce monde. 

  La vie quitte ses yeux, et toujours mon esprit glacial ne ressent aucune pitié envers cette personne entreprenant son dernier voyage. Je me fais peur, parfois, mais après tout, qui sait combien d'hommes il aurait tué, s'il était resté en vie? Et puis tout le monde meurt un jour, son tour est juste arrivé plus vite. Parfaite justification qui me permet de vivre, d'exulter, de me libérer des fers de la société, de toutes ces idées sombres qui me hanteraient en tout autre instant, et enfin de la perspective du retour, car mon père ne laissera sûrement pas passer ma disparition temporaire qui lui sera rapidement signalée, peut-être même à l'instant où il franchira le pont-levis arborant son air triomphal, désormais grand classique des retours de campagne. Mais qu'importe, le combat est devenu mon addiction. Je ne saurais déterminer s’il s'agit de pur esprit de contradiction pour combattre cette Dame qu'ils veulent faire de moi ou si mon sang est naturellement enflammé. Mais tout ce que je sais, c'est que ce que je ressens en interprétant ma redoutable danse, je ne le ressens nul part ailleurs, je me sens exister, je me sens vivre, je me sens libre, et je soupçonne cette sensation d'être celle vers laquelle me pousse cette envie d'évasion quand, bravant les éléments, je me tiens au sommet du donjon, contemplant les nuages d'orages, amoncelés dans le ciel. Ce voile qui recouvre mon cœur d'un si doux baume quand le vent caresse mon visage, quand les gouttes pénètrent chaque fibre de mon corps, et que, fermant les yeux, je m'évade en tout autre monde et que je me rends compte que je ne fais que survivre, et que la vie m'attends patiemment, mais où? Et tranchant, et tailladant, j'en oublie presque ma condition, j'en oublie presque ce mariage avec un inconnu, qui était déjà organisé avant que je ne puisse même comprendre de quoi il retourne. Et les hommes s'écroulent autour de moi, parfois souffrant, parfois ne réalisant même pas ce qu'il se passe. Et je me tiens, là, au milieu, tournoyant, virevoltant, ressentant chaque partie de ma lame, comme je sens ma main enserrant la fusée de mon arme. Cette épée bâtarde, qui m'est désormais si fidèle. Terrible dilemme fut celui de lui trouver un nom approprié. Mais après tout, je ne jure que par un mot, que par une notion, je ne me bat que pour la Liberté, ma Liberté. Il ne m'en fallu pas plus. D'un mouvement circulaire parfait, je tranche la gorge d'un soldat, au niveau même de la pomme d'Adam. Quel symbole! Si l'un d'entre eux apprenait, dans l'au-delà, qui l'a terrassé, la rougeur de ses joues provoquée par la honte suffirait à tromper les anges sur sa nature humaine et non démoniaque. Mais quelle honte y aurait-il à avoir ? Après tout, moi aussi je me suis entraînée, et probablement plus dur que tous ici, tant j'avais à prouver.

"Je n'entraîne pas les femmes."

  C'est mots m'avait d'abord dévastés, avant que je ne me ressaisisse et ne parvienne enfin à le persuader de faire entorse à cette règle. Ma persévérance avait finalement payé, et non sans en baver, j'étais finalement parvenue, un soir, à désarmer ce splendide bretteur qui m'avait formé. J'avais triomphé et cette victoire sonnait comme un adoubement. La fierté en ses yeux à ce moment valait toute les cérémonies. Seulement, cette fierté qui m'avait tant ravie ne m'avais pas faite chevalier, ni même ouverte les portes des tournois. Nul homme n'osait se confronter à moi, je ne sais encore si c'était par galanterie, par peur ou par dédain. Mon père me rit même au nez, quand je parlai de guerroyer. La blessure fut profonde. J'essayai même de le convaincre, en lui révélant ce que j'avais su garder secret tant de temps, mes escapades, mon entraînement et même mon adoubement tacite. Il ne voulut rien savoir, et quand je quittai à mon habitude le château le soir même, je ne trouvai pas mon maître d'arme. Je ne sus jamais ce qu'il advint de lui, mon père restant muet à ce sujet. Mais jamais je n'avais renoncé, et poursuivait depuis lors mes exercices pour garder un niveau en combat qui dépassait de loin celui de mes frères, et probablement celui de chacun des combattants de notre château.

  C'est alors qu'une pointe de fer, celle d'une lance fait irruption et déchire la projection de mes souvenirs défilant devant mes yeux. Je me jette à terre au dernier moment, mais la point atteint le haut de mon casque suffisamment violemment pour que celui-ci quitte ma tête. Je surprends son regard étonné de découvrir ce que je suis vraiment, et profitant de sa confusion, j'attrape la hampe de son arme, la tire à moi et lui plante la dague, que je saisis de ma main gauche, dans la gorge. Je saute alors sur mon casque, pour ne pas me faire découvrir, ne sachant à quelle réaction je pourrais m'attendre dans le cas où quelqu'un découvrirait mon lourd secret. Je repars alors au combat, gardant cette fois-ci mes esprits pour ne plus commettre d'erreur.

***

  La journée se termine alors, et je me sens heureuse. Pas d'avoir tué, pas d'avoir fauché, mais simplement d'être repue de liberté, comme si il s'agissait d'un besoin que j'ai naturellement. Je rentre au camp nonchalamment, suivant la foule. C'est toujours étrange, de voir cette manière de se retirer, si décalée par-rapport à la folle violence qui enivrait chacun de ces hommes, quelques minutes auparavant. Ce calme et ce silence, tranchant tant avec le chaos et le tumulte des combats. Mais c'est reposant, et cela me permet de savourer mon plaisir, de mesurer mon bonheur, et surtout de faire le vide ne moi, pour canaliser cette énergie qui me dévore jusqu'au lendemain. Quand nous arrivons au camp, la si ennuyeuse routine reprend: je file tout d'abord à ma tente, car le premier jour passé, le commandement s'est vite rendu compte que la bataille s'éterniserait, et que faire monter les tentes ne serait pas une dépense d'énergie luxueuse, tant l'endurance et le moral de troupes serait mis à rude épreuve. A mon arrivée, j'ôte rapidement mon armure légère que j'installe sur son présentoir. Comme toujours, je ne peux m'empêcher de la contempler, de parcourir ses lignes si harmonieuses: la plastron, en un acier assez sombre, présente la courbe parfaite pour suivre les contours naturels du corps, me procurant ainsi une totale liberté de mouvement. Cette seconde peau est toutefois assez robuste, travaillée pour dévier les lames, même si elle ne saurait résister à un coup d'estoc bien appuyé. Mais ce sur quoi mon regard s'attarde toujours, c'est le loup ornant le plastron au niveau de la poitrine, centrée juste en-dessous des légers arrondis me permettant d'enfiler cette parure malgré ma morphologie si différente de celle des hommes. Toutefois, les renfoncements sont travaillés pour n'être que très peu visibles pour ne pas attirer l'attention. Mais je reviens alors à ce loup, de profil, hurlant à la lune, gravé avec tant de minutie. C'est moi qui l'ai demandé. Cet animal, si puissant et si intelligent, si majestueux et si mystique, ayant toujours inspiré les conteurs, mais ayant toujours été haï par les villageois qui le traque si fréquemment. Je l'ai fait mien, avec le temps, si bien qu'il imprègne désormais mon être et qu'un lien s'est formé, sans même qu'une rencontre n'ait eu lieu. Ne pouvant mettre mes armoiries, il fallait bien trouver un substitut, et celui-là me convient parfaitement. D'ailleurs, si l'on m'offrait aujourd'hui le choix, je crois que je n'hésiterais pas une seule seconde à garder cet emblème qui est désormais mien.

  Je m'arrache à ma contemplation et finis de me défaire de mes affaires de combat pour enfiler des vêtements plus légers. J'enfile finalement une veste de cuir assez épaisse pour masquer mes formes, ainsi qu'un bonnet, en cuir, aussi, pour dissimuler au mieux mes traits un peu trop fins à mon goût pour que je n'ai aucune peur de paraître découverte en publique. Je sors alors, allant en direction de la zone des cuistots. Probablement encore cette mélasse immonde. Et dire que les autres membres de ma famille ont tous droit à de la viande, du pain chaud et du vin... Mais il me serait bien difficile d'en réclamer tout en gardant mon identité secrète... Quand je tends mon écuelle au cuistot, celui-ci, sans un mot, sans un  regard, verse le contenu sa louche dans le récipient. Le son que produit cet écoulement pâteux est presque plus pourvoyeur de nausée que l'odeur dégagées par les marmites remplies. Après tout, le goût n'est pas si immonde, mais la texture et l'odeur sont si horribles qu'il est dur de s'en accommoder. Sans le remercier, comme il semble en être la coutume parmi les soldats, je saisis mon écuelle et  vais m'assoir près d'un feu isolé, où personne ne devrait venir me déranger. Je surprends alors le regard d'un homme au loin, probablement un roturier, vu son aspect négligé, qui après m'avoir brièvement dévisagée récupère sa ration et s'éloigne. Je commence alors mon si faste et somptueux repas, que j'achève quelques minutes plus tard avec de longues gorgées d'eau, dont la fraîcheur étouffe un temps et le goût et l'odeur de cette bouillie innommable. Je me relève et rentre à ma tente.

***

  Une heure ou deux ont dû s'écouler, durant lesquelles j'ai parcouru ce livre de contes et de récits épiques, si stimulants pour l'imagination. Après avoir fini mon chapitre, je repose le livre et me lève: ma vessie me rappelle à l'ordre. Je souffle la chandelle que j'avais allumée, et sors de ma tente pour me diriger vers le bois. Je m'enfonce parmi les fourrés, voulant m'éloigner un maximum du campement, de manière à être sûre que personne ne viendra me surprendre. J'atteins enfin une distance que je juge raisonnable quand j'entends un bruit derrière moi. Puis un autre, plus proche, sur ma gauche. Les buissons s'écartent devant, derrière, sur mes flancs, et c'est un total de quatre hommes qui m'encerclent. Malgré la très faible luminosité, leurs rictus narquois ne laissent que peu de doute sur leurs intentions, et cela n'est pas pour me rassurer. Je porte instinctivement ma main d'épée à ma hanche, pour ne brasser que de l'air. Porter mon autre main au même niveau me rappelle que je n'ai pas même ma dague. Je me sens nue et démunie, sans armes ni armure, voyant ce cercle malsain se refermer, ne me laisser aucune échappatoire.

" - Alors, ma jolie, on veut faire comme les hommes ? Faudrait tout de même pas abîmer ce joli minois! Tout comme faudrait pas tacher de sang ces beaux cheveux qu't'as! commence celui se tenant derrière moi.

- Alors toi, t'as l’œil! On va bien s'amuser! poursuit l'un de ses compères, celui sur ma gauche.

- Il te manque quequ'chose ? T'crois quand même pas que même avec une épée t'pourrais défaire de fins bretteurs comme nous?" acheva celui se tenant fièrement en face de moi, prenant un air noble sur ses derniers mots, avant d'esquisser un sourire manquant cruellement de dents.

  Je suis estomaquée, et je ne sais comment agir. Inutile de crier, je sais qu'il n'y a personne aux alentours, ou du moins personne d'assez recommandable pour daigner m'aider. Mais comment ont-ils su que j'étais une femme ? J'ai bien pris toutes les précautions. Comment ?  Je regarde autour de moi, cherchant désespérément une issue tandis qu'ils continuent d'avancer nonchalamment, mais avec assurance. C'est en regardant dans mon dos que je reconnais le soldat qui m'avait dévisagé auparavant. Se pourrait-il qu'il m'ait vu pendant la bataille quand mon casque s'est envolé ? Ce n'est pas impossible... Les quatre hommes se jettent alors simultanément sur moi, me saisissant les bras alors que j'essaie de saisir la gorge de l'un d'entre eux. Mais mes muscles ne sont pas assez développés, leur emprise est bien trop forte, et ma vivacité si efficace en combat m'est inutile ici. Je tente de leur lacérer les mains avec les ongles mais ceux-ci sont bien loin d'être assez acérés, et les deux qui me tiennent n'ont qu'à raffermir leur prise et positionner leurs mains si rugueuses sur mes avant-bras pour définitivement me maîtriser. Je tente d'envoyer un coup de pied au monstre répugnant qui semble être leur chef, et y parvient, mais ne l'atteint qu'à la cuisse, ce qui n'a pas dû lui causer grande douleur.

" - T'nez-moi cette garce mieux qu'ça, si vous v'lez y gôuter après!"

    Je crie alors, de désespoir préférant cela plutôt que leur offrir le spectacle de mes larmes, mais une monumentale claque me fait taire. C'est alors que mon esprit s'enfuit, et je suis là, dans un recoin de ma conscience, devant tout de même assister à cet acte horrible et répugnant que réalisent les quatre bêtes, tour à tour. Toute sensation disparaît de mon corps, à mon plus grand soulagement, si l'on peut parler de soulagement dans cette situation. Seule mon ouïe me trahit, m'infligeant le bruit de leurs rires, de leur plaisir, de leurs insultes. Tous ces sons se gravent en moi, me dévastent, sont comme un tourbillon qui emporte toute ma joie passée, tous mes bonheurs, tout. Je sens finalement les larmes qui coulent sur la peu de mes joues, mais je ne veux pas que revienne le toucher, je souiller plus mon esprit qu'il ne l'est déjà par leurs simples sons. Une autre claque m'atteint, accompagnée d'une injonction à cesser tout cela. Mais même si je le voulais, que pourrais-je y faire ? Je ne suis même plus maître de mes pensées! Les coups continuent de m'atteindre, faisant de nouveau place à la douleur en mon esprit désormais fou, fou de rage, fou de peine, fou de honte, fou de désespoir. Après une infinité d'éternité, je me retrouve au sol, dénudée, sanglotant et gémissant, incapable du moindre mouvement. Je les entends parler. Le bruit est si faible, ils sont si loin, et pourtant bien trop proches. Je ne suis plus en ce monde, je ne vis plus en ce corps que je considère désormais comme étranger. L'un d'eux s'approche, je l'aperçois entre mes larmes, malgré mon œil droit tuméfié. Un reflet de lune révèle la lame qu'il tient dans sa main droite. Il me relève la tête en me tirant par les cheveux. Je reconnais celui qui n'avait pipé mot. Aucune émotion ne transparaît sur son visage. Ou alors ma vue est-elle trop brouillée pour que je ne puisse le distinguer ? Il pose sa lame si froide sur mon cou si chaud, brûlant à cause des coups comme de la honte. Je suis vidée, je n'ai plus aucune force en moi. Je tente de fermer mes paupières, mais mon hématome me force à garder un œil ouvert quand la lame pénètre ma chair, avant d'atteindre mon artère. Je disparais d'un corps qui n'était plus le mien, d'un monde qui n'a jamais été le mien. Je pars, et la seule chose qui atténue ma peine, c'est de savoir que jamais mon sort ne sera connu d'autres. Je pars pour un ultime périple, dont je ne souhaite que la destination finale ne soit plus que le néant et l'oubli.

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