À ces gens qui disent bonjour quand il aurait fallu dire bonsoir
À ceux qui tombent sur les autres quand le bus freine fort
À ceux qui se cognent dans les vitres trop propres
À ceux qui lâchent un pet sonore dans un moment solennel
À ceux qui se mouchent dans le même mouchoir jusqu’à ce qu’il parte en lambeaux
À ceux qui poussent car ils sont trop petits pour voir
À ceux qui gênent car ils sont trop grands
À ceux qui hésitent longtemps entre chaque plat au restaurant
À ceux qui rigolent très fort
À ceux qui oublient de mettre leur portable en silencieux
À ceux qui sont perdus sans GPS
À ceux qui se trompent de file
À ceux qui mettent leur pull à l’envers
À ceux qui ont la braguette ouverte
À ceux qui utilisent des termes qui ne sont pas de leur génération
À ceux qui demandent si ça va quand ça va pas
À ceux qui ont les cheveux rebelles sans le vouloir vraiment
À ceux qui n’intègrent pas bien les règles du jeu
À ceux qui posent trop de questions
À ceux qui se trompent de date
À ceux qui ratent leur train après avoir couru
À ceux qui mordillent le bout des crayons pour réfléchir
À ceux qui parlent la bouche pleine
À ceux qui regardent les autres par dessus les lunettes
À ceux qui nous appellent par le mauvais prénom
À ceux qui lèchent leur doigt avant de tourner une page
À ceux qui ont toujours une meilleure histoire
À ceux qui reportent trois fois le réveil avant de se lever
À ceux qui hésitent sur leur date de naissance
À ceux qui ne comprennent pas la blague
À ceux qui ne tuent aucun animal ni insecte, sauf les moustiques
À ceux qui s’excusent sans raison
À ceux qui mettent les pieds dans le plat
À ceux qui se justifient quand personne ne leur a demandé de le faire
À ceux qui donnent des conseils quand on a simplement besoin d’écoute
À ceux qui inversent la gauche et la droite
À ceux qui s’adossent sur les portes ouvertes
À ceux qui oublient chaque année notre date d’anniversaire
À ceux qui confondent le bruit des poubelles et le bruit de l’orage
À ceux qui se retournent quand on appelle quelqu’un d’autre
À ceux qui se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls dans la pièce
À ceux qui ne savent pas s'occuper d'une plante
À ceux qui offrent une tasse en revenant de voyage
À tous ceux qui ont la langue et les mots maladroits
À tous ceux dont les gestes se coordonnent de façon anarchique
À tous ceux qui évaluent mal les limites de leur corps et de ceux des autres
À tous ceux qui ne savent pas toujours où ils vont, ni ce qu’ils font
À tous ceux là j’aimerais dire :
Qu’on reste interdit
Qu’on s’agace ou qu’on se moque
On avouera rarement
Qu’au fond on aime aussi
Ces douces imperfections
Paresseuses négligences
Malheureuses maladresses
Honteuses promesses
De rires
Autant que de larmes
Qui se collent à cette vie trop lisse
En laissant des traces rugueuses
D’humanité, d’inattendu, de fortuit
Qui défient le mécanisme
Manœuvrant par mégarde
Le charmant sabotage
D’une société au pas
Qui étouffe l’espace
Et n’aspire qu’au silence !
Nécessaire rappel
À ceux qui croient
Que la machine humaine
Est froide, rentable, efficace, indifférente
Parfaitement perfectible
Unanimement homogène
Et avant tout force de travail.
Vous qui faites sonner la rouge alarme
Vous sur qui tous les regards se tournent
Dans une parfaite synchronicité
Vous dont l’humanité dépend
Vous dont la flamme est encore trop vivace…
Vous serez peut-être tenté de vous cacher
De vous dissimuler
De vous fondre
Au bon gabarit
Dans la bonne matière
De vous perdre enfin
Comme tout un chacun
Vous en seriez fort aise !
Mais je dois vous annoncer
Votre noble lot
Votre humble malédiction :
Vous n’y parviendrez jamais entièrement
Toujours une mèche de cheveux dépassera du cadre
Toujours vous aurez envie de gratter votre sourcil quand vos mains seront pleines
Et toujours vous perturberez la molle et synthétique harmonie des choses humaines.