Un cauchemar sans fin

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La cigarette se consumait au rythme du whisky... Ses yeux étaient cernés de noir à force d'accumuler ces nuits sans sommeil. Une photo abîmée par le temps dans une main, un badge en forme d'étoile dans l'autre, David prit une énième gorgée sans sentir la puissance de l'alcool. La bouteille du liquide ambré était déjà aux trois quarts vide, posée sur la table de chevet poussiéreuse, avec pour seule compagnie un cendrier rempli à ras bord.

La cigarette se consumait au rythme du whisky... Mais le shériff n'en avait plus rien à faire, il était dans un état second, l'alcool engourdissait son esprit et l'entraînait dans des limbes poisseuses. Il était quatre heures du matin et il tentait en vain de fuir ses cauchemars éveillés. Des corps blancs, froids, du sang, beaucoup de sang et ces membres, découpés avec une précision chirurgicale. Le pire c'étaient les regards, ou plutôt l'absence de regard, car les cadavres avaient tous les orbites vides, leurs globes occulaires gardés en trophée par l'enflure qui les avait torturés. Ce psychopathe s'amusait à les envoyer au poste de police pour signaler un nouveau crime, les narguant d'être encore dehors, libre.

La cigarette se consumait au rythme du whisky... David se souvenait très bien du premier. Il n'était même pas encore shériff à l'époque, il n'était qu'officier chargé de la circulation. Pourtant, il avait été entraîné dans cette affaire car le tueur avait déposé lui même la boîte contenant les yeux arrachés et c'était David qui l'avait réceptionnée. Bien sûr, personne ne savait ce que contenait la boîte et une fois ouverte, l'individu avait déjà depuis longtemps disparu. Seul David aurait pu en donner une description mais ses souvenirs lui avaient fait défaut. Souillée de sang, une lettre avait été découverte au fond : une énigme, un compte à rebours et une signature. Le Marionnettiste. Ce putain de Marionnettiste.

La cigarette se consumait au rythme du whisky... Et le goût de l'alcool était bien plus agréable que le goût de la bile qui avait empli sa bouche à la découverte du premier cadavre. Le premier cadavre de sa carrière mais sûrement pas le premier de cet enfoiré. Malgré les amputations et les creux à la place des yeux, David avait reconnu instantanément la victime. Nageant dans une quantité folle de sang rouge-noir, la peau de la jeune fille paraissait encore plus laiteuse. David avait vomi. Il avait vomi face à cette horreur. Il avait vomi toutes ses tripes, les crampes tordant son ventre même une fois qu'il n'avait plus rien eu à vomir. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Les crampes s'étaient faites plus intenses, son coeur avait cessé de battre, sa tête lui avait tourné, puis il s'était évanoui.

La cigarette se consumait au rythme du whisky... Lucie, c'était son prénom. Lucie... Il balança son badge à l'autre bout de la pièce dans un accès de rage, la photo broyée dans le creux de son autre main. La lumière blafarde de la pièce réussit à faire luire l'alliance à son doigt, une autre bague pendait à la chaîne de son cou. Six ans que sa femme était morte. Six ans que ce monstre était dehors, à tuer, à torturer. Six ans que le sommeil l'avait quitté. A quoi bon devenir shériff... Il avait travaillé corps et âme sur cette affaire. Il avait pris sur lui quand les cadavres avaient été trop nombreux pour se rappeler de leur nombre. Mais rien. Pas une piste. Nada. Lucie, Saphyr, Diane, Queenie, Nichole, Charlie, Xeres, Regina,... La litanie des noms ne le quittait plus, et encore, ne se souvenait que des quelques premiers...

La cigarette s'était consumée au rythme du whisky... La bouteille était désormais vide et le mégot avait rejoint les autres dans le cendrier. Une larme roula sur la joue du shériff. Il la sentit couler, froide, s'étonnant que ses sens soient encore capables d'un tel exploit avec trois grammes dans le sang. L'alcool ne lui faisait plus rien... Il défroissa la photo encore coincée dans son poing fermé à s'en blanchir les phalanges. Il regarda ce sourire, ces cheveux bruns soyeux, cette peau laiteuse et ces yeux bleus de biche. D'un flash, l'image du cadavre de Lucie vint se superposers à son portrait. C'en était trop. Il porta le petit anneau-pendentif à ses lèvres pour y déposer un baiser. C'en était trop. Il laissa glisser la photo sur le parquet sale peuplé de moutons de poussières. C'en était trop. Il se leva du lit, brisant le silence d'un grincement sinistre. David tangua jusqu'à la commode, ouvrit le premier tiroir et sortit son Colt.

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