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Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours menti. Je savais à peine parler qu’un premier mensonge est sorti de ma sale petite bouche de future embobineuse. Au jardin d’enfants, j’ai fait accuser à tort un de mes camarades de classe pour le vol d’un petit chien en plastique, vol dont j’étais l’auteure... Ma bouille d’ange et ma facilité à tromper mon monde m’avait sorti d’un premier méfait ; j’avais volé le chien de la petite ferme de ma classe sans aucun remord... Et quelqu’un allait être puni à ma place !

Les occasions ne manquèrent pas de se présenter à moi pendant toute mon enfance pour que je réinvente ma vie. Oh, ce n’était jamais de gros mensonges, je savais déjà à l’époque qu’il ne fallait pas que j’exagère pour rester crédible. Surtout avec les adultes, mais je savais les manipuler pour obtenir ce que je voulais. Adolescente, je mentais pour tout et pour rien ; à mes parents pour ne pas faire sports, à mes potes pour ne pas traîner avec certaines personnes, à mes profs pour ne pas faire un contrôle, pour me taper des mecs et j’en passe... C’était un jeu constant. Jusqu’à la première faille avant que je redouble de vigilance.

Vers seize ans, mes hormones étaient en ébullition et quelques gars me plaisaient bien à l’école dont un en particulier, Jake. Il était très mignon, brun, la peau mate, un sourire ravageur et deux ans de plus que moi. Apparemment, je lui avais tapé dans l’œil également et il avait fait savoir à mes amies qu’il voulait sortir avec moi. Ça n’a pas traîné avant que je me retrouve dans son lit... Le hic, c’est que je m’étais vantée d’avoir perdu ma virginité quelques mois plus tôt, en vacances avec un bel étudiant-moniteur... Lorsqu’il me pénétra, j’ai crevé de mal et saigné beaucoup, tachant ses draps. Mon mensonge était découvert, j’étais toujours vierge avant son douloureux passage. La nouvelle fit le tour de l’école, me mettant face à ma bêtise, et Jake ne voulut plus jamais me revoir. Je lui plaisais dans mon mensonge, pas dans la vérité. Il ne voulait pas d’une gamine qui se faisait mousser, il voulait une nana accomplie, presqu’adulte... Ce qui était loin d’être mon cas. Car à force de rêver sa vie, on ne vit pas grand-chose et à seize ans, je n’avais quasi rien vécu !

Pourtant, j’ai continué à m’enfoncer dans le mensonge et la tromperie, essayant d’être plus maline et de ne plus me faire prendre comme l’histoire de ma virginité. Je mentais constamment à mes parents pour pouvoir sortir et je mentais à mes copines en disant que je ne bougeais pas de chez moi. Pour draguer, je voulais être seule ; pas d’amis pour infirmer mes dires, c’était beaucoup plus facile pour emballer. J’ai trompé les sorteurs en falsifiant ma carte d’identité, je n’étais plus celle que j’étais mais une autre. Je jouais des rôles différents et ça m’amusait beaucoup.

Quelques années plus tard, je me suis inventé un diplôme de commerce et le travail qui allait avec. Un job où je voyageais beaucoup pour pouvoir prendre le large de mes inventions de plus en plus grosses et de plus en plus nombreuses. J’ai fini par rencontrer l’homme de mes rêves, j’avais vingt-deux ans et lui vingt-quatre. J’ai continué à mentir... Pour parfaire mon mensonge, un héritage de mon parrain vint gonfler mon compte en banque ; je pouvais désormais payer un loyer et tout ce qui allait avec, il n’y a vu que du feu. Du moins au début. L’argent manqua au bout de quelques mois, j’ai prétexté un licenciement. Mon amoureux m’a offert son toit et son salaire, tout gentil qu’il était. Il m’aimait et croyait en moi alors que moi je ne faisais que tromper son amour et sa confiance. Et j’ai continué... Il voulait qu’on se marie, j’ai refusé car il ne connaissait même pas ma vraie identité. Il voulait des enfants avec moi et j’ai dit oui... Mais je prenais toujours la pilule en cachette. Et il restait avec moi malgré tout... Jusqu’à aujourd’hui. J’aurais pu tout lui dire, comme je le fais ici, mais aurait-il encore eu envie de moi après pareilles tromperies ?

Il a fini par découvrir que je lui mentais pour les enfants et ça l’a profondément blessé. J’avais évidemment renchéri dans mon inventivité, prétextant un problème gynécologique génétique. Gentiment, comme d’habitude, il m’a pris un rendez-vous chez le meilleur spécialiste et les résultats ne se firent pas attendre : j’avais vingt-quatre ans et tout fonctionnait parfaitement. Devant son visage incrédule, je me suis enfuie.

Comment lui dire ? Comment lui avouer une vie de mensonge ? Il ne savait pas plus qui j’étais que moi-même... Je ne sais pas qui je suis, je ne l’ai jamais su et je n’ai jamais voulu être moi.

Je ne suis rien qu’un mensonge.

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