Semaine 11 — Le refuge

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 L'endroit était froid. Pas en température : un grand soleil inondait la France depuis plus d'une semaine et les maximales ne cessaient de battre des records. Les murs affichaient d'un blanc immaculé, les rares meubles, placés les uns après les autres avec une précision hors du commun, étaient parfaitement rangés. Au plafond, une interminable ligne de néon projetait une lumière blanche aveuglante, rappelant les chambres d'hôpital. Tout était aseptisé, millimétré, irreprochable.

 J'avais patienté une heure en salle d'attente. La climatisation soufflait inlassablement son air glacial, faisant frissonner les quatre personnes dans la pièce. Personne ne pipait mot, n'osait bouger ne serait-ce que pour prendre un magazine. En entrant, j'avais aperçu la date sur l'un d'eux : 21 août 2002. Légèrement dépassé. La seule activité dans la pièce se trouvait dans un coin de la pièce. Sur un frêle bureau en inox qui menaçait de s'écrouler d'un instant à l'autre, une petite cage accueillait deux hamsters. Le premier, grassouillet, se cachait dans une cabane peinte en mauve. Le second courait comme un dératé dans une roue qui couinait à chaque tour.

 Léa, six ans, observait ce curieux spectacle avec une attention toute particulière. Ma petite tête blonde avait demandé la permission d'aller les regarder à peine cinq minutes après qu'on soit entré. Une heure plus tard, elle était toujours là, debout, les bras croisés sur la table. J'étais persuadé qu'elle leur avait donné des noms : Edgard et Papou, comme les deux qu'on lui avait acheté l'an dernier et qui ont mystérieusement disparu une nuit alors que la porte de leur cage était restée ouverte.

 Un responsable vint enfin nous chercher. Il fallut que j'aille décrocher ma fille du bureau pour qu'elle nous suive. Nous traversâmes plusieurs pièces avant d'arriver dans le cœur du refuge. J'entendais les aboiements avant d'y arriver, mais en entrant dans le chenil, je tombai des nues. Dans un immense couloir, une succession de cages métalliques retenaient une vingtaine d'animaux. Il s'agissait essentiellement de chiens qui, en entendant entrer un inconnu, s'étaient rués sur les portes en hurlant.

 J'avais l'impression d'assiter à une étrange parade nuptiale. Chacun y allait de sa danse, transcendé par l'espoir d'être adopté. Langues pendues et queues énergiques enluminaient notre passage. Même en sachant que quelque part, quelqu'un les attendait, je fus pris d'une immense tristesse en les voyant. J'étais certain de ne pas être le seul à avoir eu la même idée, mais sur le coup, j'avais eu envie de tous les ramener chez moi.

 Léa nous suivait en essayant de rester calme. Il suffisait de la regarder pour voir qu'elle trépignait d'impatience. Quelques jours plus tôt, en regardant les infos, elle avait été bouleversée par un énième reportage sur l'abandon des animaux à l'approche des départs en vacances. Elle, qui adorait les boules de poils en tout genre, se sentait comme au paradis. Ses doigts glissaient le long des barreaux d'acier avec la volonté de pouvoir un jour tous les arracher.

 L'employé nous mena dehors, sur leur grand terrain. Là, un autre grand groupe de chiens courait dans tous les sens. Ils se chassaient les uns les autres dans une joyeuse confusion. Dès que nous mîmes un pied dans l'enclos, plus de la moitié nous chargea avec un bonheur non dissimulé. Ma petite manqua de se faire piétiner, mais elle réceptionna tout leur amour à grand renfort de câlins et autres caresses.

 Quand ma femme Claire et moi avions décidé d'offrir un chien à Léa, il fut rapidement évident que c'était à elle de le choisir. Après avoir organisé cette petite visite surprise avec le gérant de la SPA, il ne lui restait plus qu'à choisir son futur nouvel ami. Ma seule crainte, comme avec les hamsters, fut qu'elle le délaisse. La faire choisir son compagnon l'aiderait peut-être à s'attacher un peu plus.

 Léa courut quelques minutes, poursuivie par une meute enjaillée. Petit à petit, les chiens se détachèrent du groupe pour retourner jouer entre eux, permettant à ma fille d'explorer un peu plus à sa guise. Le responsable et moi l'accompagnèrent de loin. Après cinq bonnes minutes, Léa repéra un animal isolé. Il n'avait pas l'air mal en point, seulement solitaire.

 C'était un basset hound, facilement reconnaissable à ses énormes oreilles tombantes et, bien entendu, à la réputation de la mascotte d'un certain magazine télé. L'animal, allongé, observait Léa s'approcher sans réagir. Il avait la langue dehors et respirait rapidement - l'été était bel et bien là. Lorsque je fus suffisamment prêt, je remarquai qu'il avait une grande cicatrice disgracieuse autour de l'œil gauche.

— Un accident de vélo. Son ancienne propriétaire l'avait mis dans un panier. Ça fait deux ans qu'on l'a, personne n'en veut.

— Il s'appelle comment ?

— Eggsy.

— Quelque chose me dit qu'on va repartir avec.

 Comme je l'avais deviné, Léa passa près d'un quart d'heure avec Eggsy, délaissant totalement les autres chiens. Elle s'assit à côté de lui et commença à lui expliquer comment était notre maison. Après avoir rapidement fait le tour de l'enclos, nous sommes retournés près d'elle. En nous voyant arriver, elle se leva et vint à notre rencontre. Dans son unique œil droit pétillait une nouvelle passion.

— C'est lui que je veux ! demanda-t-elle en implorant presque.

 Tout comme le basset, Léa avait perdu un œil par le passé. En découvrant un chien avec le même handicap, elle ne pouvait que tomber amoureuse de lui. Je me suis mis à son niveau et je lui ai caressé la joue.

— Il faudra en prendre bien soin, d'accord ?

— S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît !

 Je me redressai en lui ébouriffant les cheveux et je me tournai vers le gérant.

— Je vous l'avais dit, non ?

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