4 - La causette

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Gaby est devenue mon amie deux ans plus tôt. Originaire de Paris, cette diva aux bonnes manières très discutables s’est tout naturellement immiscée dans notre duo avec Max, puis très vite, elle s’est mise en couple avec Simon, le frère de Max. Il faut dire que c’est une fille super. Franche, intransigeante et drôle, je sais que je peux compter sur elle en tout point, et j’espère que l’inverse est également vrai en ce qui la concerne.

Pourtant j'avoue que son sous-entendu envers Damien, mon correspondant de longue date, m'a froissé plus que ça n'aurait dû. Je sais que ce pseudo relation à distance peut paraître insensée ou immature, surtout quand on sait que l'on s'écrit depuis qu'on a quinze ans. Mais, au fil du temps, je me suis attachée à cet ami, dont il ne sait que ce que j'ai envie de lui avouer. Cela me permet aussi de confesser la moindre de mes pensées sans avoir peur d'être jugée ou que mes proches soient au courant, et ça, c'est plutôt rassurant. Je pense qu'une grande part de notre entente résidait dans le fait qu'on ne cherchait pas à se rencontrer, ni même de connaître la véritable identité de l'autre.

Tout au début, nous avons cherché des pseudonymes, car aucun de nous ne pensait que cela allait durer autant d'années.Moi je suis Rose. C'est le prénom de ma grand-mère et c'est aussi le premier qui m'est venu. Au début, c'était grisant. A part mes deux frères et Max, je n'avais personne d'autre qui parler une fois sorti de ma rue, aussi, j'attendais impatiemment mon mail hebdomadaire, puis c'est devenu mensuel, et de plus en plus irrégulier à mesure que l'on a vieilli. Je le comprends cependant, nos vies sont mises à rude épreuve. Pour ma part, cette bouteille à la mer est souvent envoyée lorsque je vais au plus mal, et Damien me répond toujours. Ma rupture avec Paul n'a pas fait exception. Cela faisait quatre mois que nous n'avions pas communiqué avec Damien, et j'osais croire que cette main tendue de ma part allait peut-être changer la donne.

Depuis, c'est le néant, et ça m'inquiète. Je me rends compte que cette course vers le bonheur était là, sous mes doigts qui pianotaient sur le clavier et que je l'avais certainement manqué. Quelle idiote, je fais. Il est temps pour moi de prendre des décisions et je ne me laisserais pas évincer pour une femme dont j'ignore l'existence si tentée qu'il soit en couple. Peu importe à quoi, il ressemble, je sais qu'il me correspond. Je l'ai toujours su et je compte bien le retrouver.

Pour l’heure, je suis en retard à notre rendez-vous hebdomadaire. L’avantage de vivre dans une petite ville, c’est que j’ai la chance d’avoir mes proches vraiment très proches dans tous les sens du terme. C’est ainsi que l’on se retrouve à «la causette» à mi-chemin entre le lycée où j’enseigne et le collège de mon enfance où Gaby s’occupe de la bibliothèque et tout ce qui concerne les recherches informatiques des élèves dans le CDI qui n’existait pas à mon époque.

Le vent glacé m’arrache la gorge. Je cours en petites foulées jusqu’au petit commerce du bout de la rue des souvenirs, ma mallette à la main et croise le regard impitoyable de Gaby qui m’attend à notre table habituelle. L’endroit est vraiment chaleureux. Avant c’était une droguerie tenue par le très vieux Monsieur Talmont, aujourd’hui résident à l’EHPAD où ma mère travaille chaque après-midi. Nous avons redécouvert cet endroit, il y a peu avec Max et Gaby. Pour être exact, ce salon de thé a vu le jour le lendemain de ma rupture avec Paul, alors c’est tout naturellement, qu’il est devenu notre fief pour nos brunchs, samedi soirs peu animés et autres événements où annonces lorsqu’elles sont nécessaires. Dieu merci, cela fait des semaines que je ne suis plus LE sujet de conversation, sauf qu’avec ce qui s’est passé dimanche dernier, j’ai bien peur de ne pouvoir y échapper cette fois.

Rébecca, la gérante quelque peu hippie sur les bords, m’accueille de son large sourire avec l’une de ses fameuses robes fleuries, virevoltant au moindre mouvement de sa taille jusqu’à ses pieds bronzés.

— A ma cliente préférée, comme d’habitude ou nous mettons un peu de piment dans cette radieuse journée ?

C’est plus fort que moi, je repense au vent polaire qui s’installe depuis des jours ainsi qu’au soleil qui se fait rare et souris devant ce trop plein de gaieté.

— Laissons de côté le piment Beca, mais ajoute nous quelques douceurs, nous en aurons besoin.

Et pour cause, Gaby m’a élue grande organisatrice de sa fête d’anniversaire qu’elle donnera très prochainement dans la plus grande salle des fêtes de la ville. Et c’est très exactement le sujet de notre rendez-vous du mardi, sauf que je suis en retard.

— Laisse-moi deviner, tu as trouvé une nouvelle brebis égarée à sauver des griffes de l’ignorance ?

— Tu es vache. Oui, je suis impliquée dans mon travail, contrairement à toi, qui ne le considères que comme une pompe à fric pour payer tes fringues à paillettes.

Gaby aime quand je lui parle de la sorte. Elle sirote son chocolat viennois, me sourit et secoue sa paire de seins sans retenue ce qui nous vaut un drôle de regard du gars assis non loin de nous.

D’ordinaire, elle aurait sorti un sarcasme bien tranchant, mais là, oh surprise, rien ne vient. Rébecca me sert mon chocolat sans le journal, ce qui est une première et je sens Gaby nerveuse, ce qui n’est pas normal.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— En fait, je t’ai fait venir pour t’annoncer quelque chose.

La dernière fois qu’elle a fait cette tête, c’était pour me dire qu’elle sortait avec Simon, mais je le savais déjà par Max, donc en soi, ce n’était pas une surprise. Là, je dois dire qu’elle me fait peur.

— Je te préviens tout de suite ma chérie, ça ne va pas te plaire.

— Essaie toujours.

— J’ai appris hier matin, dans un communiqué destiné aux enseignants du collège, qu’il fallait que nous demandions très prochainement notre mutation.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Ne me dis pas que vous avez vendu de la drogue ?

Gaby ignore ma plaisanterie douteuse et continue de m'observer de ses billes grises avec une intensité trop solennelle pour elle.

— Ils vont fermer le collège.

— Pardon ?

— D’après eux, il le juge trop vétuste, et après une inspection du service concerné, trop dangereux pour les élèves. Ils vont le fermer dans un premier temps et il sera détruit, pour devenir un parking avant la fin de l’année.

— Un parking ? Mais, ce n’est pas possible. C’est mon collège Gaby, on ne peut pas laisser faire ça. Jo, Vincent, Simon, Max, nous avons tous été las bas, c’est...

— Je sais Ady, Simon a pleuré quand il l’a su.

Mon coeur se serre. Evidemment que nous sommes tous tristes à cette nouvelle. Tous ceux qui ont connu et aimé Jo le seront, je pense. D’ailleurs, j’imagine mal la réaction de ma mère.

— MA MERE, putain Gaby, il faut que je te laisse.

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