suite 2

2 minutes de lecture

C’est vrai que sous sa plume, honnêtement il ne s’était pas embelli mais elle ne s’attendait pas à cette bedaine qui débordait sous la pression du ceinturon ni aux cheveux dont le roux flamboyant s’était pastellé en blond sur la photo jointe à la lettre, la seule qu’il lui ait adressée avant l’envoi du billet ! Encore moins aux moustaches drues au-dessus du sourire qui se voulait accueillant . Les avait-il laissées pousser pour lui faire plaisir, se donner une image plus virile depuis ces trois mois où sa venue s’organisait ? Seul le regard bleu et direct tempérait un peu sa déception.

Dans son pays, le bleu c’était pour le ciel et la mer pas pour les yeux, noirs ou bruns comme leur peau pour affronter le soleil. Elle appréciait l’exception, était venue la chercher loin.

Quant à son âge n’avait-il pas arrondi un peu vite le millésime ? « La quarantaine » c’est ce qu’il avait annoncé mais quarante ou quarante-neuf, c’était toujours la quarantaine…neuf petites années, trois mille deux cent quatre vingt-cinq jours sans doute escamotés. S’y glissaient pour le plus, quelques rides amères au coin de la bouche, pour le moins un toupet de cheveux clairsemés sur le dessus du crâne, une calvitie naissante en un mot ! Malgré tout il lui avait fallu partir avec cet homme. En français ils avaient pu échanger et sa voix chaude elle l’aimait bien.

« -Bonjour, pas trop dur le voyage ? Vous avez pu dormir ? »

Non, elle n’avait pas fermé l’œil. Jamais elle n’avait pris l’avion jamais elle n’avait quitté sa maison. Sa famille non plus !

Recroquevillée sur son siège, crispée sous sa ceinture sanglée au plus juste, elle avait guetté les esprits qui à n’en pas douter restaient à l’affût pour la ravir pendant son sommeil ; dans le ciel ils sont partout et dans le ciel elle y était ! Sur le qui-vive elle roulait des yeux, atterrée dès que dans les nuages des soubresauts la secouaient, les autres passagers aussi. De ces trous d’air fréquents au-dessus de l’Atlantique elle échafaudait des attaques occultes, brutales pour aspirer l’airbus, le faire périr en mer, les livrer aux pirates, les changer en poissons. Elle n’avait pas touché aux plateaux que les hôtesses avaient gentiment posés sur la tablette que son voisin s’était empressé de rabattre devant ses genoux. Il semblait rompu au cérémonial du voyage en avion, lui avait montré comment s’attacher, avait tenté une conversation pour détourner son appréhension. C’est vrai que Sadia était jolie ce n’était pas pour lui déplaire.

Une beauté qu’elle n’avait pas su mettre en valeur dans la réponse que l’écrivain public avait écrite sous la dictée de sa mère et envoyée en Normandie avec un mauvais cliché dont le prix exorbitant avait soldé toute la basse-cour familiale et enlaidi son passeport tout neuf. Pourtant sa peau d’un beau ton de charbon éclairée de grands yeux vifs et profonds, ses traits fins en avaient charmé plus d’un au dhoot[1] et plus tard à Mombasa. Ses bijoux, petites rivières de perles multicolores scintillaient sur plusieurs rangs autour de son cou, ses bras, ses chevilles. Son port altier drapé dans le kanga chamarré moulant ses fesses rebondies avait attiré bien des regards en salle d’embarquement. Sa mère avait vendu leur chèvre pour le lui acheter dans une boutique de Biashara Street,[2] avec deux autres kikois[3] qu’elle transportait pliés dans un balluchon à la main.

[1] Village

[2] Rue dans la vieille ville de Mombasa

[3] Sorte de sarong

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire JAC LYNN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0