Sagesse

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- Ca faisait longtemps...
- Nous étions allées au zoo la dernière fois.
- Non je n'étais pas là.
- Moi si, je me souviens bien, nous avions vu les tigres
- Les hippopotames
- Les paresseux
- Hihi, tu veux dire nos maris ?
- Ne m'en parle pas...
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- Et les loups
- Et les loutres
- Et Josianne
- Comment ça Josianne ?
- Nous avions passé la soirée chez elle en rentrant.
- Oui, oui c'est vrai.
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- Ca me rappelle le poème que j'ai vu affiché dans la rame de métro l'autre jour. Ca disait quelque chose comme... L'homme était un animal...
- Oui, bon, de là à en faire un poème...
- Attends, ce n'est pas là l'important. "... Et le zoo devint scène" Voilà, je me souviens par coeur de ce vers-ci.
- Et le zoo devint scène...
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- À propos, tu viens toujours à la rencontre poétique ?
- Oh ! quand a-t-elle lieu ? Vous ne m'en avez pas parlé.
- Eh! bien, la semaine prochaine, le vendredi soir je crois.
- Non non, c'est jeudi, dès 19h.
- C'est vrai, c'est vrai... Je confonds souvent les jours... Les jours se suivent et se ressemblent...
- Te voilà fin prête pour la rencontre.
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- Nous y allons avec Marie-Ange.
- Mais justement la voici.
- Oui me voici. Je ne vous ai pas fait trop attendre ?
- Oh, penses-tu, une dizaine de minutes, pas plus.
- J'en suis vraiment confuse.
- Allons, ce n'est pas le temps qui nous manque...
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- Il faut se lever, j'entends la rame de métro qui s'en vient.
- Oh, tous ces gens, j'espère qu'ils nous laisseront passer.
- Ne dis pas de bêtise.
- Regarde-les, si pressés...
- Peut-être que c'est vrai.
- Quoi donc ?
- C'est comme une vaste scène. Ou comme un zoo.
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- Il n'y a pas de place.
- Attends un peu, on va bien nous en laisser... Tiens, tu vois ?
- Vous êtes bien aimable, monsieur.
- Assieds-toi, Thérèse.
- Zut, il manque un siège.
- Ce jeune homme pourra bien nous le laisser.
- Tout de même, il ne s'est pas pressé.
- De mon temps...
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- Tu vas bien, Marie-Ange ?
- Oui, oui... Oh, tu sais, en ce moment, je suis perdue dans mes albums.
- Ah oui ?
- Je regarde les photos de mes petits-enfants à leur naissance... Et celles de mes enfants... J'en ai même trouvé d'encore plus anciennes, et je me replonge dans ma jeunesse...
- C'est bien agréable.
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- Mais d'où vient ce petit bruit ?
- Je crois que c'est la musique qu'écoute ce garçon.
- Oh oh, ces jeunes, toujours sur leurs écrans.
- Ah tu sais, c'est quelque chose de très dangereux. J'ai lu des articles sur le sujet. Cela aurait des répercussions sur la santé.
- Et puis c'est dommage... De mon temps, quand on n'avait pas toute cette technologie, on n'était pas refermé sur soi-même.
- C'est vrai, je me souviens, on lisait dans le métro.
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- Ah justement, j'en repère un plongé dans la lecture. Le titre... Tso... Tsub... J'ai du mal à lire. Je crois que c'est japonais.
- Oh, serait-ce cet auteur qui a remporté le prix Nobel ?
- Non, je ne crois pas...
- Mes chères, vous avez dû vexer ce pauvre garçon, il a retiré ses écouteurs.
- Ca ne peut pas lui faire de mal.
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- Ah si on nous écoutait un peu plus...
- Oh ! tu exagères !
- Moi mes petits-enfants s'entendent bien avec moi, et ils m'ont même ajoutée sur Facebook.
- Moi aussi. Mais tu sais ce qu'ils disent ? Ils disent qu'on est mignonnes.
- Eh bien ? C'est un compliment !
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- En Afrique, on dit que quand on meurt, c'est une bibliothèque qui brûle...
- Elle n'a pas tort. Autour de moi, je crois que c'est ce qu'on pense : on part en retraite, vers le sonotone.
- Oh ! c'est une chanson de ce poète...
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- Vous savez, il m'est arrivé quelque chose récemment, dans le métro. Ou plutôt il est arrivé quelque chose.
- Raconte.
- Eh bien... J'étais assise, j'étais seule... Il y avait une dame, les cheveux noirs, de taille moyenne... Les yeux... Ah mais je ne sais pas, je l'ai surtout vue de dos, et puis j'ai un peu oublié.
- Que lui est-il arrivé ?
- Eh bien un monsieur est rentré et...
- En parlant de ça, il y a quelqu'un qui parle.
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- Que dit-il ? je n'entends pas bien.
- C'est parce qu'il parle assez bas.
- Et puis il est à l'autre bout de la rame.
- Ah mais c'est un mendiant.
- Oh, quelle misère.
- Oui, on en croise tous les jours dans le métro. Et depuis un certain temps il y a beaucoup de réfugiés. Ah! si les gens savaient ouvrir leur coeur et leur porte.
- C'est l'un des thèmes de la soirée poétique.
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- Fouillez dans vos poches, mes amies, nous devons bien avoir quelque chose pour lui.
- J'ai quelques pièces rouges. Je vais lui donner.
- Mais que disais-tu, Christine ?
- Moi ?
- Oui, tu étais en train de nous raconter quelque chose.
- Oh, ce n'est pas important, je vous le dirai peut-être une autre fois.
- Bon, c'est toi qui vois.
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- Combien de stations nous reste-t-il ?
- Deux.
- Il est bien mignon, ce petit bout de chou.
- De qui parles-tu, Marie-Ange ?
- Ce petit enfant, à côté, sur les genoux de sa mère, cette jeune femme blonde.
- Elle m'a l'air assez jeune en effet. Je me demande où est le père.
- J'entends un bruit de course. Ahlàlà, ils ne savent pas prendre leur temps, de nos jours.
- Héhé, il est déterminé à prendre sa place dans ce train.
- Il faut qu'il puisse s'arrêter.
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- Oh, il ne s'est vraiment pas arrêté. Regarde, il a renversé plein de gens
- Dont le petit enfant.
- On ne fait plus vraiment attention aux autres, de nos jours.
- Ils ont l'air vraiment en colère.
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- Ce jeune homme qui était assis à ta place particulièrement. Ecoute, il s'énerve sur lui.
- Ca me paraît normal. On n'a pas idée de bousculer les gens comme ça !
- Oh mais quand même, il dit quelques grossièretés, ce n'est pas raisonnable.
- Ils sont tous un peu impolis.
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- Une autre dame est en train de faire la leçon au jeune homme.
- Celui qui était assis là ? ah, mais je ne vois rien.
- Mais non voyons, celui qui a bousculé tout le monde.
- Tiens, il y en a une autre qui intervient. C'est bizarre... Elle dit à l'autre femme de se taire.
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- Pourtant, elle a raison, la personne est impolie, elle doit demander pardon.
- Oui, en plus il semble ne pas reconnaître ses fautes.
- C'est normal, il ne fait attention à personne.
- Oh, attendez, cette femme...
- Ah mais il va falloir nous préparer à sortir, nous descendons à la prochaine station.
- Qu'est-ce que tu as, Christine ?
- ...Rien, j'étais ailleurs, l'espace d'un instant.
- Un instant poétique ?
- Pas vraiment...
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- Je ne suis pas fâchée d'être sortie.
- Quelle ambiance.
- Il faut bien que jeunesse se fasse, comme on dit.
- C'est vrai, mais c'est dommage, ils ont tant d'opportunités, ils ont la vie devant eux, alors c'est dommage de se perdre dans de telles histoires.
- Heureusement que nous sommes là pour maintenir un peu de sagesse.
- Hihi
- Par ici la sortie.
- Je vois le panneau.
- Je vous suis.

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