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The Hawk

Enfin je ressentais une émotion humaine : la joie.

Cette épreuve m’avait rapproché d’eux. Si les poursuivants nous avaient effectivement rattrapés est-ce qu’ils se seraient encombrés de moi ? Pas plus que mon équipage.

Alors je participais à ma façon à la fête en évitant de tanguer. Sinon un de ces idiots complètement bourrés aurait fini par passer par-dessus bord.

Ils buvaient leur propre marchandise. C’est dire à quel point la situation était exceptionnelle à leurs yeux.

Quant à leurs poursuivants ils n’y pensaient plus ou plutôt évitaient de le faire.

En me voyant arriver nos ennemis avaient préférés fuir. Les dimensions de leur navire étaient trop réduites pour contenir une barque de secours. Par conséquent les plus chanceux avaient dû se contenter de boués.

Ils étaient condamnés d’avance. Remarque c’est que j’avais prédis à propos de Kid.

Et à présent il s’enfilait une nouvelle rasade de whisky sous les applaudissements de ses confrères.

Max le secoua fraternellement par les épaules afin d’effacer son intention précédente à son sujet. Keith menait les festivités avec quelques balades irlandaises. Un peu en arrière Cranio sirotait du bout des lèvres sa bouteille. Lawton trinquait çà et là en affichant son fameux sourire.

Qu’est-ce qu’ils étaient prévisibles parfois et touchants également.

Ils gesticulaient, gueulaient, et se marraient quand l’un tombait ou dégueulait. Ce fut une bonne fête.

Puis la nuit tomba et l’ambiance avec. Ils étaient parvenus au stade des discussions somnolantes.

Max s’était effondré par terre et vomissait. Keith le roula sur le coté de façon à ce qui ne s’étouffe pas avec son propre vomi. Avouez que cette mort aurait été pathétique.

Kid lui encaissait plutôt bien. Il faut dire qu’il avait été raisonnable. Pourtant chez eux la sagesse était censée venir avec l’âge.

Lawton s’approcha tranquillement de lui.

« Suis-moi. Il faut que je te parle seul à seul. »

Il venait de s’adresser à Kid non comme à un subordonné mais à un camarade. Si bien que le cadet du groupe le suivit docilement jusqu’à ma pointe.

Si on faisait fi des bruits de beuverie à proximité l’instant était majustueux. L’océan atlantique de nuit éclairé par la lune. Le maitre et l’élève côte à côte. Lawton avait vraiment le sens de la mise en scène.

Perfectionniste jusqu’au bout il s’accorda un petit silence mystérieux avant de prendre la parole d’un timbre paternel.

« Tu sais Marvin, ton plan m’a vraiment impressionné. »

Le fait qu’il l’appelle par son prénom à la place de son surnom réveilla l’attention de Kid. Visiblement ces féliciations iraient sans doute plus loin que prévu.

De mon coté j’étais plus critique à propos de la stratégie de Marvin.

Avant de fuir il avait embarqué une chose : le bidon d’huile usagé restant. Une fois à proximité du navire de nos poursuivant, Marvin s’était jeté à la mer, juste après avoir enflammé le baril, et ainsi provoqué l’incendie.

Je persiste à penser que ce procédé était quelque peu rustique.

Lawton lui continua son monologue.

« Ton exploi deviendra vite une histoire qu’on se raconte dans tous les ports du monde. Le jeune héros partant subrepticement au combat, parce qu’il veut être le seul à payer pour ses erreurs. »

Marvin commença à s’inquiéter. Le discourt devenait un peu trop pompeux à son goût voir peut-être même sarcastique.

« C’est pourquoi je ne gâcherai rien au sujet de la fin. »

« La fin ? » Dit enfin Marvin intrigué.

« Ton fabuleux plan contenait tout de même une grosse faille. Rien ne te garantissait qu’on reviendrait en arrière de sortir de la flotte. »

« C’était un risque à prendre. »

« Belle improvisation. » Répliqua Lawton d’un ton bien plus naturel. « Encore. »

Ce dernier mot en révélait beaucoup. Marvin préféra ne rien dire. Il savait lorsqu’il ne se trouvait pas en position de force.

Moi je me mis à réfléchir un peu et finis par voir les choses sous un autre angle. Ce que Lawton avait déjà fait visiblement.

Cette huile frelatée était inflammable tout comme mes réserves de carburant. Seule une différence subsistait. Cette huile constituait notre dernière ligne de défense. Si en fait Marvin était venu l’offrir à nos poursuivants ?

Une fois à proximité les poursuivants s’étaient montrés agressifs et avaient ouvert le feu. Marvin avait paniqué et sauté. Ensuite une balle mal placée suivi de quelques étincelles avait provoqué l’incendie.

Une autre question restait en suspend : les intentions de Lawton. Soudainement silencieux il plongea la main dans sa poche face à un Marvin paralysé. Ce dernier n’avait pas vraiment peur. Il s’agissait plus de résignation.

Lawton extirpa alors un billet et le lui tendit.

« A notre prochaine escale tu vas te payer du bon temps au point d’en oublier de revenir. »

Marvin allait donc se retrouver seul dans un coin paumé de l’Atlantique juste à cause d’une incertitude. Il n’argumenta pas, ne gueula pas, n’avoua pas.

L’air légérement contrarié il prit le billet et retourna en arrière profiter de son instant de gloire. Sa résignation m’impressionnait. Comment un humain aussi jeune pouvait-il se comporter ainsi ?

Au contraire Lawton fidèle à ses habitudes venait de jouer la sécurité. Bizarrement il ne paraissait pas satisfait. Des remords ? Envers ce gamin qu’il connaissait à peine, certainement pas.

A mon avis il songeait aux conséquences. Pourrait-il encore vendre de l’alcool de contre-bande ? Qui allait soigner le marin blessé ?...

Des préoccupations purement humaines.

Moi aussi l’une d’elle me travaillait. Elle concernait mon fidèle Cranio. Rien ne lui échappait, surtout pas un gamin se trimbalant avec un lourd bidon juste derrière son poste et ajustant les poulies du canot de sauvetage.

Quel intérêt avait-il bien pu trouver à laisser faire ?

Voulait-il qu’au moins une personne survive au sein l’équipage ? Pensait-il au contraire punir Marvin de sa lâcheté en le laissant se lancer dans un projet bancal ? Etait-ce tout simplement une sorte de curiosité morbide face à l’incertitude de cette action ?

Je ne trouvais que des motivations stupides, irrationnelles, humaines.

Qu’est-ce que j’avais bien pu trouver à Cranio ! Il était comme les autres membres de son espèce dénué du moindre intérêt. Il était temps d’en revenir à ce qui conservait un véritable sens : mon moteur, mon hélice, mon gouvernail...

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