Désespoir.

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La Terre, les humains. J'ai l'impression que ces mots sont étrangers pour moi. Je n'aime pas ce monde, ces habitants, ces coutumes, ces obligations... Il semble que rien ne soit fait pour moi. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé de m'intégrer... Echec. Même pour jouer je déteste ce mot. Larme est un mot que je connais bien et celui-là je l'apprécie. Goutte qui roule sur la joue, calme, salée et qui s'écrase au sol. J'aimerais être une perle d'eau. M'échapper de cette pièce blanche sans issue. Froid. Horreur. Tristesse. Démence. Hurlements. Oui, ils m'ont mise dans un asile. Lorsque je suis entrée, j'avais peut-être les yeux vides et éteinds mais j'ai entendu le médecin dire à ma mère : << Ne vous inquiètez pas, elle trouvera sa place ici. De toute façon je doute qu'elle ait une place autre que là.>>

Il a rit. Les poils de mes bras se sont hérissés et j'ai été parcourue de spasmes. Pour eux, ça a juste été une preuve de plus de ma folie. Je voulais qu'on me fiche la paix et je m'étais dit que ce pouvait être un bon endroit : nourriture, soins, logement, des gens qui vous parlent comme un bébé. Avant je n'avais qu'un mot pour cet endroit sordide : tranquille. Il s'est rapidement effacé pour laisser place aux cinq autres ci-dessus. J'ai réussi à choper un carnet d'infirmière et un crayon la semaine dernière. J'écris ma vie car sans ça je pense que je vais réelement devenir folle. J'ai joué la comédie et je la joue tous les jours. Je ne parle à personne, ça me trahirais. Flemme de parler de toute manière.

Oh non, je ne suis pas folle. Ils vous aurons sans doute convincus du contraire... Mon seul moment où je peux faire preuve de plus de lucidité c'est lors de la promenade. Je m'extasie de tout et ils trouvent ça normal. Logique : tout ce que je vois, le reste du temps, c'est les quatres murs carrelés blancs, le lit et les toilettes avec lavabo. La majorité du temps, je m'assied à côté de la porte, pas pour m'enfuir mais pour regarder la fenêtre grillagée qui est à plus de deux ou trois mètres du sol. J'ai cessé de compter les jours et le temps. J'ai cessé d'attendre une visite depuis longtemps. J'ai cessé de croire. Je laisse le temps s'égrener jusqu'a ce que mon heure vienne. Plus d'une fois, j'ai tenté de me laisser mourir de faim mais ils ont toujours trouvé une parade...

On m'a rasé les cheveux parce que les infirmières en avait marre de se battre avec les noeuds. J'ai pleuré. Excessivement. Pendant une semaine. Un animal. Je devais ressembler à un animal. On m'a même enfilé une camisole de force. L'horreur. Le pire c'est les infirmiers. Eux, ils violent. Pas tous, mais la plupart se croient tout permis ; nous ne sommes que des démens stupides qui n'ont pas de conscience. J'ai été prise trois fois en une semaine, celle de mon arrivée. En riant ils ont dit que c'était leur manière de souhaiter la bienvenue. Souillée. Dès que quelqu'un rentrait je me réfugiais sous le lit pour échapper aux mains baladeuses. La nuit je pleurais consciente que s'ils me prennait je serais démasquée. J'ai eu de la chance en quelque sorte, car il y en a qui frappent fort.

Je me suis vengée une seule fois d'un homme. J'avais préparé mon coup. Assise à même le sol, près de la chaise aux visiteurs. Quand il est entré avec le plateau repas, j'ai fait sembant de bouder. Il a dû s'approcher du côté de ma tête, à l'opposé de la chaise. J'ai attrapé cette dernière avec une main et de toute la force que j'ai pu, je lui ai balancé à la figure. Ensuite, je me suis emparée du plateau et je l'ai abbatu sur son visage. J'ai saisi le plateau et l'ai fracassé sur son nez. Ce dernier s'est brisé. J'ai hurlé et arraché mes vêtements. Je me suis jetée contre la porte pour attirer l'attention. Ça à marché ! Deux aide-soignants ont accouru. En ouvrant la porte à la volée ils m'ont vue à moitié nue et l'autre le pif en sang. Il s'est fait viré sans entendre ses plaintes.

Le directeur a décidé de me laisser effectuer les promenades. Allez savoir pourquoi, mais je n'y avais pas le droit avant. J'ai vaguement compris que c'était pour calmer mes ardeurs et pour que je ne devienne pas violente si je restais enfermée. J'ai découvert le bonheur de l'air pur après un mois confinée dans ma cellule. Ils nomment ça "chambre" mais pour tous c'est une "cellule". Quand je sors, je cache le carnet dans mes vêtements. Je reste statique dans ma chambre, a trembler de froid contre le carrelage glacé. Mon visage n'exprime rien. Il est vide. J'ai souvent envie de tout casser mais je me retient. Avec mon absence de paroles, j'ai échappé aux psys. Je ne suis pas démasquée du coup.

Aujourd'hui, on a été se balader. Mon infirmière est sympa, a chaque fois, elle me laisse m'asseoir sur un banc à l'ombre d'un arbre. Un vieux chêne sombre. Elle m'autorise aussi à me blotir entre les racines. J'aime bien sortir sous la pluie. Je me sens libre et en vie. Un autre "patient" à fait une crise et son accompagnateur n'arrivait pas à le maitriser seul. La femme avec moi m'a jetté un coup d'oeil et j'ai fermé les paupières. Elle a hésité un instant avant d'aller aider son collègue. Je suis restée un moment abasourdie. Seule !

Soudain, l'air de mon refuge se colore en bleu foncé. L'arbre devient noir. Je m'affole, je gigote, m'éloigne. Je tente de me lever seule mais mes jambes sont atrophiées à force de rester prostrée. D'habitude, quelqu'un m'aide à marcher. Je prend appuis sur le banc et lève la tête. Une sorte de tunnel bleu/blanc est devant moi. J'entend un cri : <<Eva !>>. Pas la peine de m'appeller, je m'en vais ! Peut importe si c'est la porte vers la mort ! Je me met debout sur le banc et pose un pied dans le vide. Je marche dans l'air ! Ais-je perdu définitivement l'esprit ? Mon prénom résonne dans l'air une seconde fois. Non, je ne me retournerais pas. J'avance et un éclair blanc m'aveugle. Je crie : <<LIBRE ! JE SUIS LIBRE ! >>. Ma voix est brisé, cela fait beaucoup trop longtemps que mes cordes vocales n'ont pas servi. Je m'écroule au sol, épuisée.

Quelque chose me chatouille le nez. Je me gratte et ouvre les yeux. Une mèche rousse. Il n'y a personne autour de moi. Serais-ce mes cheveux ? Je passe une main fébrile sur mon crâne. Ils ont repoussé !! Je pleure de joie, ça faisait longtemps que je n'avais pas été aussi heureuse. Je me décide à me lever. J'y arrive du premier coup, comme si j'étais guérie ! C'est magnifique... Je ris. Ça aussi, ça faisait longtemps que je ne l'avais pas fait ; comme c'est agréable !

Je remarque des ombres qui approchent. Tous ces gens ! C'est dingue. L'un m'adresse la parole :

— Bonjour, Eva. Nous vous avons sauvée.

— Bonjour. Je... Eh bien, merci beaucoup ! Je vous dois la vie.

— Non, vous ne nous devez rien. Vous avez une deuxième vie, profitez en. Une nouvelle vie, avec de nouvelles personnes. Chacun fait ce qu'il veut ici, tout le monde est libre. Il y a nourriture, logement etc à disposition de chaque personne. Vous êtes réelement libre, mademoiselle Martons. On ne vous enfermera pas, on ne vous demandera pas de vous trouver une place.

— Heu... Ça fait beaucoup d'informations d'un coup. J'ai une question.

— Allez-y.

— Est-on sur Terre ?

Il y a un silence, puis un fou rire éclate. Je fronce les sourcils, pourquoi rient-ils ?

— Non ma chère, nous ne sommes pas sur Terre.

— Je suis morte ?

— Non plus. Vous être dans un univers parallèle. Il y a un passage vers la Terre mais nous l'utilisons que rarement. Pour les cas extrêmes et désespérés tels que vous.

— C'est génial ! Merci de m'avoir sauvée !

— Je vous en prie !

Ce monde est sombre et clair à la fois. Bleu foncé ou vert foncé presque noir, et un bleu clair s'approchant du blanc pur. Entre les deux, se cale un bleu ciel. C'est beau.

Je déambule parmi les arbres, de la mousse tapisse le sol. Fatiguée par tant de nouvelles, je m'allonge. C'est doux et chaud. Ma vie va être meilleure, il faut que je réapprenne à vivre. Je promet de profiter à fond. Espoir, vie, amour, chance, bonheur. Cinq mots qui définissent ce lieu que j'avais qualifié "d'étrange" au début. Ces mots se muent en un seul.

Merci.

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