La naine et le Pèlerin: La Mésange d'Estérillion( partie 1/9)

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— Tu te grouille, le Longues-Jambes ? cria Loïs à l'adresse de son nouveau compagnon de voyage.

Bien qu'il soit courant chez les voyageurs de se regrouper pour se protéger des bandits, la troubadour regrettait âprement son choix. L'homme l'agaçait au plus haut point. Silencieux, il flânait tout le jour durant le nez au vent.

Un peu comme les trois chèvres de Loïs, mais en plus lent.

Pourtant, il avait tout pour marcher en tête, ou tout au moins à ses côtés ! Lui, haut de taille, long de jambes et aidé de son stupide bâton de marche. Elle, affublée de nanisme et d'une légère boiterie qui ralentissait encore ses pas. Non, vraiment, cela aurait dû être facile pour lui de garder son rythme, mais il n'en était rien.

— Tu te bouge, oui ! Gronda Loïs, excédée par tant de lenteur.

Chèvres et voyageur sursautèrent de concert et pressèrent le pas pour la rattraper.

Carpaccio, profita de ce rappel à l'ordre pour quémander quelques grattouilles que Loïs lui accorda de mauvaise grâce.

— Tartare, non ! l'arbre ne joue pas avec toi ! Tartare! Sermonna la naine à l'adresse d'une autre de ses bêtes de somme.

Fière de sa victoire, par abandon du végétal, ladite caprine secoua ses cornes en tout sens, ruant à l'occasion pour faire plus ample démonstration de la fougue qui l'habitait, tout en se cherchant déjà un nouvel adversaire. Elle le trouva en la personne de leur accompagnateur. La chèvre se mit aussitôt à le défier en combat singulier.

— Tartare, non ! il ne joue pas avec toi !

Le voyageur, niais qu'il était, se stoppa net, bras écartés en signe de paix et d'impuissance face l'impétueuse et redoutable bête. S'il attendait que la naine vienne l'en sauver, il pouvait aller se faire brosser ! Elle préférait le voir se faire rosser par son animal plutôt que d'intervenir physiquement.

Brochette, la troisième bête de somme, s'approcha de sa véhémente congénère, observa un temps le Pèlerin, puis sa semblable, revint à l'observation du Pèlerin. Toujours immobile les bras ouverts, il attendait encore que Tartare renonce à s'en prendre à lui. Diantre ! Même Tartare osait s'en prendre à lui ! Pourtant, s'il y avait bien ne chose que Loïs savait ; c'est que sa chèvre ne s'attaquait jamais à plus dangereux qu'elle, c'était pour dire combien l'individu était inutile. Lent, niais et mollasson ! Voilà ce qu'il était !

Brochette, qui elle semblait avoir meilleure opinion de lui, bouta d'un coup de corne Tartare qui partis sans demander son reste. Puis la chèvre, se mit à marcher aux côtés du voyageur comme si elle était sa gardienne.

Jusqu'au soir, l'ovine resta ainsi au près du Pèlerin et ne quitta ses flancs que pour rejoindre Tartare brouter lorsque les voyageurs commencèrent à établir leur campement pour la nuit.

— Hé ! Le Longues-jambes, dis moi pourquoi tu voyages ? L'interpella Loïs.

Cette question avait turlupinée la naine toute la journée et elle voulait maintenant une réponse.

— Carpaccio pas maintenant, soupira la troubadour en repoussa son animal qui réclamait des caresses.

Le grand dadais se tourna vers elle en haussant les épaules.

— Pour voir le monde, j'imagine.

— Ça fait longtemps que tu voyage ainsi ?

Le voyageur haussa encore bêtement les épaules. Il empila calmement un petit tas de bois, forma un nid d'herbes sèches à proximité. Il craqua une fois unique son briquet à silex qui produisit immédiatement une étincelle et enflamma le nid ; de là, il glissa l'ensemble sous le petit tas de bois et le feu pris. Loïs avait beau râler sur lui à longueur de journée, elle devait lui reconnaître une certaine habilité pour tout ce qui était la préparation d'un campement. Il choisissait toujours de très bons emplacements, bien protégé de la pluie et du vent, et sans racines pour vous percer le dos durant votre sommeil. Il allumait les feux de camps comme personne et sa grande carcasse semblait garder les loups au loin. Si seulement il n'était pas un traînard tout le reste du temps, peut-être que la troubadour pourrait l'apprécier, ou tout du moins peut-être le tolérer ?

— Je voyage depuis un temps, oui.

Loïs fronça le nez et compris qu'elle devrait se contenter de cette réponse.

— Pourquoi voyage-tu, le Longues-jambes ?

Le regard du voyageur se posa un instant sur la couronne de fleurs fraîches ou séchées qui ornait son bâton de marche. Il sembla soudain las. Très las, comme si tout un Âge s’abattait soudain sur ses épaules, puis il revint vers la troubadour et lui offrit un sourire chaleureux.

— Après le décès de mon épouse, je ne me sentais plus chez moi nul part. Aussi, ai-je pris la route.

Loïs baissa les yeux, un peu gênée par sa rudesse.

— Et vous, Dame Nain, pourquoi voyagez vous ainsi ?

Il avait toujours cette voix douce et chaleureuse, et ce ton posé et mesuré qui en cet instant fit presque regretter à Loïs d'être toujours si inamicale envers lui.

— Le royaume d'Esterillion, ça vous dis quelque chose ? le voyageur hocha la tête, la troubadour reprit ; nous avions à la cour de Vassily II son patronage et sa protection. Je m'y produisais tout les jours, ou presque, et on venait d'au-delà des frontières du royaume pour me voir me voir performer avec ma famille.

— La Mésange d'Esterillion, murmura le Pèlerin.

Il souriait comme si ce nom lui évoquait quelques souvenirs lointains. Loïs approuva d'un hochement de tête, cela faisait une éternité que personne ne l'avait nommée ainsi. Elle se sentit le cœur saisi de quelques fiertés qu'elle pensait oubliées et poursuivit :

— Mais à la mort de notre protecteur, son fils, qui n'était pas un ami des arts, nous a chassé de la cour puis du royaume. Les miens ont vite retrouvé un mécène et ont repris leurs activités dans une cour voisine, mais moi je ne voulais plus chanter. J'étais amoureuse d'un berger de mon âge et j'ai saisi l'occasion pour le suivre et le marier.

— Et, cela n'a pas duré ?

— Non. À promener les bêtes d'un pâturage à un autre, je suis tombée amoureuse de la route et deux ans plus tard, alors qu'il me tapait sur les nerfs et la caouane une fois de trop, j'ai pris mes instruments et je suis partis. Au début, je vivais de petits boulots, mais ce n'est pas facile de trouver un travail pour une personne de ma condition. Et puis, les gens ne veulent pas toujours du bien à ceux qui ont un handicap. Alors, de fil en aiguille, je me suis remise au chant. Je travaillais dans une taverne et nous faisions salle comble et poche pleine tout les soirs, puis mon amour de la route m'as repris. Je me suis acheté trois chevrettes, plus d'instruments et je suis repartie.

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