Bouton-d'Or (partie 1)

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Il était une fois une princesse dont tous admiraient la beauté et jalousaient sa richesse. Nul ne soupçonnait sa solitude. Son père, le roi, ne voyant en sa cour et ses enfants que des pions pour ses jeux de cupidité et de pouvoir, venait de lui annoncer qu'il avait trouvé à la marier.

L'heureux élu était de ses amis fidèles, veuf depuis peu et grand-père depuis longtemps. Il avait promis au roi de grandes richesses contre la main de sa fille.

De cette union, comprit la princesse, il tirerait tous les profits, et elle tous les devoirs.

Alors, pour un temps échapper à ses tourments, la princesse congédia ses suivantes et ses servantes. Puis se retira dans ses jardins que de hauts murs séparaient du reste du palais.

Là, dans cet écrin de verdure dont sa tour était le joyau, la demoiselle espérait trouver quelques réconforts, loin des regards et oreilles indiscrets. Aussi se mit-elle sans attendre à l'ouvrage de s'oublier un temps et de retrouver la paix.

Elle l'appela de tous ses souhaits tandis qu'elle entretenait ses parterres ; elle l'appela de tout ses vœux alors qu'elle arrosait ses massifs ; elle l'appela de tout son cœur pendant qu'elle taillait ses arbustes.

Elle l'appelait, elle l'appelait encore et encore, sans jamais la trouver.

Rien, dans ces gestes familiers et habituellement réconfortants, ne fonctionnait. Pourtant, la jouvencelle continuait de persévérer. Elle tint ainsi, roc face à la houle, jusqu'à se couper sur une épine. Alors, sa résistance céda face aux lugubres pensées qui l’assaillirent.

Vaincue, ses jambes ployèrent sous elle, mais avant qu'elle ne touche le sol, des bras la rattrapèrent et l'enserrèrent chaleureusement. Incapable de retenir son flot, la princesse éclata en sanglots. Bercée comme une enfant, elle pleura tout son saoul et après un temps se calma enfin. Dans cette douce étreinte, elle y resta encore un instant, puis reprenant contenance, s'en écarta à contre-cœur.

La demoiselle s'apprêtait à remercier l'homme qui l'avait consolée, mais la surprise tarit ses paroles. Devant elle se tenait un vagabond.

Emmitouflé dans sa cape de voyage, il allait pieds nus. De sa main droite, barrée par une profonde cicatrice entre les doigts, il tenait un bâton de marche orné d'une couronne de fleurs. Le vagabond était grand, son visage avenant et son teint tanné par le soleil. Il n'y avait pas d'homme tel que lui à la cour de son père. C'est peut-être pour cela qu'il lui inspira confiance.

Sans plus y réfléchir, la princesse l'invita à sa table, lui servit elle-même de quoi se rafraîchir et se restaurer, puis ils discutèrent longuement. De tout, de rien.

Doucement, elle en vint à se confier à lui, sur ses peines et sa solitude à la cour de son père ; il l'écouta sans jugement, sans balayer d'un mot ses doutes, sans lui rappeler le carcan doré de sa situation. Non, il l'écouta simplement comme aucun autre n'en avait jamais pris la peine.

Dans le secret de ce jardin, se joua le concert silencieux de deux cœurs ingénus qui battent à l'unisson, et les fleurs pâlirent de jalousie.

Ainsi perdue dans le regard de cet homme, la demoiselle ne vit pas le temps s'écouler. Quelle ne fut pas sa déception, quand le Pèlerin se leva soudain. Il se saisit de son bâton qui reposait à côté de lui, tira une petite fleur dorée de la couronne qui l'ornait, et la tendit à la princesse.

— Ceci est pour vous. Portez cette fleur à vos lèvres et toujours, pour vous, je viendrais.

La princesse se saisit délicatement du bouton d'or.

— Ne partez pas.

Il s'inclina, se détourna et s'en fit.

— Attendez !

Mais il ne l'entendait plus. Un instant plus tard, voilà qu'il avait disparu.

Bouton d'Or s'apprêtait à le chercher, mais elle entendit s'ouvrir la porte de son refuge et comprit que ses servantes venaient la quérir. Aussitôt, elle dissimula le présent du Pèlerin et le cacha contre son cœur, là où nul ne regardait jamais.

La demoiselle était tant troublée par l'apparition de tantôt qu'elle était incapable de se concentrer et toute la journée durant, la princesse au Bouton-d'Or, ne fut que l'ombre d'elle-même. Elle ne pouvait empêcher à son esprit de repenser au Pèlerin ; à ses yeux de le chercher en vain ; à ses oreilles d'imaginer sa voix parmi les autres ; à sa peau de se rappeler son trop bref contact.

Ses devoirs achevés, la nuit tombée, Bouton-d'Or fut ramener à sa tour où elle demeura seule. Là, dans ses appartements et ses jardins, elle chercha la cause de ses tourments plus pressant que ceux de ce matin et se rappela enfin de la petite fleur dont il lui avait fait cadeau.

Elle tira délicatement le fragile végétale de contre son sein, s'apprêta à le porter à ses lèvres puis s'arrêta en pleine course.

Viendrait-il ? Viendrait-il vraiment comme promis ? Qui était-il ?

La princesse se rappela le bâton de marche et la couronne de fleur qui l'ornait, de la paix qui avait saisit son cœur en sa présence. Son cœur... la demoiselle se souvint de ses yeux tendres sur elle, de sa voix chaleureuse, de ses bras où elle voulait se fondre, de son souffle sur sa peau, de son odeur chaude et réconfortante...

Elle s'oublia un instant dans ce délicieux souvenir d'un temps qui lui semblait si proche et lointain à la fois.

Perdus dans la contemplation du frêle bourgeon, s'oubliant dans le délicieux souvenir d'un temps qui lui semblait si proche et si lointain à la fois ; Bouton-d'or s'assit, sans y prêter attention, dans le fauteuil qu'elle partageait enfant avec sa douce mère quand celle-ci lui contait des histoires et des légendes.

La princesse avait bus alors les paroles de sa mère.

Le bâton.
Le bâton...
Le bâton et la couronne de fleurs...
Le bâton et la couronne de fleurs.

Tenant enfin sa réponse, Bouton-d'Or porta à ses lèvre sa fleur.

Un souffle délicat chanta un instant parmi les branches des arbres, franchis ses fenêtres, caressa sa peau et disparut comme il était venus. Croyant avoir été dupée, la demoiselle se rembrunit. Repliant ses genoux contre elle, elle allait jeter son présent quand soudain, des ténèbres dans laquelle la nuit plongeait le monde surgit le bâton de marche du Pèlerin, puis enfin le Pèlerin lui-même.

— Vous êtes venus !

— Je l'avais promis.

Extatique, la princesse se leva d'un bond et en quelques foulée fut auprès de lui. Son cœur s'emplissait déjà de joie et de paix à sa simple vue.

Loin alors de son esprit, le souvenir de son promis ; loin alors de son esprit, la triste union qui lui avait été choisis.

— Vous m'avez manqué !

Le Pèlerin baissa les yeux et souris, gêné.

— Vous m'avez vue maintenant, je m'en vais repartir.

Imperceptiblement, le vagabond recula légèrement dans les ténèbres qui l'avait vu apparaître.

— Attendez ! Attendez Paix !Ne vous ais-je pas manqué ? Ne vouliez vous pas me revoir aussi ?

Paix s'immobilisa à la lisière entre les ténèbres et la lueur qui peinait à les dissiper.

Bouton-d'Or tendis, hésitante, sa main vers lui, puis la laissa retomber dans le vide comme si elle craignait que son contact ne rompe définitivement son apparition.

Il détourna les yeux et se mura dans le silence.

Comme frappée par son mutisme, la princesse recula.

— Je le croyais pourtant.

Elle recula encore, embrassa du regard ses appartements envahis d'obscurité.

— Demain, demain, à la cour on me fiancera officiellement à mon promis. Serez vous là, pour assister à mon public trépas ?

Le Pèlerin blêmit.

— Non, lâcha-t-il enfin d'une voix d'outre-tombe. Non, cela n'arrivera pas. Vous m'êtes bien trop chère pour que je vous abandonne à un homme que vous n'aimez pas. Non, dormez cette nuit sans qu'aucun trouble n'agite votre repos ; car je veille. Allez. Allez maintenant sans crainte, vous avez ma parole, demain vous serez libre d'aimer celui que vous vous choisirez.

Un mince sourire d'espoir fleurit sur le visage de Bouton-d'Or. Son regard se perds un temps en direction de sa couche, déjà elle sens les doigts duveteux du sommeil la saisir, mais elle lui résiste. Et si jamais elle ne le revoyait ?

Il exhala un râle d'âme tourmentée entre sa raison et le bourgeon naissant d'une passion.

— Ne craignez rien pour demain, tout ira bien.

Mais elle n'entendit rien à ses paroles et prêta à son soupir quelques intentions qu'il n'avait pas. Blessée, elle recula d'un pas.

— Ne vous reverrais-je donc jamais ?

— Vous me reverrez, si tel est votre souhait.

— Le Promettez-vous ?

— Je le Promet.

Et sans lui donner le temps de s'imprégner de ses paroles, le Pèlerin frappa le sol de son bâton et Bouton-d'Or tomba endormit dans ses bras.

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