Cette auberge avait une aura presque magique qui inspirait la paix dans les cœurs. L'air était habité des rires, des notes d'un joueur de flûte et des chants d'oiseaux ; un vent doux rafraîchissait les buveurs tandis que les chiens se chamaillaient et que les animaux de bât broutaient paisiblement dans leur enclot.

 De toute sa vie, Audric ne s'était jamais ennuyé autant pendant une chasse. Toute l'après-midi durant, le Pèlerin était resté sur son séant, ne se levant que de temps à autres pour accompagner les enfants se soulager ou jouer avec eux. Ce qui n'avait jamais manqué d'arracher une grimace de dégoût au maître-chasseur. Comment ne pas conclure que cette créature était malade, ne fallait-t-il au plus vite l'achever ?

 Le patriarche allait pour la énième fois réprimander l'un de ses neveux qui commençait à somnoler délicieusement au soleil, puis abandonna. Lui ne faillirait pas.

 Un autre qui, comme lui ne faiblissait pas dans sa tâche, était le molosse aux dents en avant. Si son maître était aveugle au danger, le cabot, lui, l'avait bien identifié. Tout l'après-midi, Audric et lui s'étaient regardés en chien de faïence dans un duel qui ne prit fin qu'à la nuit tombée.

 Les habitués avaient depuis longtemps rejoint leurs logis, les autres s'étaient rassemblés autour d'un grand feu de joie pour raconter leurs aventures de voyage et le Pèlerin s'était mêlé à eux en tant que spectateur.

 Le maître-chasseur resta en retrait pour observer leur cible tandis qu'Hélior, l'un de ses neveux, avait pris les devants. Ses frères et la foule n'avaient eu qu'à peu l'encourager pour qu'il se mette en scène et raconte, comme il savait très bien le faire, les nombreuses chasses de sa famille. Hélior se laissa facilement entraîner par ses récits, mais Audric réussit tout de même à faire comprendre à son bruyant neveu de demander un conte au Pèlerin. Le jeune homme parvint à retenir de justesse le voyageur et, à force de quémander, celui-ci céda enfin.

 Enfin.

 Enfin, il allait délivrer un précieux indice qui permettrait de l'identifier.

 Le patriarche jubilait intérieurement. Tout comme les accents changent d'une région à l'autre, les mythes différaient légèrement selon les espèces. Ces infimes interprétations offrirait une chance à Darragh de définir son origine et demain ; demain ! il supprimera le benêt animal.

 Le vagabond se leva et imposa à tous un silence respectueux. En un instant, il avait capturé l'attention de son public ; et celle d'Audric. Il n'avait pas encore dit un mot, et déjà le maître-chasseur était suspendu à ses lèvres. Il ne pouvait détacher son regard du voyageur. Son expérience lui dictait que c'était là le fait de quelques néfastes influences magiques de la créature sur lui, mais il ne pouvait y résister. Pire, il ne voulait y résister.

 Le Pèlerin délivra son conte ; un conte bref et étrange sur un collectionneur de pièces possédant leur propre volonté, il y nomma aussi les dieux, et rappela à tous que le Roi à la Couronne Cassée marchait parmi eux. Puis dès son récit achevé il s'inclina, et prétextant devoir aller coucher les petits, quitta son public. Alors son sort fut rompu et Audric enragea aussitôt d'avoir été si faible face aux charmes de l'animal. Il damna la créature pour l'avoir si simplement ensorcelé, il se maudit comme jamais auparavant et se tourna vers ses fils :

— Vous deux, vous montez la garde auprès de la bête cette nuit, que demain nous en finissions de cette aberration. Mon frère ! Qu'as-tu appris ?

— Il semble être une créature du Nord, confia le cadet.

— Un Loup ?

— Trop solitaire pour un Loup, et trop au sud pour un Serpent ou un Tigre. Un Lynx je dirais.

Audric répéta intérieurement ce mot avec une rage qu'il parvenait difficilement à contrôler.

Un Lynx.

Un Lynx, donc. Il allait lui faire sa fête au minet.