chapitre 8 provisoire

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Et quel spectacle se fut ! Comme la veille le public était au rendez-vous et quel public ! Les Dieux en soient remerciés, ils ne l'adorèrent pas à la démembrer comme la veille ! À la place, Loïs connus avec eux une osmose comme elle ne l'avait jamais vécus avec aucun de ses spectateurs passés. Son public avait chanté avec elle, fredonné avec elle, joué avec elle. S'improvisant cheffe d'orchestre, elle les avait utilisé à son bon gré, tour à tour comme des instruments ou des musiciens à part entière. Beaucoup, surtout en soirée, c'étaient laissés mener ainsi, participants à ces airs improvisés comme s'ils avaient répétés toute leur vie pour cet instant. Loïs l'aurait juré ; Paix régnait sur ce bourg et faisait pleuvoir les miracles !

Quand ce soir-là elle s'allongea aux côtés du Pèlerin, elle était presque déçut d'avoir accepté l'offre de cet odieux chevalier. Elle avait du mal à se résoudre de devoir abandonner le lendemain ses nouveaux instruments pour une dame, aussi noble soit-elle.

— Alors pourquoi avoir accepter ? Avait demandé le Pèlerin.

Il faisait de nouveau tourner délicatement entre ses doigts son myosotis séché.

Un tour complet.

Loïs se renfrogna un instant, puis se blottis un peu plus contre l'épaule de son compagnon de voyage, à son tour elle aussi fascinée par la danse du fragile végétal.

Un tour à droite.

— La bêtise et l'orgueil, je l'avoue. C'est une noble dame, je ne me suis pas produite devant une cour depuis des années. C'était une belle opportunité qui me faisait rêver, je n'allais pas la rater.

— Je comprends, murmura simplement le Pèlerin.

Un tour à gauche.

La naine agrippa de ses petits doigts la chemise, du voyageur et enfouis un instant son nez contre son épaule. Il sentait toujours agréablement l'humus après la pluie.

Un tour à droite.

— C'était de la folie d'accepter, n'est-ce pas ?

Il haussa les épaules.

— C'était un rêve, n'est-ce pas ?

Un tour complet.

— Tout ça pour un rêve... je quitte ce qui me rends heureuse pour un rêve... mais par Paix ! Que de folie ! Je ne le fait que demain, peut importe la fortune qu'on m'offrira après, je ne ferais que demain !

Tout comme le Pèlerin, le myosotis s'était crispé un instant avant de reprendre son balais. Si Loïs avait remarquée cette étrangeté, celle-ci s'était aussitôt évanouie de sa mémoire. La naine était déjà absorbée par d'autres projets.

Elle serait sans doute bien accueillit par son employeur actuel, mais cela valait-il le coup ? Si elle partait maintenant, au sommet de sa gloire, et alors que tout le bourg n'avait que son nom à la bouche, ne serais-ce pas mieux pour elle ? On ne l'accueillerait qu'avec plus de ferveur l'année suivante. Oui, elle partirait les poches pleines et reviendrait l'année prochaine. L'attente et l'exception était les meilleurs alliés d'un artiste.

Un tour à gauche.

Comme si elle n'était pas déjà assez petite, la naine se recroquevilla sur elle-même, les genoux contre la poitrine. Elle étira ainsi la minuscule longueur de ses membres contre le bras du Pèlerin.

Loïs ne se souvenait pas de s'être sentis aussi apaisée de toute sa vie. Le temps contre lui dans la paille et la tiédeur de l'écurie semblait suspendus, infinis et éphémère. Elle ne savait l'exprimer autrement.

— Chante pour moi, murmura-t-elle.

Avant qu'elle ne se réalise les absurdités qu'elle venait de proférer, le Pèlerin avait cessé de faire tourner entre ses doigts son myosotis. Fixant tristement du regard le végétal, il avait entamé une berceuse. Une berceuse ancienne, si ancienne que la Langue Commune utilisée lui était presque étrangère, elle eu tout juste le temps de réaliser que Loïs sombrait déjà dans un profond sommeil.



À la vue du palefrenier, le destrier frappa impatiemment le bois de sa stalle du sabot.

— C'est pas un peu finis tout ce boucan, grommela Loïs en émergeant de sa torpeur.

La monture de guerre se calma un instant puis repris son tapage tandis que le garçon d'écurie lui amenait sa ration du matin. La troubadour gronda encore en vain, avant de se contorsionner pour se dégager d'entre le Pèlerin et de Carpaccio. Si le premier modifia sa position pour l'aider, la seconde la regarda faire sans broncher.

— T'as un gros cul, commenta Loïs en parvenant enfin à se glisser d'entre eux.

Brochette accueillit l'exploit dans un bêlement chaleureux, avant de s'étirer et de se lever pour réclamer l'attention de sa maîtresse. Le Pèlerin, ainsi libéré de la charge que représentait la chèvre, se leva à son tour. Il s'étira avec délice et entrepris ensuite de s'occuper des animaux. Tartare quant à elle, vit cette reprise d'activité comme SA reprise d'activité et entreprit aussitôt de défier le canasson pour son grain.

— Elle est vraiment débile cette chèvre, lâcha Loïs.

— Elle as son petit caractère, c'est vrai.

L'entier n'avait pas cédé d'un iota de son orge, obligeant Tartare à maintenant tenter sa chance auprès des bœufs, mais les deux mastodontes ne se laissèrent nullement impressionner et ignorèrent royalement l'ovine.

— J'hésite à partir aujourd'hui.

— Et dame Deirdre ?

— J'ai un mauvais pressentiment, le Longue-Jambes.

Ce n'était plus aujourd'hui une insulte dans sa bouche, mais un nom affectueux. Elle aimait leurs différences complémentaires. Lui, grand et toujours paisible et raisonnable. Elle, petite et frénétique. La troubadour observa un instant son compagnon de voyage qui préparait les chèvres.

N'ayant rien obtenus des grands mammifères, Tartare vint quand Loïs l'appela en ignorant le Pèlerin et réclamant à sa maîtresse les caresses que son statut de « petit ange très mignon » lui octroyait. Le Longue-Jambes en profita pour sangler les bâts sur la chèvre sans qu'elle ne le remarque.

— Je veillerais sur vous, je ne laisserais rien de mal vous arrivez, promis le Pèlerin.

La troubadour le remercia d'un hochement de tête. Sans sa présence, elle n'était pas certaine de pouvoir faire de nouveau face à une audience sans douter.

— Merci, murmura-t-elle si bas qu'elle n'était même pas sûre d'être à l'origine de ses mots.

Si son interlocuteur l'avait entendus, il n'en laissa rien paraître et elle lui en fut reconnaissante. Ce n'était pas encore dans ses habitudes que de remercier ou de se montrer vulnérable, même devant ceux qui lui inspirait confiance.

Un valet du chevalier Casse-Burnes les attendait à la sortis de l'écurie. Il dévisagea leur compagnie avec un tel regard de mépris et d'auto-suffisante que Loïs envisagea de reprendre le chemin des champs. Son rêve, elle voulait aller au bout de son rêve se rappela-t-elle.

Après avoir échangé un regard, le Pèlerin prit les devants, éteignit tout les feux, essuya toute les insultes, encaissa tout les regards méprisants et les remarques déplacées qu'ils subirent pour le reste de la journée. Les domestiques et les serfs du château se comportaient comme s'ils servaient des dieux. Trop anxieuse, la troubadour n'y prêta pas attention et laissa à son compagnon de voyage le soin de tout gérer.

Tel le Phénix, la Mésange d'Esterillion s'apprêtait à renaître de ses cendres.

Ce fut un jour à la fois interminable et terriblement court pour Loïs. Tout lui semblait vague, elle n'était tournée que vers une seule pensée : sa performance de ce soir. Le bon bain chaud qu'elle attendait tant et les mets fins qu'on lui avait promis ne laissèrent qu'une trace délébile dans son esprit. Ils n'étaient rien, ce soir était tout.

— Je serais juste là, annonça le Pèlerin.

Lois sursauta et revint soudain à elle. Elle nota mentalement qu'il lui désignait un coin à l'entrée de la grande salle, près des chiens, entre la porte et la cheminée, puis le remercia d'un hochement de tête. Il se tiendrait là, derrière elle, elle lui en était infiniment reconnaissante.

Car tout ces regards braqués sur elle la rendait encore plus nerveuse. Elle n'avait jamais été nerveuse ainsi à l'idée de se produire devant une cour, elle était née pour se produire devant une cour. Mais en ce jour, plus que tout au monde, elle voulait fuir.

Un homme en pourpoint brodé d'argent se leva d'un bond et la désigna de la main.

— Ma tendre cousine, voici mon cadeau pour ce soir. Une artiste comme vous n'en avez jamais connus, déclama-t-il de sa voix irritable.

La troubadour reconnus le chevalier Casse-Burnes. Il était toujours aussi désagréable et suffisant quand il s'exprimait. Loïs posa son regard sur la Dame Deirdre.

Cinquantenaire dodue à la mine sévère, elle était tiré à quatre épingles dans ses beaux atours. Et par là, il fallait entendre que toute sa personne, de la racine de ses cheveux jusqu'à la pointe de ses poulaines, était tendus de telle façon qu'elle semble plus maigre et prétendument plus jeune qu'elle ne l'était véritablement. En vérité, la petite dame semblait surtout sur le point d'exploser sous toute les coutures. Lorsque sa coiffure se relâchait, cessant ainsi d'étirer son visage et ses rides vers l'arrière, elle devait ressembler à un bouledogue, devina la naine.

La noble dame, nota aussi Loïs, enlaçait entre ses doigts ceux de son cousin. Et cela plus à la façon d'amants que de parents. La naine se retint de frissonner de dégoût.

La Mésange d'Esterillion s'inclina respectueusement. Elle se redressa sous le regard hostile de son hôtesse.

Cette dernière s'était penchée en avant pour l'apercevoir.

— Qu'est-ce que c'est que cette chose ? Un gobelin ? Un singe apprivoisé ? Dresseur, de quoi avez-vous accoutrez votre animal ?

— Madame, commença Loïs, je suis Maître Troubadour ; Mésange d'Esterillion.

Trop occuper à rire et à applaudirent les mots de leur dame, personne ne prêta attention à la présentation de l'artiste.

Des larmes de rage et de honte perlèrent aux coins des yeux de la naine. Des rois s'étaient déplacés pour la voir chanter ! On lui avait proposé des fortunes pour cela ! Personne ne l'avait jamais moqué aussi ouvertement ! Même les manants n'osaient pas ! Ou tout du moins elle pouvait leur faire payer !

Pour la première fois de sa vie, Loïs ressentait vraiment son nanisme comme un handicap. Que n'aurait-elle pas donné en cet instant pour avoir un mètre de plus ? Juste un petit mètre ! Car on la regardait comme une anomalie, un monstre, un être méprisable.

La lilliputienne embrassa tout ce qui l'entourait des murs au plafond du regard, rien ne lui échappa. Les combats de chiens semblaient être le summum du bon goût tant ces lieux manquaient cruellement de raffinement, à la fois artistique et culturel. Ses boiseries manquaient de raffinement, sa maçonnerie manquaient de raffinement, sa vaisselle, ses gens, ses serviteurs, tout manquaient de raffinement. Tout était aggloméré ensembles comme si la dorure, les cabochons de verre taillé et les broderies justifiaient d'une quelconque supériorité. Il n'en était rien. Tous se prétendaient bien plus important qu'ils ne l'étaient, mais ce n'était là que la grande salle d'un petit château d'un petit bourg de campagne. La Mésange d'Esterillion s'était produite pour des rois, elle s'était vue offrir des appartements plus grands que cette grande salle de réception.

— Dresseur, insistait toujours Dame Deirdre en direction du Pèlerin, habillez votre animal.

L'hilarité était toujours générale. Une idiote comme ça Loïs l'aurait foudroyé de sa fronde, c'était un peu rendre service à la famille que de supprimer les attardés, mais sa fronde était resté avec ses chèvres. Elle allait lui faire goûter une composition de son crus, tout juste composé pour la noble dame et sa compagnie.

— Est-ce une dame ou une souillon ? Que je vois sur le point de craquer comme un saucisson ! Vois-je des seigneurs ou bien des leurres ? Quand …

— GARDES !

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