La naine et le Pèlerin: La Mésange d'Estérillion( partie 2/9)

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_ Vous êtes pleine de courage, Dame nain.

Loïs s'empourpra légèrement comme rarement cela lui arrivait. Elle tenta de le dissimuler en accordant enfin à Carpaccio toute l'attention qu'elle réclamait. C'est que la biquette y tenait à sa séance de pansage après sa journée de bât ! Particulièrement si c'était pour s'attarder au sommet de sa croupe ou à l'arrête de ses joues.

Mais si le voyageur s'était rendus compte du rougissement de Loïs, il n'en fit pas montre. Il continua à s'occuper des flammes, en les entretenant tout en faisant rôtir le lièvre tué plus tôt par la troubadour. Elle était redoutablement efficace avec une fronde, la survie de l'artiste et de ses bêtes en dépendait, tout autant pour chasser que pour se protéger. Cette fronde n'était autre qu'un de ses instruments dont elle jouait à la perfection.

_ À quoi vous attendez-vous à cette foire ?

Loïs avait depuis longtemps expédiée Carpaccio rejoindre ses semblables. La troubadour se racla la gorge.

_ Cette foire est donnée en l'honneur de dame Deirdre, il y aura des ventes d'animaux de ferme, des concours agricoles et d’habilité et surtout des artistes qui, comme moi, vont s'y produire.

_ Dame Deirdre paye pour tout cela ?

_ Oh ! Par tout les Dieux et leurs rejetons ! Non ! Il y a bien des affaires à faire, sinon nous nous y rassemblerions pas comme des mouches sur une bouse fraîche. Mais seuls ceux invités à la cour de la dame, elle-même, sont payés de sa poche. Eux seuls repartent avec les poches vraiment pleines !

_ Pour la Mésange d'Esterillion, ce doit être facile, j'imagine.

_ Par Paix ! Que tu crois le Longues-jambes !

Le Pèlerin eu un mouvement de crispation fugace qui échappa totalement à Loïs.

_ C'est que la bonne dame Deirdre n’embarrasse pas ses oreille du chant de n'importe qui !

_ De n'importe qui ?

_ Tu es bien lent à la pensette le Longues-jambes, c'est de trop respirer les nuages qui te rends con comme ça ? Non ? Hum ? Non, la bonne dame Deirdre ne veut que des gens respectable à sa cour, et les vieux nains comme moi avec leurs chèvres puantes n'entrent pas dans cette catégorie. Toute « Mésange » qu'il puisse avoir été !

Comme si le mot « chèvre » avait été quelque signal secret pour Brochette, la chèvre vint renifler le Pèlerin et l'examiner à nouveau. L'air perdu dans ses pensées le voyageur ne prêta aucune attention au manège de l'ovine.

_ La dame ignore ce qu'elle rate.

_ Bah ! C'est pas bien grave, vas ! Hé ! Brochette, qu'est-ce que tu fais ? T'es pas gênée toi, t'es pas un chat que je sache !

Après avoir finis son examen consciencieux du voyageur et de sa cape, Brochette s'était creusé un chemin entre ses bras pour s'asseoir sur les genoux du Pèlerin. Peu assurée quant à cette nouvelle méthode pour réclamer de l'affection, et ne sachant trop comment s'équilibrer, la chèvre se montrait hésitante, mais toutefois fort satisfaite d'elle-même.

_ Vas pas me l'éborgner avec tes cornes, toi ! Il ne marche déjà pas très vite, si en plus il commence à devoir tâtonner pour avancer, je ne suis pas arrivée à l'auberge ! maugréa la troubadour tandis que l'animal collait sa tête à celle du voyageur pour réclamer le début des grattouilles.

Le Pèlerin les lui accorda sans plus y réfléchir.

_ Si elle te gène, tu peux la dégager, assura Loïs.

Le Longues-jambes approuva d'un sourire. Quelques minutes plus tard, il annonçait que le lièvre était cuit. Les deux voyageurs se le partagèrent et firent bonne chair, puis ils s'enroulèrent dans leur capes et s'endormirent. Rien ne vint troubler leur sommeil ; aucun loup ne s'approcha de leurs chèvres, aucune racines ne s'enfonça cruellement entre leurs côtes et les branches des arbres les protégèrent de la rosée du matin. Les rêves de Loïs furent exceptionnellement paisibles et doux. Elle n'en garda aucun souvenir notable, toutefois, au réveil elle en garda un sentiment doux-amère de ne pas être capable de se remémorer des moments si agréable. Pleine de nostalgie, la troubadour décida d'ouvrir les yeux.

_ Carpaccio, mes jambes, grommela Loïs en dégageant ses pieds de sous l'animal.

Carpaccio lui répondit d'un bêlement indigné et lointain poussant la naine à ouvrir les yeux.

_ Hum... Tartare... rectifia la naine en découvrant l'ovine couché en partie sur elle.

Sa présence était une surprise, contrairement à Brochette et Carpaccio qui avaient l'habitude de réclamer son attention et de dormir avec Loïs pour se tenir chaud. Tartare était plus indépendante et ne venait trouver refuge contre sa maîtresse que lorsqu'il faisait vraiment froid.

_ Traîtresses, maugréa la troubadour en découvrant que ces deux autres bêtes de bâts lui avaient préférées le voyageur à elle.

Carpaccio dormait allongée dans son dos, comme elle le faisait normalement avec Loïs, et Brochette s'était perchée sur lui. À demi perchée sur lui, car ainsi couché sur le côté, les flancs du Pèlerin n'étant pas assez larges pour elle, si bien que seule une moitié de la chèvre reposait sur lui. Le chat à cornes devait s'aider de ses pattes pour se maintenir sur son perchoir.

Loïs fit lever Carpaccio et Brochette et flanqua un coup de pied au voyageur pour le réveiller. Elle se refusait à se l'avouer, mais ça la titillait un peu que ses animaux lui préfèrent un étranger à elle.

_ Debout ! On y vas ! On vas être en retard ! grommela la naine en réitérant ses coups de pieds dans les côtes du voyageur.

_ Bonjour, Dame Nain, bailla ce dernier avant de se lever calmement.

Loïs avait oubliée combien il était grand, plus grand qu'aucun autre homme qui lui avait été donné de voir. Il n'avait montré aucune hostilité ou aigreur face aux traitements qu'elle lui infligeait, pourtant la naine se sentis infiniment désolé pour le manque de respect don elle venait de faire acte.

Il accepta ses excuses muettes d'un geste du menton et passa devant elle pour commencer à préparer les chèvres pour leur départ. Une fois les animaux pansés et bâtés, ils s'en firent. Loïs devant à mener et le Pèlerin derrière à flâner.

Au zénith du soleil, les bois s'ouvrirent enfin sur des plaines encore ponctuées de bosquets et entres lesquels germait parfois de petites fermes solitaires sur le sommet d'une crête. D'expérience, Loïs n'appréciait guère cette présence humaine éparse et éclatée, elle aimait quand ses semblables se réunissaient au moins dans des hameaux ou des villages. Non pas seulement parce qu'elle y était plus susceptible d'y trouver du travail et d'y gagner de quoi vivre, mais aussi parce que ces familles isolées du monde et livrées ainsi à elle-même offraient moins aisément de l'assistance aux inconnus en cas de besoin. Pire, elles pouvaient même représenter un danger pour Loïs ! La vie dure rendait les gens durs, et prompte à voler leur prochain. Combien de fois, la troubadour avait-elle trouvé des carcasses de voyageurs à la gorge proprement tranchée ? Combien de fois avait-elle combattus ces bandits, pour découvrir qu'elle abattait de sa fronde un garçon de ferme à peine capable d'articuler un mot ?

Non, la troubadour n'était pas rassurée de marcher ainsi à découvert. Son compagnon de route toutefois, ne se montrait pas aussi nerveux. Il allait de son éternel pas tranquille comme si de rien n'était. Comment faisait-il pour voyager ainsi insouciamment ? Tout grand dadais qu'il était, ne savait-il pas qu'un ou deux hommes de ferme et il n'était plus d'une carcasse rongée par les renards ?

Visiblement, il n'en savait rien. Et sa lenteur ne faisait qu'excéder un peu plus la troubadour.

Alors qu'elle râlait sur le voyageur une énième fois, et toujours pour sur le sujet de sa lenteur, le bourg qu'elle voulait atteindre se détacha soudain.

Lové dans un creux de rivière, entouré de champs et de petits hameaux, se détachait sur la crête d'une colline le castel de dame Deirdre. Le bourg attenant lui, s'étendait jusqu'au bord de l'eau. Aucun écho sonore de cette vie ne parvenait encore aux voyageurs, mais déjà ils pouvaient voir les fourmis, humaines et animales, s'amasser à l'entrer du bourg.

_ Par les Léviathans des Eaux Noires ! Avec ton allure d'escargot, j'ai cru que nous arriverions jamais ! Viens, dépêchons nous encore si nous voulons trouver une grange où crécher.

Le Pèlerin accepta d'un hochement de tête et ils reprirent leur route.

À la vue de ces rivages familiers, la troubadour se détendit, mais continua à presser le pas de son compagnon de route. Quelques lieues plus tard, ils rejoignirent d'autres voyageurs comme eux.

_ Attache les chèvres, qu'elles ne fassent pas de bêtises. Et surveille Brochette qu'elle ne monte sur aucun tonneaux.

Le voyageur jeta un coup d’œil à l'ovine, qui le regardait toujours avec le même amour que s'il portait un plein sac de grains, et passa le cordon le cuir que Loïs lui tendait dans la boucle du licol de l'animal. Puis ils durent attraper Tartare qui avait compris leur petit manège et ne voulait guère se laisser faire. Quelques minutes plus tard, l'ordre enfin rétabli et la dissidente maîtrisée, les voyageurs reprenaient leur route.

_ Que Paix soit avec vous, salua Loïs tandis qu'ils se mêlaient à un autre groupe d'itinérants.

_ Paix est avec vous, répondis le meneur sur un ton aimable et joyeux.

Une crispation fugace, que personne ne vit, saisit le Pèlerin.

_ Je suis ravi de vous revoir maître Nain, je garde un souvenir vivide de vos performances de l'année passée. Vous m'avez enchanté et je ne peux l'oublier, poursuivit-il.

Son regard se posa pour la seconde fois sur le Pèlerin, mais il ne sembla qu'alors seulement prendre conscience de sa présence. Il salua le voyageur d'un petit hochement de tête et revint à son interlocutrice.

_ Nous descendons à l'auberge du Cheval-qui-Boite. Nous ferez-vous l'honneur d'être notre invité ? Je suis sûr que le maître de maison ne sera guère difficile à convaincre d'avoir un artiste de votre envergure sous son toit. Et puis votre serviteur pourrait dormir à l'étable, avec vos bêtes, aussi humble qu'elles soient, elles y seraient bien traitées.

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