Bouton d'Or (partie 3)

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La princesse attendait, allongée dans son lit, la venue de son amant. Bien des années s'étaient écoulées depuis la première visite du Pèlerin et ils s'aimaient de la même passion qu'au premier jour. Peut-être même plus profonde encore. Au dehors de ces murs qui renfermaient leur idylle, Bouton-d'Or était connue comme la fiancée maudite ; tous les hommes choisis par son père périssaient d'une façon plus tragique que le précédent et plus aucun prétendant ne réclamait aujourd'hui sa main.

Elle vivait donc heureuse loin de la cour et recluse dans ses jardins, avec quelques servantes seulement pour l'aider à entretenir sa tour. Moins d'yeux et d'oreilles pour épier ses moindres faits et gestes et plus de liberté ; que demander de plus ?

Le doux murmure du cerisier l'averti de l'arrivée de son Aimé. Elle sourit alors qu'il se glissait dans leur lit. Il lui embrassa son épaule nue, sa joue et les lèvres qu'elle lui offrait alors qu'ils nouaient ensembles leurs doigts.

En silence, les amants se racontèrent comment ils s'étaient manqués l'un à l'autre, comme ils s'aimaient aussi. Puis toujours dans ce même secret qui les unissait, Bouton-d'Or lui avoua d'un sourire qu'elle avait un secret à lui confier.

À l'écoute, il attend.

Alors, elle se saisit de son index comme d'une plume et traça doucement une ligne au dessin voluptueux qui démarrait du creux de sa gorge ; s'attardait un instant sur sa poitrine, dessinait des arabesques sur ses seins et le long de ses côtes avant de descendre jusqu'à son nombril. Elle y esquissa à nouveau par jeu charnel des cercles puis descendit encore. Entre l'ombilic et son pubis, elle s'arrêta enfin.

Là, elle appliqua tendrement sa paume sur un petit renflement auquel il n'avait prêté attention auparavant.

Elle lui sourit.

Tu vas être papa.

Le souffle coupé, il l'embrassa et posa, fiévreux, son front contre le sien.

Tu vas être maman.

Il souriait sans trop oser y croire et se pressa un peu plus contre elle et ce mince brin d'espoir qu'elle portait en son sein. Espoir minuscule et fragile ils le savent. Car quatre tombes fleuraient le jardin de Bouton-d'Or pour autant de fausse-couches. La première, elle n'était pas prête, trop jeune encore à son goût, et trop de regards envieux encore tournés en sa direction. C'est elle qui avait demandé à son amant une potion abortive.

La seconde, elle s'était découverte grosse le jour où elle avait brutalement cessé de l'être. Sans leur laisser le temps de se questionner, d'imaginer quelle vie ils pourraient avoir, ;ou non, son corps avait douloureusement rejeté l'embryon. Ne restait de cette expérience que le deuil et le rêve de donner la vie et une famille à son Aimé.

Ils le désiraient ensembles.

Bouton-d'Or se souvenait à la cour de son père d'avoir fréquentée duchesses ou caméristes girondes chaque année. Pourtant, elle avait du mal à concevoir, et à garder le fœtus au-delà des premières semaines.

Le Pèlerin lui avait expliqué que cela venait de sa personne. Qu'il se pouvait qu'à cause de sa nature, et de son lignage divin, elle ne porterait jamais d'enfant de son Aimé, et qu'il aimerait tout autant l'enfant d'un autre comme le sien. Mais la princesse n'entendait rien à ce discours ; c'était de lui ou de personne.

Malgré la raison et les explications, les deux fausse-couches advenues dans les années suivante avaient été les plus difficiles à porter, pour l'un comme pour l'autre. Aussi, dès les premières semaines elle avait senti la vie prendre en elle, avec tout les changements que cela occasionnait à son corps ; elle s'était retenu de trop espérer. Et surtout d'en parler. Chaque jour, Bouton-d'Or s'attendait anxieusement à perdre cet embryon, tout en désirant le contraire.

En cet instant ; perdus dans les bras l'un de l'autre à regarder ensemble les rideaux voler, indolents au grès du vent, égrainant de leur va et viens irréguliers le temps infinis qu'ils possédaient encore avant que l'aube ne survienne ; ils planifiaient déjà, en silence, leur futur, et celui de leur enfant à naître. Les deux amants s'interdisaient encore, sans pouvoir s'en empêcher, d'y croire et d'espérer ; de s'interroger ; garçon ou fille ? de choisir un nom ; honorer un ancêtre ou bien s'en détacher ? d'imaginer sa personnalité ; calme comme papa, ou brave comme maman ? de savoir auquel des deux s'en viendrait-il ou elle à ressembler le plus ; grand de taille, ou blond comme les blés ?

En tout cela, l'un et l'autre n'osaient encore trop se projeter, pourtant ils avaient acquis la certitude que cette vie ne pouvait plus les contenter. Les tourtereaux rêvaient maintenant d'autres murs, d'autres horizons, lointain de préférence, et sans oreilles indiscrètes pour les épier. C'est le Pèlerin qui se chargeait de trouver ce nouveau foyer.

Mais trop à leur bonheur, ils commirent une erreur.

Perdue à sa félicité, Bouton-d'Or oublia de masquer le présent de son aimé. À une servante zélée l'existence de la minuscule fleur fut révélée. Subtilisée discrètement, et présentée fièrement au roi en attendant son jugement.

De solitude, d'entrailles et de tour, il fut de nouveau question, dans la plus profonde des cellules du donjon, ou bien loin de son bouton-d'or, la princesse ne pouvait appeler son protecteur.

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