le Pèlerin

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   Il était un Pèlerin qui avait marché bien des lieux ; parcourut bien des monts et des vallées ; longé bien des rivières et des fleuves ; traversé bien des plaines et des forêts ; et connu bien des villes et des villages.

  Chemin faisant sur les routes, il avait fait sienne bien des identités, celle du Collecteur de Dettes était sa préféré.

  Un jour, ses pas le portèrent jusqu'à un bourg qu'il avait visité des années auparavant. Sans hésiter, ni se préoccuper des regards houleux des habitants, il traversa le hameaux et s'arrêta sans hasard devant une porte. Il en frappa le battant de sa canne et attendit patiemment qu'on lui ouvre.

  Devant sa mise souillée par la route, la maîtresse des lieux hésita ; certes, le Pèlerin était avenant, mais il restait pas moins un voyageur, un vagabond, un nomade errant au grès des vents ; et pour cela, la dame ne lui faisait pas confiance.

  C'est son mari, reconnaissant la face de celui qui avait un jour été son ami, qui la convainquit de laisser entrer le loup dans la bergerie. Il lui offrit le couvert et leur lit pour la nuit. Le Pèlerin accepta l'offre et pénétra enfin dans la maison, sur un banc, il posa son séant et tout l'après-midi resta ainsi.

  Son hôte était accueillant et de bonne compagnie ; quant à son épouse elle se laissa rapidement charmé par cet inopiné visiteur et s'émerveilla de ses descriptions de paysages qu'elle ne verrait jamais ; ri à ses aventures qu'elle ne vivrait jamais ; s'inquiéta de danger qu'elle ne rencontrerait jamais.

  Si l'accueil était chaleureux, la maison toute entière suintait la peur. Ses miasmes maculaient l'intérieur impeccablement tenus de la matrone ; ternissaient les couleurs des tapisseries ; transpiraient par la chaux des murs ; vibraient entre chaque silence.

  Le Pèlerin prétendis y être indifférent et ne chercha pas l'origine de toute cette anxiété, à la place il continua à profiter de l'agréable compagnie de ses hôtes jusqu'au dîner. Une fois repus, il pris congé du bailli et de son épouse et s'installa à l'étage dans leur lit.

  Au milieu de la nuit, il fut réveillé par des cris étouffés, tout d'abord le voyageur voulut les ignorer puis lorsqu'ils furent renouvelés ne put s'y résoudre.

— Bailli que fais-tu à cet enfant !

  Écrasé par la majesté et la superbe du Pèlerin qui venait de surgir des ténèbres, l'homme en lâcha son fils qu'il tenait à bout de bras. L'enfant s'écrasa au sol. Sa mère se saisit aussitôt de lui et l'entraîna à l'écart où elle le maintint dans son giron ; loin des deux hommes.

— Cela ne sont pas tes affaires, vagabond !

  Le Pèlerin se redressa, descendit d'un poids pesant de menace une marche de l'escalier qui en grinça.

— En est-ce donc ainsi ?
— Il en est ainsi.

  Droit comme un roi, le voyageur descendit une autre marche et pointa de son bâton la maîtresse de maison.

— Femme, choisis lequel de tes enfants j'emporterai avec moi ce soir.

  Elle glapit et serra ses petits contre elle.
— Vous n'avez aucun droit !
— Une Vie pour une Vie, mon Obligé. J'ai un jour sauvé la tienne au prix de celle d'un autre, pour cela tu doit me payer, c'est ta vie où celle d'un de tes petits.
— Ils sont à moi !

  D'un pas, le Collecteur de Dettes s'avance encore. La marche grince encore, plus sinistre que jamais.

— Femme, fais ton choix.

  Elle couine encore de son cœur de mère qui se déchire.
— Prenez les tout deux.
— Je ne le peux, tu dois choisir.
— Silence ! Tu n'en fera rien ! Gronda le bailli.

 Il s'avance vers son épouse, le bras levé prêt à frapper, mais avant qu'il ne l'atteigne, le Pèlerin abat son bâton sur le sol et l'homme comme foudroyé s'écrase inconscient, face contre terre. Les enfants crièrent et se blottirent un peu plus contre leur mère.

— Je ne peux prendre qu'une vie, choisis.
— Prenez les tout deux.
— Je ne le peux.
— Prenez la mienne en échange alors. Quand il se réveillera, il me tuera. Si ce n'est pas lui ce sera ses frères et si je fuis se seront les miens.

  Voilà que pour la première fois depuis longtemps, le Pèlerin hésita.

— S'il vous plait.
— Vous pourriez venir avec moi.
— Mais toujours ; il me retrouvera.

  Le cœur du Collecteur se serra douloureusement dans sa poitrine. Il y a longtemps il avait été parent.

— Dites adieu à vos enfants.

  La dame acquiesça en silence et s’exécuta, elle les rassura et les réconforte de son mieux.

— Vous allez avec le monsieur, à partir de maintenant il vous protégera et s'occupera de vous.

 La petite, pleurant à chaudes larmes, s'agrippait désespérément à sa mère, tandis que son frère la martelait de coups de poing furieux.

— Vous prendrez soin d'eux ?

— Je le promet.

  Le Pèlerin est au bas des escaliers maintenant, il frappa une nouvelle fois le sol de son bâton, et les enfants tombèrent endormit dans les bras de leur mère.

  Elle les posa délicatement à terre et baisa une dernière fois leur petites menottes, leurs joues rebondies et leur fronts. Elle rassembla son courage, puis après un dernier regard devers eux se lèva et marcha en direction du Collecteur de Dettes.

  Il se tenait là, haute figure solitaire, à la frontière entre la lueur des bougies et les ténèbres que ces dernières peinaient à chasser. Comme sa vision était apaisante, il ressemblait à l'un de ces rois des contes d’antan qui animait ses veillées enfant.

  Elle s'approcha d'un pas.

  Sous son masque imperturbable, il était celui des deux qui était le plus troublé par ce qu'il devait être exécuté. Elle, elle n'avait plus peur, elle l'avait déjà accepté.

— Une Vie pour une Vie, lui rappela-t-elle.

  Il redressa la tête, prit une grande inspiration et lui ouvrit ses bras où elle vint se fondre aussitôt, il la sentis frémir un instant lorsqu'il referma l'étau de ses griffes sur elle. En retour, elle le serra tendrement dans ses bras, et, tandis qu'il ralentissait déjà son cœur, qu'il gelait son sang dans ses veines et figeait l'air de ses poumons, elle offrit un baiser de vie à celui qui lui donnait la mort.

  Lorsque ses lèvres le quittèrent elle n'était déjà plus. Avec tout l'amour et la tendre attention qu'elle n'a jamais reçut de son vivant, il l'allongea délicatement au sol. Il s'attarda un instant sur son visage, serra ses mains dans un dernier adieu puis, le cœur lourd, s'approcha des enfants endormis, et un sous chaque bras ; quitta la maison sous une pluie battante pour ne jamais revenir.

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